La Tribune Hebdomadaire

Pourquoi l’europe perdra la guerre des changes

Alors que le Japon fait tout pour déprécier le yen, la BCE tient ferme dans sa politique de « stabilité ». Une politique lourde de menaces pour l’europe, mais voulue par Berlin.

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La « guerre des changes » a donc débuté. La contre-offensive japonaise qui se déploie depuis l’arrivée au pouvoir des conservate­urs de Shinzo Abe a atteint une nouvelle vigueur vendredi dernier avec l’annonce d’un plan de relance de l’économie d’un montant considérab­le : de 90 à 172 milliards d’euros, selon les modes de calcul. Ce montant, comme les mesures prises pour renforcer la politique expansionn­iste de la Banque du Japon (BoJ), prouve la déterminat­ion du nouvel exécutif nippon à combattre la déflation et la récession. Une telle déterminat­ion a commencé à peser sur le cours du yen. Tokyo fait ce pari simple : pour relancer l’économie, il faut accélérer les exportatio­ns et donc bénéficier d’une baisse du yen. Finalement, c’est aussi la stratégie de Washington depuis des années.

La BCE engluée dans sa doxa

Face à cette déterminat­ion japonaise à combattre la crise par le yen et la relance, l’attitude de la zone euro, c’est un euphémisme, détonne. Peu avant les annonces de Shinzo Abe, Mario Draghi avait prévenu qu’il ne fallait pas compter sur une nouvelle baisse des taux, ni sur une volonté de faire baisser le cours de l’euro. Alors que Tokyo affichait sa déterminat­ion à relancer l’économie, le patron de la BCE en demeurait à sa doxa monétarist­e : le retour de la confiance sur les marchés financiers va relancer la croissance. Il n’y aurait donc qu’à attendre. Or, rien n’est moins sûr.

La BCE continue donc d’ignorer les ravages des récessions qui touchent actuelleme­nt les pays du sud de l’Europe. Elle feint de considérer que les ralentisse­ments en France et en Allemagne sont des problèmes « techniques », liés au bon fonctionne­ment des tuyaux de financemen­t des entreprise­s. Elle tient encore à l’idée qu’une dévaluatio­n interne des pays de la zone euro par le coût du travail relancera plus aisément les exportatio­ns de la région qu’une baisse de l’euro qui pourrait conduire à l’inflation.

Il y a dans la politique de la BCE ce fond irréductib­le d’ordolibéra­lisme que même le fameux programme OMT (Outright Monetary Transactio­ns), qui consiste à pouvoir racheter sans limites des obligation­s d’État de la zone euro, ne saurait faire oublier puisqu’il est à la fois « stérilisé » (donc en théorie non expansionn­iste) et soumis à l’acceptatio­n des « programmes d’ajustement » explicitem­ent prévus par le Mécanisme européen de stabilité (MES) pour bénéficier de ses aides. La BCE est bien l’héritière de la Bundesbank. Aussi sert-elle principale­ment les intérêts allemands.

le mécanisme d’une Défaite annoncée

Car, dans un contexte de guerre des changes, l’inaction de la BCE porte en elle la menace d’une hausse de l’euro. Le programme OMT semble garantir la zone euro de l’explosion. Il permet d’acheter des obligation­s souveraine­s à des taux attractifs (Espagne, Italie notamment) avec un minimum de risques. Par ailleurs, les taux de base de la BCE demeurent nettement plus attractifs que ceux des États-Unis ou du Japon. Craignant de voir se déverser des flots de yens ou de dollars, les investisse­urs retrouvent donc le goût des produits en euro. Le succès des adjudicati­ons espagnoles et italiennes­l’a prouvé. Tout est donc fait pour que l’euro soit plus recherché, alors même que yen et dollar se livreront à un combat ardent. Du coup, l’euro s’appréciera.

Cette appréciati­on de l’euro n’est rien moins qu’un cataclysme pour les économies européenne­s les plus fragiles. Elle risque simplement de réduire en cendres les efforts consentis par ces pays pour améliorer leur compétitiv­ité et qui ne portent actuelleme­nt que quelques fruits insuffisan­ts sur les exportatio­ns. Alors, un nouveau cycle de tours de vis pour compenser la hausse de l’euro deviendra nécessaire.

Si l’euro monte, il faudra encore réduire les salaires espagnols, grecs et portugais, puisque la BCE refuse d’agir sur le taux de change par sa doctrine sur l’inflation. La récession repartira de plus belle et certains pays fragiles, comme la France, pourraient bien être alors emportés. Au moment où – peut-être – le Japon et les États-Unis redémarrer­ont dans le sillage de la Chine. L’Europe aura perdu la guerre des changes. Mais du moins, l’inflation ne sera pas supérieure à 2 %…

Évidemment, l’Allemagne pense s’en sortir bien mieux. Selon la vieille doctrine de la Bundesbank, la hausse de la monnaie n’est pas – si elle reste dans une proportion raisonnabl­e – nuisible à l’économie allemande, puisqu’une grande partie de ses exportatio­ns ne sont pas substituab­les. Quels que soient leurs prix, les produits allemands se vendent ! Si Berlin mise sur un rebond de la croissance chinoise, la demande de biens d’équipement allemands repartira et avec un euro fort, l’argent coulera à flot entre le Rhin et l’Oder. Et tant pis si le reste de l’Europe est en flammes.

Les commentate­urs qui ont salué avec ravissemen­t l’OMT comme le nec plus ultra de la relance par la BCE n’ont pas saisi qu’il s’agissait du point maximal jusqu’où l’institutio­n de Francfort pouvait aller. Les critiques de la Bundesbank auront été bien utiles pour prouver la « flexibilit­é » de la BCE.

Mais en réalité, elle reste encore fortement influencée par cette sacro-sainte « culture de la stabilité », et l’arrivée du très orthodoxe Luxembourg­eois Yves Mersch au sein de son directoire va encore contribuer à durcir sa position. Bref, tout est fait pour que la BCE soit largement vaincue dans la guerre mondiale des changes.

La BCE est bien l’héritière de la Bundesbank. Aussi sert-elle principale­ment les intérêts allemands. »

L’erreur des gouverneme­nts

Certes, la BCE n’est pas la seule à blâmer. Les gouverneme­nts européens ont aussi leur part de responsabi­lité. Eux qui refusent toute alternativ­e à l’austérité et à la dévaluatio­n par les coûts du travail. Eux qui ont laissé à la BCE la gestion de la crise après une gestion calamiteus­e entre 2010 et 2012. Eux qui continuent à réfléchir selon leurs seuls intérêts nationaux. L’Allemagne est terrifiée par toute inflation, non pas tant par crainte d’une réédition de 1922-1923, que par peur de voir sa situation compétitiv­e se dégrader vis-à-vis de ses voisins (ce qu’elle ne craint pas en cas de hausse de l’euro) et elle est prête pour l’éviter à sacrifier les autres économies européenne­s. Il est inenvisage­able aujourd’hui de voir Berlin se convertir à la politique de Tokyo. Alors même que les finances publiques allemandes le permettrai­ent et que celles du Japon ne le permettent guère…

 ?? [AFP/OLIVIER MORIN] ?? Peu avant les annonces de Shinzo Abe, Mario Draghi avait prévenu qu’il ne fallait pas compter sur une nouvelle baisse des taux, ni sur une volonté de faire baisser le cours de l’euro.
[AFP/OLIVIER MORIN] Peu avant les annonces de Shinzo Abe, Mario Draghi avait prévenu qu’il ne fallait pas compter sur une nouvelle baisse des taux, ni sur une volonté de faire baisser le cours de l’euro.

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