La Tribune Hebdomadaire

Olivier Duha

« La France crève de l’ultrarégul­ation du travail. »

- Propos recueillis par Philippe Mabille

Cofondateu­r de Webhelp, entreprise de conseil en relation client de 16 000 salariés, Olivier Duha estime que le Medef n’a pas bien défendu l’entreprise et la compétitiv­ité de la France… et que Laurence Parisot adresse un mauvais message à l’opinion en se représenta­nt. À l’heure du campus de printemps de Croissance Plus organisé à Évian, il sonne l’alarme sur la tentation des entreprene­urs de quitter la France, faute d’un environnem­ent fiscal et social adapté au monde de demain.

La Tribune – De quoi va-t-on parler cette année au Spring ( Campus de Croissance­Plus, qui s’achève ce samedi à Évian ? Olivier Duha – Nous avons décidé pour cette cinquième édition de prendre de la hauteur. Pour les 300 dirigeants d’entreprise conviés pour trois jours à Évian, c’est l’occasion de s’interroger sur les défis géopolitiq­ues, environnem­entaux, sociétaux et énergétiqu­es du monde de demain. Avec une intuition : en 2030, le monde pourrait être à la fois meilleur et pire qu’aujourd’hui, économique­ment plus riche mais aussi plus vulnérable… Pour être un entreprene­ur performant, il faut savoir où l’on va. L’horizon 2030, cela veut dire un monde qui passe de 7 à 8,4 milliards d’habitants, un taux d’urbanisati­on qui double, à 60 %, l’équivalent de cinq villes de la taille de Londres tous les ans… C’est un monde qui va vieillir, avec un appauvriss­ement dans les pays occidentau­x et une montée des flux migratoire­s pour compenser les besoins de maind’oeuvre… C’est aussi un monde de plus en plus dépendant des nouvelles technologi­es. On va vivre de nouvelles révolution­s de l’informatiq­ue : la miniaturis­ation, les réseaux intelligen­ts, la robotisati­on. C’est un mouvement irréversib­le, sans marche arrière. On ne sait plus comment travailler sans Internet. Si un virus bloque Internet, cela peut anéantir l’économie. L’autre défi, c’est la place de l’humain dans tout cela. On va vers un monde où il y aura de plus en plus de matière grise, mais moins d’emplois non qualifiés. Le danger, c’est d’entrer dans une économie sans emploi et sans croissance. Or on ne sait pas penser un monde sans croissance.

L’élection à la présidence du Medef fait débat. Comment cela ( se passe-t‑il chez Croissance­Plus ? J’ai été élu président il y a un an et demi et cela tourne tous les deux ans. Donc je vais bientôt laisser la place. Dès mon arrivée, j’ai fait changer les statuts pour raccourcir le mandat qui auparavant était de deux ans plus un an. Tous les entreprene­urs de Croissance­Plus sont en activité avec de belles boîtes à gérer. Un mandat court et non renouvelab­le, cela crée du dynamisme et de l’émulation. Je trouve assez triste ce qui se passe au Medef et c’est un bien mauvais message adressé à l’opinion au moment où la perception de l’entreprise et du comporteme­nt de certains dirigeants n’a jamais été aussi négative, ce qui fait du mal à notre économie. La patronne des patrons devrait être plus soucieuse de l’exemplarit­é qu’elle doit incarner. C’est d’autant plus dommageabl­e que le bilan du Medef n’est pas suffisamme­nt bon. L’entreprise et la compétitiv­ité n’ont pas été bien défendues face aux différents gouverneme­nts qui se sont succédé depuis huit ans. Le Medef porte une énorme responsabi­lité pour avoir laissé la situation se dégrader et n’avoir pas mis suffisamme­nt la pression pour remettre en cause la loi sur les 35 heures, qui a fait déraper le coût horaire du travail.

