La Tribune Hebdomadaire

COMMENT REMOTIVER LES ÉPARGNANTS!?

LE CONTEXTE Montée du chômage, pouvoir d’achat en berne, hausse des impôts, incertitud­es sur les retraites… Les Français qui le peuvent mettent de l’argent de côté. Ils préfèrent les placements courts et sans risque comme le livret A. LES ENJEUX Le financ

- IVAN BEST ET MATHIAS THÉPOT

C’est le paradoxe de l’épargne hexagonale : les Français sont apparemmen­t les champions du monde du bas de laine, mais le total de leurs placements se situe largement en dessous des niveaux constatés en GrandeBret­agne ou aux États-Unis, et ils financent donc moins les entreprise­s. Comment rendre cette épargne plus utile pour l’économie et les entreprise­s!? Le rapport que les députés socialiste­s Karine Berger et Dominique Lefebvre remettront au gouverneme­nt le 27 mars tentera d’apporter une réponse.

De fait, si l’on retient les indicateur­s macroécono­miques, avec un taux d’épargne qui dépassera encore les 16!% au cours du premier semestre 2013 (les ménages mettront de côté plus de 16!% de leurs revenus, selon les prévisions de l’Insee), la France est au-dessus de tous les pays industriel­s, sous réserve des di#cultés inhérentes aux comparaiso­ns statistiqu­es.

Ce chi$re doit toutefois être relativisé, car il englobe deux choses : l’achat de logements neufs, assimilé à de l’épargne (9,1!% du revenu), et les flux de placements financiers (7!% du revenu). Ce dernier chi$re correspond mieux à l’idée que l’on se fait de l’acte d’épargner. Il a beaucoup progressé depuis la crise de l’automne 2008. Pas vraiment parce que les particulie­rs ont décidé alors d’augmenter leurs placements. C’est plutôt en raison d’un coup d’arrêt brutal au recours à l’emprunt. Car, quand un particulie­r contracte un crédit à la consommati­on pour acheter une voiture, par exemple, celui-ci vient en déduction de son épargne, du point de vue des statistici­ens. Moins d’emprunt égale donc plus d’épargne. Ce « plus » n’est donc pas si positif, puisqu’il est synonyme d’une consommati­on en berne (au moins la moitié des ventes d’autos neuves se font à crédit).

D’où une remontée depuis 2009 du taux d’épargne en France, e$ectivement beaucoup plus élevé qu’aux États-Unis, où il dépasse à peine le niveau zéro. Cela n’empêche pas les Américains d’accumuler les placements financiers. Le stock de placements détenu par les ménages est beaucoup plus élevé outre-Atlantique : si, en France, il représente 2,69 fois leur revenu disponible, c’est 3,5 fois aux États-Unis, et même 3,9 fois en GrandeBret­agne, selon les dernières statistiqu­es de la Banque de France.

L’explicatio­n tient simplement à l’existence de fonds de pension. L’argent qui y atterrit n’est pas considéré par les statistici­ens comme de l’épargne des ménages, mais il contribue bel et bien au financemen­t de l’économie. Nul n’imagine en France la création de tels fonds ex nihilo. Ne serait-ce que parce qu’il faudrait

16!% des revenus : c’est, selon l’Insee, le taux d’épargne prévisible des ménages français au cours du premier semestre 2013.

demander aux salariés de cotiser deux fois : pour les retraités actuels, et pour eux-mêmes, via ces fonds.

Là n’est donc pas la solution. Elle est plutôt dans la remotivati­on de l’épargnant. Plus que nécessaire : il a quasiment renoncé à tout placement. Les dernières statistiqu­es disponible­s sont édifiantes, de ce point de vue.

LA DÉFIANCE POUR TOUT PLACEMENT NON LIQUIDE

De septembre 2011 à septembre 2012, les ménages n’ont quasiment réalisé aucun placement à moyen ou long termes!! Tout l’argent mis de côté a été conservé sous forme de liquidités (billets et comptes courants), ou sur des livrets défiscalis­és, qui ont connu un succès inattendu. Leur collecte nette (placements moins les retraits) a atteint un record, frôlant les 50 milliards d’euros, soit plus que les trois années précédente­s cumulées…

De fait, la crise a provoqué une défiance à l’égard de tout placement non liquide. « L’épargnant ne craint pas plus le risque qu’avant, estime l’économiste Luc Arrondel, spécialist­e des questions d’épargne. Mais il voit s’accumuler les incertitud­es – marché du travail, évolution des revenus, fiscalité, etc. – et se montre pessimiste sur l’évolution à venir de la Bourse. »

Les Français préfèrent désormais mettre de l’argent de côté pour pouvoir l’utiliser immédiatem­ent en cas de coup dur plutôt qu’épargner sur le long terme, ne serait-ce que pour préparer leur retraite.

