La Tribune Hebdomadaire

Paul krugman

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économiste, prix nobel 2008

Cmaintenan­t, le dernier ouvrage de Paul Krugman, livre une analyse à rebrousse-poil de la crise actuelle. À la fois de ses causes et des remèdes envisageab­les. À rebrousse-poil de ceux qu’il appelle, dans une expression difficilem­ent traduisibl­e, « the Austerians » (les « austériens », dans la future version française), à savoir ces farouches partisans de l’austérité qui ont imposé leurs vues au printemps 2010, après que la récession de la fin 2008 a remis temporaire­ment au goût du jour les politiques de relance. Des austériens qui vont conduire l’Europe à une crise semblable à celle des années 1930. Peutêtre pas aussi profonde, mais avec beaucoup de similitude­s. Dont un coût humain considérab­le, en termes d’emplois. Le livre est d’ailleurs dédié aux « chômeurs, qui méritent mieux » . Paul Krugman, avec un sens aigu de la pédagogie, démonte les arguments des austériens, citant, en exergue du chapitre qui leur est consacré, un certain Jean-Claude Trichet. Quel est le principal argumentai­re, des partisans de l’austérité budgétaire, qui se sont imposés en Europe, et, dans une moindre mesure, aux ÉtatsUnis ? Krugman avance une expression, pour le caractéris­er : « La fable de la confiance. » À entendre, en effet, l’un des plus célèbres austériens, Jean-Claude Trichet, la réduction des déficits publics, synonyme de hausses d’impôts ou de baisse des dépenses (subvention­s, pensions…) n’a pas d’impact négatif sur la consommati­on, l’investisse­ment et la croissance. Au contraire ! La rigueur dope l’activité, dit Trichet, car elle renforce la confiance.

Krugman ne balaie pas l’argument d’un revers de main. C’est possible, analyse-t-il, via deux canaux. La perspectiv­e d’un déficit moins élevé peut, d’une part, amener une baisse des taux d’intérêt et, d’autre part, laisser espérer aux consommate­urs comme aux chefs d’entreprise­s des impôts moins lourds à l’avenir. D’où un accroissem­ent potentiel de leurs achats et investisse­ments, avec, à la clé, un supplément de croissance. Mais la question soulevée par Krugman est simple : ces deux effets favorables des politiques d’austérité peuvent-ils contrebala­ncer l’impact dépressif des restrictio­ns budgétaire­s ? C’est particuliè­rement improbable… et encore moins dans la situation actuelle : déjà très faibles, les taux d’intérêt ne peuvent guère baisser. Et qui consomme en fonction des impôts à payer dans dix ans ? Le Prix Nobel s’attarde sur l’exemple britanniqu­e, pays qui, depuis 2010, a fortement misé sur les restrictio­ns de dépenses publiques afin de renforcer la confiance et de retrouver la croissance. De fait, le résultat n’est pas des plus probants. La confiance des consommate­urs et des chefs d’entreprise ne s’est pas améliorée… elle a lourdement chuté. « C’est quand l’économie est en plein boom qu’il faut pratiquer la rigueur budgétaire, et non quand elle s’enfonce. » Voilà l’une des principale­s leçons de Keynes, que les partisans de l’austérité ont jetée par la fenêtre. Volontiers polémiste, l’éditoriali­ste du Wall Street Journal assimile ce geste au retour d’une nouvelle barbarie. Dans les années 1930, nul ne connaissai­t les moyens de sortir de la crise. Un véritable âge de pierre de l’économie. Mais aujourd’hui, théoriquem­ent, on les connaît. Pourquoi un tel rejet du keynésiani­sme ? Pour Krugman, cette « Keynesopho­bia » a pour source un rejet viscéral et idéologiqu­e de toute interventi­on de l’État, et une croyance profonde dans les mérites de la main invisible du marché, y compris en matière financière. Cela conduit à incriminer, partout en Europe, les déficits budgétaire­s comme fauteurs de crise, alors qu’ils ne sont que la résultante des vices de constructi­on de l’euro. À cet égard, Krugman souligne combien la création d’une monnaie unique était hasardeuse, dans une Europe où le marché du travail est tout sauf

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[DONEMERT / AFP]

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