Les différences des systèmes juridiques, fiscaux et sociaux sont souvent décourageantes.
lourde taxe danoise sur les automobiles : près de deux fois le prix d’achat. « La police danoise traque ces voitures immatriculées en Suède qui passent leur temps dans les banlieues de Copenhague » , affirme ainsi Christopher Arzrouni.
Reste que ces échanges sont la preuve d’une véritable communauté de destin économique entre les deux rives. Au point que la dynamique économique de Malmö dépend désormais autant de la conjoncture danoise que de la conjoncture suédoise. « Nous avons fait mieux que le reste de la Suède lorsque l’économie danoise, entre 2000 et 2008, se portait très bien. Aujourd’hui, l’apathie de l’économie d’outre-rive ralentit un peu notre propre développement » , constate Per Tryding.
Pour autant, les différences n’ont pas disparu. Le contraste entre Malmö et Copenhague est évident. Côté danois, on ignore franchement ce qui se passe sur l’autre rive. La ville suédoise est encore contrainte de s’acheter des encarts publicitaires dans les journaux pour vanter ses mérites et inviter les habitants de la capitale danoise à profiter de son offre culturelle. À l’inverse, l’attraction de la capitale danoise est très vive à Malmö, où le quotidien local dédie parfois une double page à un quartier de la grande ville d’en face. Preuve de cette différence d’intérêt, une étude de la Handelskammaren montrait que seulement 28 % des Danois de 18 ans étaient prêts à vivre en Suède alors 48 % des jeunes Suédois se verraient bien vivre de l’autre côté du détroit. Pire, seulement 14 % des jeunes Danois s’imaginent étudier en Suède, alors que l’inverse conviendrait à 42 % des jeunes Suédois. « C’est le fruit de l’attractivité d’une capitale, même si la situation s’améliore » , souligne Per Tryding, qui se souvient aussi du contraste, lors de la construction du pont, entre l’enthousiasme suédois et l’indifférence du public danois.
Il est vrai que Malmö, avec ses 300 000 habitants et son petit centre ancien, fleure bon la province au regard de la débauche commerciale du centre de Copenhague. Pourtant, la ville suédoise est sans doute la vraie bénéficiaire de la construction du pont. En quelques années, la ville s’est rapidement modernisée: la ligne de l’Øresund passe désormais par une voie souterraine qui traverse la ville et dessert non seulement la gare centrale flambant neuve, mais aussi deux autres quartiers qui se développent très vite autour des gares. Du pont même, les voyageurs peuvent, de loin, apercevoir la Turning Torso, tour torsadée de 264 mètres, prouesse architecturale et symbole du dynamisme de la troisième ville de Suède. « Le pont a tout changé » , reconnaît Per Tryding. Les entreprises locales ont été dynamisées par la proximité du Danemark, le réseau d’infrastructures et l’ouverture vers les marchés européens. Tout cela grâce au pont. Malmö a aussi su attirer du Danemark et du reste de la Suède les sièges sociaux de grandes entreprises : le fabricant de jouet Brio, Honda, Sony et surtout Mercedes Benz, qui a installé dans la ville son siège pour la région nordique en quittant le Danemark. « Le pont nous a aidés à accélérer la mutation de la ville, qui a longtemps été marquée par l’industrie traditionnelle et les chantiers navals » , souligne Per Tryding. Cet exemple de « délocalisation » de Copenhague vers Malmö serait-elle alors le signe d’une concurrence entre les deux rives ? « Je dirais non, mais beaucoup répondraient positivement » , admet Per Tryding. Mads Monrad Hansen reconnaît que, côté danois, nombre de politiciens préfèrent voir les entreprises s’installer sur leur propre rive. « C’est un mauvais calcul, car les emplois et la richesse créés profitent aux deux régions » , affirme-t-il en ajoutant que « pour Copenhague, il vaut mieux avoir une entreprise qui s’installe à Malmö qu’à Hambourg, Oslo ou Stockholm » .
Reste que cette concurrence est le signe que l’intégration régionale est encore imparfaite. Il y a d’abord les différences culturelles, qui sont bien présentes entre des Danois jugés plus individualistes, mais plus créatifs, et des Suédois, plus disciplinés. Mais, comme le souligne Per Tryding, les deux caractères sont souvent complémentaires.
Le véritable problème, ce sont les différences des systèmes juridiques, fiscaux et sociaux. Ceux qui travaillent de l’autre côté du détroit doivent faire face à des imbroglios juridiques transnationaux complexes et souvent décourageants.
Sans compter l’évolution des devises qui peut dévaluer ou réévaluer un salaire sans préavis. « Si nous voulons attirer des grandes sociétés asiatiques, par exemple, nous devons leur présenter une masse critique en termes de bassin d’emplois, mais en réalité, à cause des barrières juridiques, cette masse n’existe pas dans les faits », se lamente Mads Monrad Hansen, qui croit que le nombre de frontaliers de l’Øresund pourrait atteindre 100 000 sans ces entraves. Per Tryding, lui, estime plutôt le potentiel à 50000, mais il cite son propre cas lorsque, scientifique au Danemark, il a dû refuser une mission en Suède en raison d’une double imposition. « Il est quasiment impossible d’organiser du travail temporaire entre les deux rives pour des raisons juridiques », souligne-t-il également. À Malmö, on souhaiterait que le gouvernement suédois reconnaisse la particularité d’une région qui pèse 20 % de l’économie nationale. Mais Stockholm ne veut pas en entendre parler. La métropole de l’Øresund est donc encore loin d’être constituée. Depuis 2006, le trafic sur le pont tend à se stabiliser. Comme si le maximum de l’intégration dans les conditions actuelles avait été atteint. Le lien physique a fait son oeuvre. Reste désormais à abattre une frontière vieille de 354 ans. Et c’est une autre histoire.