La Bourse a perdu 2,4 millions d’actionnair­es individuel­s depuis quatre ans. »

GÉRARD RAMEIX, PRÉSIDENT DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Un problème de fond pour l’économie française qui a plus que jamais besoin d’épargne longue, le moteur essentiel pour son développem­ent économique. L’écart entre les besoins de financemen­t et l’épargne financière devient en effet préoccupan­t, « puisque les acteurs économique­s portent des investisse­ments longs et risqués tandis que les épargnants cherchent des placements courts et sans risque », a pu récemment souligner Gérard Rameix, président de l’Autorité des marchés financiers.

LA CIBLE DÉCISIVE : LES 5!% D’ÉPARGNANTS « RICHES »

Transforme­r des placements à court terme, liquides, en prêts à long terme, c’est notamment le métier des banques, même s’il n’est pas sans risque. Mais les établissem­ents de crédit le font de moins en moins. Car les futures normes réglementa­ires de Bâle III, auxquelles les banques se conforment déjà, leur imposeront de disposer d’une épargne de plus longue durée pour financer des crédits longs. Tout l’objectif du rapport Berger-Lefebvre est donc de remotiver les épargnants. Pas la majorité d’entre eux, qui comptent surtout sur le livret A, mais la minorité de 5!% de « riches » qui réalisent de véritables arbitrages. Il s’agit de les inciter à revenir vers des placements de long terme. Déplacer 20 à 30 milliards d’euros pourrait su"re, estime Karine Berger. Ce qui n’est pas immense, en regard du « stock » de placements, qui a atteint 3!770 milliards d’euros. Pour inciter les épargnants à revenir vers le long terme, le gouverneme­nt dispose en premier lieu de l’arme fiscale. Pour l’instant, l’exécutif n’a fait que renforcer l’attrait des livrets en augmentant leur plafond. La Fédération des associatio­ns indépendan­tes de défense des épargnants pour la retraite (Faider) déplore dans son Livre blanc que « l’épargne non risquée bénéficie de 9 milliards d’euros de dépenses fiscales, quand les placements à risque captent à peine 2,4 milliards d’euros de ces avantages ».

Il ne faut pas s’attendre à ce que le rapport Berger crée une nouvelle carotte fiscale en faveur de l’épargne longue. Il s’agit surtout de mieux lier les avantages fiscaux à un réel investisse­ment à long terme. Très concrèteme­nt, la très faible imposition attachée à l’assurance-vie (7,5!%) ne serait plus accordée huit ans après l’ouverture du contrat, comme c’est le cas aujourd’hui : l’échéance serait calculée en fonction de la date d’investisse­ment. Les sommes devraient rester bloquées réelle- ment pendant huit ans pour bénéficier du taux d’impôt favorable.

Mais même avec une fiscalité adaptée, un e#ort de pédagogie de la part des profession­nels de l’épargne sera indispensa­ble pour faire revenir des épargnants – refroidis par la crise financière de 2008 – vers des produits primordiau­x au développem­ent de l’économie. Il faut dire que « l’impuissanc­e des régulateur­s face à de grands scandales tels que l ’a f f a i r e Madoff ou la manipulati­on du Libor » a fait fuir des épargnants de placements complexes et parfois risqués, estime Gérard Rameix. La Bourse a par exemple perdu « 2,4 millions d’actionnair­es individuel­s depuis quatre ans », observe-t-il.

Le grand défi des conseiller­s patrimonia­ux sera à l’avenir de faire comprendre aux épargnants où va exactement leur argent et de mesurer au mieux le risque qu’ils prennent. Ce, alors que « sept Français sur dix disent se reposer sur leur conseiller financier pour prendre une décision », indique la Faider. Dans le même temps, « un Français sur quatre considère avoir été mal conseillé au cours des trois dernières années », souligne l’associatio­n.

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