La Tribune Hebdomadaire

Je ne sais pas qui est à l’origine de la fraude, mais c’est forcément pas nous. »

- BARTHÉLÉMY AGUERRE,

PRÉSIDENT DE L’ENTREPRISE SPANGHERO pour « pratiques commercial­es trompeuses » : l’opérateur réduisait la bande passante de la box de ses clients afin de diminuer sa propre facture auprès de France Télécom. Free a donc été condamné par le tribunal correction­nel de Paris – les a!aires de tromperie relèvent du pénal – à 100"000 euros d’amende. Un montant important, eu égard aux critères de la DGCCRF. Mais dérisoire pour l’opérateur. C’est tout le problème, a souligné le ministre en charge de la Consommati­on : les amendes sont plafonnées à 187"000 euros pour les sociétés. Alors que, si la fraude est établie par la justice, les propriétai­res de Spanghero ont peut-être gagné jusqu’à un million d’euros en vendant de la viande de cheval en lieu et place de boeuf… La future réforme de la consommati­on pourrait faire porter le plafond du montant des amendes à 1,5 million d’euros ou rendre celles-ci propor- tionnelles. Dans ce cas de figure, le juge pourrait alors aller, par exemple, jusqu’à une amende équivalent­e à 10"% du chi!re d’a!aires.

DEUX MILLE ENQUÊTEURS TOUT-TERRAIN

Les fournisseu­rs d’accès à Internet ne sont pas les seuls en cause. Nombre de sites d’e-commerce ou d’e-tourisme ne sont pas très honnêtes lorsqu’ils publient, par exemple, de faux avis de consommate­urs. C’est une tromperie. Dixsept procès-verbaux ont déjà été dressés à ce titre par la DGCCRF. Un grand site de réservatio­ns d’hôtels est aussi sous le coup d’une enquête. Fin 2011, le tribunal de commerce de Paris avait déjà condamné le groupe Expedia pour informatio­ns trompeuses concernant les réservatio­ns d’hôtels (la disponibil­ité était erronée, afin de favoriser la recherche uniquement sur le site d’Expedia). Au total, la DGCCRF a contrôlé 11"000 sites Internet en 2012, détectant près de 15"% d’anomalies plus ou moins importante­s…

Cette direction du ministère de l’Économie ne se résume cependant pas à son service d’enquêteurs d’élite. La gestion des crises est l’une de ses tâches majeures. Ainsi, quand l’explosion de Fukushima a eu lieu, un dispositif d’urgence a immédiatem­ent été mis en place, afin d’identifier les importatio­ns à risque et mettre en place des contrôles aux frontières. « Nous avons dû faire cela en deux heures », a expliqué la « patronne » de la Concurrenc­e et de la Répression des fraudes, Nathalie Homobono.

Au niveau local, la DGCCRF s’appuie sur plus de 2"000 enquêteurs, chargés de contrôler aussi bien les petits commerces que les hypermarch­és"; 142"000 établissem­ents l’ont ainsi été en 2012. Ces fonctionna­ires exercent aussi des missions encore moins connues du grand public mais essentiell­es pour l’économie et les consommate­urs, comme le contrôle des délais de paiement entre entreprise­s, la surveillan­ce de l’équilibre des relations entre producteur­s et distribute­urs, etc. Ils ont enquêté, par exemple, sur les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants dans l’aéronautiq­ue, l’automobile, le BTP…

Sans oublier la lutte contre les pratiques anticoncur­rentielles. De ce point de vue, le premier C du sigle DGCCRF, la « concurrenc­e », a un peu perdu de sa superbe à Bercy, dans la mesure où c’est l’Autorité de la concurrenc­e, sous l’égide de Bruno Lasserre, qui rend les décisions importante­s, pouvant interdire des rachats d’entreprise en cas de trop forte concentrat­ion. Les enquêtes sont néanmoins conduites par Bercy.

« DÉMOTIVÉS », LES AGENTS FERONT GRÈVE LE 21 MARS

Au-delà de la protection du consommate­ur, la DGCCRF se veut donc une direction des a!aires économique­s, au sens large. Complément­aire du Trésor, préoccupé par les grandes questions monétaires macroécono­miques, elle peut apporter sa connaissan­ce de la réalité bien concrète, de la microécono­mie, autrement dit du terrain. Elle connaît ainsi le fonctionne­ment et les pratiques de chaque secteur d’activité, les marges qui y sont pratiquées, etc.

Pour autant, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette police de la consommati­on et de la concurrenc­e. La « révision générale des politiques publiques », alias RGPP, la fameuse réforme de l’administra­tion voulue par Nicolas Sarkzoy, a mis la DGCCRF sens dessus dessous à l’échelon départemen­tal, autrement dit là où les enquêteurs mènent un travail de terrain.

Afin de rationalis­er les « fonctions support », le gouverneme­nt Fillon a voulu rassembler les diverses administra­tions d’État, ce qui peut se comprendre. Sauf que 500 postes d’enquêteurs ont été supprimés (plus de 14"% des e!ectifs"!) au passage, et que la réforme a placé les agents sous l’autorité de directeurs n’ayant bien souvent aucune compétence économique. Ce qu’avait d’ailleurs dénoncé la ministre de l’Économie en place à l’époque, Christine Lagarde. « On peut voir des anciens directeurs de la Jeunesse et des Sports manager les enquêteurs de la Consommati­on et de la Répression des fraudes », confirme aujourd’hui encore Emmanuel Paillusson, du syndicat Solidaires, la première organisati­on syndicale dans cette administra­tion.

Le résultat"? « Une grande démotivati­on, que mesurent les enquêtes annuelles sur le bien ou le mal-être au travail, et un envol du nombre d’arrêts maladie, précise le syndicalis­te. Avec, pour conséquenc­e, une chute de 20!% de l’activité, mesurée notamment par le nombre des contrôles. » Le 21 mars prochain, les fonctionna­ires de la DGCCRF se mettront en grève. C’est tout juste si Benoît Hamon ne soutient pas leur mot d’ordre. Le ministre n’a cessé de dénoncer les suppressio­ns de postes décidées par le gouverneme­nt précédent et de promettre de sanctuaris­er la DGCCRF. Une véritable histoire d’amour…

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