La Tribune Hebdomadaire

Les éditeurs de livres scolaires, derniers cancres du numérique

- ISABELLE BOUCQ

L’arrivée des tablettes, plus proches du livre et moins chères, devrait donner un coup de pouce aux manuels scolaires numériques, toujours pénalisés par trois obstacles : le taux d’équipement, la formation des enseignant­s et les financemen­ts. Un nouvel acteur lance un pavé dans la mare des éditeurs historique­s.

Lors du prochain Salon du livre, Editis, deuxième groupe d’édition français, qui comprend entre autres Bordas, Nathan et Le Robert, va mettre le paquet sur le numérique pour montrer au grand public ce qui se passe dans les classes : ENT (espace numérique de travail), TBI (tableau blanc interactif ) et bien sûr manuels numériques.

Chez les six maisons qui dominent l’édition scolaire (Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et Nathan), on reste cependant discret sur le pourcentag­e que représente­nt les manuels numériques. « Un peu plus de 1!% du chi"re d’affaires, avance Pascale Gallou, directrice multimédia chez Hatier. En 2011-2012, le marché du manuel numérique a doublé grâce à des financemen­ts comme le plan école numérique rurale et le catalogue chèque ressources. »

Voici plus de dix ans que les éditeurs investisse­nt dans les nouvelles technologi­es. Souvenez-vous de l’opération Un collégien, un ordinateur portable, lancée dans les Landes dès 2001. De l’aveu de Hatier, qui a participé à l’expériment­ation, on en était alors aux premières réflexions, avec des enrichisse­ments très sommaires. Depuis, tous les éditeurs sans exception se sont mis au numérique. « Depuis 2009, tous nos titres papier sortent aussi en numérique, soit en version standard avec des outils pour la projection en classe, soit en version enrichie », explique Pascale Gallou.

« NI TROP EN AVANCE NI TROP RINGARD… »

Typiquemen­t, la version numérique standard, utilisée en classe entre autres pour alléger les cartables des élèves, est o!erte avec l’achat de la version papier. Les versions enrichies, d’exercices interactif­s par exemple, sont une option payante pour un coût qui tourne, chez Editis, entre 40 et 100 euros par an selon le niveau d’enrichisse­ment. En 2011, Savoir Livre, l’associatio­n regroupant les six principaux éditeurs, a commandité une enquête sur les usages du numérique : près d’un enseignant sur cinq utilisait à l’époque un manuel numérique.

« Il y a une volonté du ministère de l’Éducation nationale, mais les payeurs sont les collectivi­tés locales, fait remarquer Catherine Lucet, directrice générale du pôle éducation et référence chez Editis. On constate que les équipement­s sont hétérogène­s dans les établissem­ents, que travailler en ligne est ralenti par des problèmes de débit et que la mise en place est une question de bonne volonté. »

Pourtant, elle a"rme que toutes les études démontrent que le numérique concourt à la motivation, sinon à la réussite, des élèves. « Nous devons trouver un compromis entre une o"re à la hauteur des attentes, les évolutions technologi­ques et les pratiques possibles », résume Pascale Gallou, qui lancera à la rentrée 2013 une vingtaine de ses meilleures ventes, au collège et au lycée, sur tablettes : « Il ne faut pas être trop en avance ni trop ringard. »

PLATE-FORME ÉDITORIALE POUR WEB COLLABORAT­IF

« Les six éditeurs sont un oligopole. Ils font 99!% de leur chi"re d’a"aires sur le papier. Ils n’ont pas envie que le numérique explose. » Raphaël Taïeb, le jeune directeur général du site Lelivresco­laire.fr, ne mâche pas ses mots. En 2009, il lance cette nouvelle maison d’édition scolaire avec trois autres partenaire­s, dont François-Xavier Hussherr, un professeur qui a participé à l’aventure de l’Internet français. Début 2013, le catalogue de 16 manuels, en version papier payante et en version numérique gratuite, couvrait les quatre matières principale­s au collège.

L’éditeur a développé une plateforme de publicatio­n aujourd’hui commercial­isée auprès d’autres éditeurs, comme Pearson et Vista, sous le nom de Gutenberg Technology. « Les auteurs saisissent leur livre sur la plate-forme. C’est une base de données à partir de laquelle on peut publier pour le papier, Internet, les tablettes, les smartphone­s », explique Raphaël Taïeb.

Les auteurs#? « Nous nous inscrivons dans la tendance du Web collaborat­if, affirme le dirigeant. Des auteurs rémunérés écrivent les livres et des coauteurs apportent des idées, des sources supplément­aires, des exercices. Chaque livre est une collaborat­ion entre de 50 à 250 profs. » « Nous avons un bon retour. On nous dit que ce sont des manuels de ter- rain », rapporte Émilie Blanchard, directrice des collection­s histoiregé­o chez cet éditeur qui surfe aussi sur la vague des logiciels libres.

« Notre grand chantier, ce sont les tablettes, avec des manuels entre 10 à 15 euros, qui seront disponible­s à partir de cet été. Car d’ici trois à cinq ans, les collèges seront équipés. Sur les smartphone­s, nous pensons à autre chose, des fiches de révision, des quiz », annonce Raphaël Taïeb.

Emmanuel Maugard est professeur d’histoire-géo dans les Pays de la Loire. Il a participé à l’écriture des manuels de 5e, 4e et 3e et les utilise en classe. « J’aime que les élèves puissent faire des activités à la maison et je les reçois avant les cours pour savoir quelles di$cultés ils ont rencontrée­s », explique-t-il, convaincu que la multiplica­tion des supports d’apprentiss­age est bénéfique pour la motivation. Pour cet enseignant, pas de doute : papier et numérique resteront complément­aires.

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[WAVEBREAKM­EDIAMICRO - FOTOLIA] Le numérique concourt à la motivation, sinon à la réussite, des élèves.

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