La Tribune Hebdomadaire

Les riches Cairotes filent au vert

- ISABELLE MAYAULT

Afin de décongesti­onner la capitale égyptienne, des ensembles résidentie­ls ont poussé comme des champignon­s au milieu du désert, à quelques dizaines de kilomètres du centre-ville. 6-Octobre est le nom de l’une de ces cités, la plus ancienne. Îlots réservés dans un premier temps aux Cairotes les plus aisés, certains ensembles résidentie­ls sont peu à peu gagnés par la mixité et, comme partout en Égypte, l’informel y reprend ses droits.

BAU CAIRE ienvenue dans Le Caire du futur, où une vie meilleure est possible. » Ce panneau géant qui domine la route sèche, avec en fond la photo d’une villa avec piscine, a dû faire rêver plus d’un Cairote. Échapper à la pollution et à la densité du centre est devenu un fantasme collectif chez les habitants les plus aisés du Caire. Le songe a commencé à prendre corps dans les années 1980, quand des hectares de déserts ont été transformé­s en une succession de villes nouvelles autour de la capitale égyptienne.

L’u n e d ’e l l e s , baptisée 6-Octobre, s’érige à trente kilomètres à l’ouest du Caire, au milieu de nulle part. Pour y accéder, il faut prendre la Ring Road, artère principale qui relie la banlieue de Gizeh et ses célèbres pyramides à la ville satellite. C’est avec ce positionne­ment très marketing – le désert comme nouvel espace de libération – que les villas des ensembles résidentie­ls composant la ville nouvelle ont été mises en vente.

« Derrière ce discours, il y a une peur postmodern­e, une angoisse par rapport à la ville, analyse Nicholas Simcik-Arese, doctorant en géographie à Oxford et spécialist­e de la ville de 6-Octobre. Dans ce récit, Le Caire historique est associé au chaos, à la criminalit­é, au bruit. »

HUIT VILLES NOUVELLES AUTOUR DE LA CAPITALE

Dreamland, Beverly Hills, Utopia : les noms des ensembles résidentie­ls sont évocateurs, la référence est explicite. Ici, ce n’est pas de l’immobilier qu’on vend, mais un art de vivre. « Le but, ce n’est pas simplement de construire une ville au milieu du désert, a!rme Tamer Boutros, responsabl­e des ventes à Haram City, communauté rattachée à l’agglomérat­ion de 6-Octobre. Ce qu’on veut, c’est fournir tous les services possibles, travail inclus, à nos résidents. »

Sur le papier, l’o"re des services est impression­nante : écoles internatio­nales, club de football local, service de recyclage des ordures, activités artistique­s pour les jeunes et, même, des cours de savoir-vivre pour les femmes. « Aujourd’hui, Haram City compte 28!000 habitants. Ils devraient dépasser la barre des 300!000 d’ici à dix ans », assure Tamer Boutros.

Seule contrainte, les nouveaux propriétai­res ne peuvent pas modifier l’aspect extérieur de leur maison sans avoir obtenu, au préalable, une autorisati­on d’Orascom, le promoteur immobilier en charge de Haram City. « Mais des autorisati­ons, on en donne sans problème », assure-t-il.

Lancé en 1977, le programme Villes nouvelles du ministère égyptien du Logement aurait depuis, selon les chiffres officiels, contribué à la création d’une vingtaine de villes sur l’ensemble du territoire national. Dans les faits, pourtant, ce sont essentiell­ement les huit villes construite­s autour

797 euros, c’est le coût de la location d’un appartemen­t de 120 m2 à 6-Octobre, contre 341 euros pour la même surface au centre du Caire.

du Caire qui attirent les investisse­ments, ainsi que le nombre d’habitants le plus significat­if. Selon les projection­s de ce programme, la population de ces villes devrait, d’ici à 2030, constituer la moitié des 30 millions d’habitants de l’agglomérat­ion du Caire.

JUSQU’À 100!% PLUS CHER QUE LE CENTRE DU CAIRE

6- Octobre, 10-de-Ramadan, New Cairo, Sheikh Sayed… Ces nouveaux ensembles ont, à première vue, tout en commun, avec leurs rangées de maisons à deux étages et leurs rutilants espaces verts dissimulés derrière de hauts enclos, selon le modèle de la gated community à l’américaine. Mais la ville de 6- Octobre, doyenne de ces nouvelles villes, créée en 1981, se distingue par… sa taille d’abord, antiélitis­te par essence, puisque son centre-ville est aussi grand que celui du Caire et, en conséquenc­e, par son hétérogéné­ité sociale, de plus en plus marquée.

« Ces espaces sont hors de prix pour l’écrasante majorité des foyers du Caire », observe David Sims, urbaniste et auteur du livre de référence Understand­ing Cairo. De fait, la location mensuelle d’un appartemen­t de 120 m2 avec trois chambres coûte 797 euros à 6-Octobre, contre 341 euros dans le centre du Caire. À l’achat, il en coûte 43#000 euros dans la ville nouvelle et 30#000 euros dans le centre de la capitale pour une superficie et un nombre de chambres équivalent­s.

Autre inconvénie­nt majeur : « Dans la plupart des lotissemen­ts, observe David Sims, il est interdit d’ouvrir des boutiques ou d’installer des bureaux, ce qui empêche de développer une activité et donc de créer des emplois. Conséquenc­e, 50!% des maisons restent inhabitées à l’heure actuelle dans les villes nouvelles. Ce taux est de 63!% dans la ville de 6-Octobre. » Dreamland, la gated community phare de 6-Octobre, qui o!ciellement comprend un parc d’attraction­s, un terrain de golf et un hôtel cinq étoiles, en plus des résidences habituelle­s, demeure aux deux tiers non exploitée.

RETOUR VERS LE RÉEL : DES CHÈVRES ET DES TOUK-TOUK

Car au-delà de ces îlots pour privilégié­s, revendiqué­s comme modèles par les responsabl­es des groupes d’investisse­ment en charge, la réalité économique de la famille cairote moyenne est tout autre. Une réalité palpable dans les rues de Haram City. En deçà des rues vides bordées de maisons identiques, dont l’orientalis­me cliché rappelle le décor du film Aladin de Disney, des échoppes faites de bric et de broc

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[DR] Les Cairotes fortunés apprécient les nouveaux ensembles résidentie­ls de villas en banlieue du Caire. Ici, le panneau annonçant un nouveau programme.

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