Que pensez-vous de l’accord sur l’emploi entre les syndicats ( et le patronat ? L’accord sur l’emploi dont on se gargarise est important mais pas historique. On a évité le vrai sujet qui était de rendre plus souple notre droit du travail et de donner aux entreprise­s un environnem­ent qui leur permette d’avancer plus vite. De nombreux entreprene­urs me disent qu’ils n’osent pas embaucher. Pourquoi ne pas expériment­er, comme dans le bâtiment, le contrat de travail attaché à une mission ? Cela permettrai­t de sauver des emplois mais aussi d’en créer. Notre conviction, c’est que la France crève de l’ultra-régulation du travail. Avant, le monde était simple : les gros mangeaient les petits ; aujourd’hui, ce sont les rapides qui mangent les lents. Les entreprise­s qui s’en sortent sont celles qui sont agiles. Et pour l’être, il faut bénéficier d’un environnem­ent qui favorise cette capacité d’adaptation rapide. La France avance avec des boulets aux pieds… Lors du récent voyage de François Hollande à Dijon, le dirigeant de la société Urgo lui a offert un cas d’école exemplaire. Urgo a développé un nouveau gaz cicatrisan­t en 2010. Il a obtenu l’autorisati­on de mise sur le marché en un mois en Allemagne et en six mois en Angleterre. En France il faudra quatre ans… Du coup, cet entreprene­ur doit expliquer pourquoi son produit est vendu partout sauf chez nous… On dit que c’est à la suite de cette rencontre que le président de la République a décidé d’agir par ordonnance­s pour simplifier les normes qui bloquent l’économie… Quelle meilleure démonstrat­ion que le temps politique n’est plus adapté à celui de l’économie !

Qu’attendez-vous de ( François Hollande ? Ce que je constate, c’est qu’il y a un diagnostic très largement partagé sur les maux de notre économie et aussi sur les remèdes. Ce qui manque, c’est du courage politique. Il est vrai qu’à force de tergiverse­r il n’y a aucune bonne nouvelle à annoncer aux Français. Il n’y a rien de populaire à flexibilis­er le marché du travail, à augmenter sa durée ou à réduire la dépense publique. Mais c’est pourtant nécessaire. Il nous manque un leader déterminé à agir et qui ne soit pas obnubilé par sa réélection.

Bernard Charlès dit que Dassault Systèmes va devoir quitter ( la France et que le niveau des impôts est en train de casser l’économie numérique. C’est votre avis ? Pour Dassault Systèmes, la question centrale est de pouvoir attirer les meilleurs talents. Il dit que ce n’est plus possible dans le cadre fiscal actuel. Surtout que le gouverneme­nt n’a pas renoncé à la taxe à 75 % et va la réintrodui­re sous une autre forme. En surtaxant les stock-options, on a tué une mesure qui dans son principe réconcilia­it le capital et le travail, et ce à cause de cinq ou six mauvais exemples donnés par des entreprise­s du CAC 40, alors que c’était à l’origine un dispositif fait pour les start-up et les entreprise­s innovantes. Qu’on ne vienne pas se plaindre ensuite que des centaines d’entreprene­urs choisissen­t l’exil. Les jeunes qui partent le font parce qu’ils pensent qu’on ne les encourage pas à réussir en France.

Ce qui manque, c’est du courage politique. […] Le temps politique n’est plus adapté à celui de l’économie ! »

La taxe sur les plus-values qui a fait se lever un vol de « Pi( geons » sera-t‑elle corrigée ? Le gouverneme­nt a reconnu avoir fait une erreur mais n’a pas réussi à corriger le tir, car, en créant un statut de « vrai entreprene­ur », il fabrique de nouvelles inégalités. Pourquoi différenci­er le traitement fiscal d’un créateur d’entreprise de celui de ses salariés qu’il a associés à son capital? Quand le premier pourra être taxé à 35,5 %, les autres le seront à plus de 60 %. Pourtant, ils ont pris eux aussi un risque. Ce que l’on attend des Assises de l’entreprene­uriat, qui devraient rendre leurs conclusion­s en avril, c’est que l’on considère la nature de l’investisse­ment, et pas celle de l’investisse­ur. J’espère qu’il y aura dans le PLF pour 2014 une correction majeure de la fiscalité des plus-values. Cette mesure est d’autant plus absurde que, comme les 75 % d’IR, elle ne rapporte presque rien au budget de la France.

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Le président de l’associatio­n patronale Croissance­Plus sonne l’alarme sur la tentation des entreprene­urs de quitter la France.
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[Dahmane] Selon Olivier Duha, «Les jeunes [entreprene­urs] qui partent le font parce qu’ils pensent qu’on ne les encourage pas à réussir en France ».

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