Olivier Duha
« La France crève de l’ultrarégulation du travail. »
Cofondateur de Webhelp, entreprise de conseil en relation client de 16 000 salariés, Olivier Duha estime que le Medef n’a pas bien défendu l’entreprise et la compétitivité de la France… et que Laurence Parisot adresse un mauvais message à l’opinion en se représentant. À l’heure du campus de printemps de Croissance Plus organisé à Évian, il sonne l’alarme sur la tentation des entrepreneurs de quitter la France, faute d’un environnement fiscal et social adapté au monde de demain.
La Tribune – De quoi va-t-on parler cette année au Spring ( Campus de CroissancePlus, qui s’achève ce samedi à Évian ? Olivier Duha – Nous avons décidé pour cette cinquième édition de prendre de la hauteur. Pour les 300 dirigeants d’entreprise conviés pour trois jours à Évian, c’est l’occasion de s’interroger sur les défis géopolitiques, environnementaux, sociétaux et énergétiques du monde de demain. Avec une intuition : en 2030, le monde pourrait être à la fois meilleur et pire qu’aujourd’hui, économiquement plus riche mais aussi plus vulnérable… Pour être un entrepreneur performant, il faut savoir où l’on va. L’horizon 2030, cela veut dire un monde qui passe de 7 à 8,4 milliards d’habitants, un taux d’urbanisation qui double, à 60 %, l’équivalent de cinq villes de la taille de Londres tous les ans… C’est un monde qui va vieillir, avec un appauvrissement dans les pays occidentaux et une montée des flux migratoires pour compenser les besoins de maind’oeuvre… C’est aussi un monde de plus en plus dépendant des nouvelles technologies. On va vivre de nouvelles révolutions de l’informatique : la miniaturisation, les réseaux intelligents, la robotisation. C’est un mouvement irréversible, sans marche arrière. On ne sait plus comment travailler sans Internet. Si un virus bloque Internet, cela peut anéantir l’économie. L’autre défi, c’est la place de l’humain dans tout cela. On va vers un monde où il y aura de plus en plus de matière grise, mais moins d’emplois non qualifiés. Le danger, c’est d’entrer dans une économie sans emploi et sans croissance. Or on ne sait pas penser un monde sans croissance.
L’élection à la présidence du Medef fait débat. Comment cela ( se passe-t‑il chez CroissancePlus ? J’ai été élu président il y a un an et demi et cela tourne tous les deux ans. Donc je vais bientôt laisser la place. Dès mon arrivée, j’ai fait changer les statuts pour raccourcir le mandat qui auparavant était de deux ans plus un an. Tous les entrepreneurs de CroissancePlus sont en activité avec de belles boîtes à gérer. Un mandat court et non renouvelable, cela crée du dynamisme et de l’émulation. Je trouve assez triste ce qui se passe au Medef et c’est un bien mauvais message adressé à l’opinion au moment où la perception de l’entreprise et du comportement de certains dirigeants n’a jamais été aussi négative, ce qui fait du mal à notre économie. La patronne des patrons devrait être plus soucieuse de l’exemplarité qu’elle doit incarner. C’est d’autant plus dommageable que le bilan du Medef n’est pas suffisamment bon. L’entreprise et la compétitivité n’ont pas été bien défendues face aux différents gouvernements qui se sont succédé depuis huit ans. Le Medef porte une énorme responsabilité pour avoir laissé la situation se dégrader et n’avoir pas mis suffisamment la pression pour remettre en cause la loi sur les 35 heures, qui a fait déraper le coût horaire du travail.
Que pensez-vous de l’accord sur l’emploi entre les syndicats ( et le patronat ? L’accord sur l’emploi dont on se gargarise est important mais pas historique. On a évité le vrai sujet qui était de rendre plus souple notre droit du travail et de donner aux entreprises un environnement qui leur permette d’avancer plus vite. De nombreux entrepreneurs me disent qu’ils n’osent pas embaucher. Pourquoi ne pas expérimenter, comme dans le bâtiment, le contrat de travail attaché à une mission ? Cela permettrait de sauver des emplois mais aussi d’en créer. Notre conviction, c’est que la France crève de l’ultra-régulation du travail. Avant, le monde était simple : les gros mangeaient les petits ; aujourd’hui, ce sont les rapides qui mangent les lents. Les entreprises qui s’en sortent sont celles qui sont agiles. Et pour l’être, il faut bénéficier d’un environnement qui favorise cette capacité d’adaptation rapide. La France avance avec des boulets aux pieds… Lors du récent voyage de François Hollande à Dijon, le dirigeant de la société Urgo lui a offert un cas d’école exemplaire. Urgo a développé un nouveau gaz cicatrisant en 2010. Il a obtenu l’autorisation de mise sur le marché en un mois en Allemagne et en six mois en Angleterre. En France il faudra quatre ans… Du coup, cet entrepreneur doit expliquer pourquoi son produit est vendu partout sauf chez nous… On dit que c’est à la suite de cette rencontre que le président de la République a décidé d’agir par ordonnances pour simplifier les normes qui bloquent l’économie… Quelle meilleure démonstration que le temps politique n’est plus adapté à celui de l’économie !
Qu’attendez-vous de ( François Hollande ? Ce que je constate, c’est qu’il y a un diagnostic très largement partagé sur les maux de notre économie et aussi sur les remèdes. Ce qui manque, c’est du courage politique. Il est vrai qu’à force de tergiverser il n’y a aucune bonne nouvelle à annoncer aux Français. Il n’y a rien de populaire à flexibiliser le marché du travail, à augmenter sa durée ou à réduire la dépense publique. Mais c’est pourtant nécessaire. Il nous manque un leader déterminé à agir et qui ne soit pas obnubilé par sa réélection.
Bernard Charlès dit que Dassault Systèmes va devoir quitter ( la France et que le niveau des impôts est en train de casser l’économie numérique. C’est votre avis ? Pour Dassault Systèmes, la question centrale est de pouvoir attirer les meilleurs talents. Il dit que ce n’est plus possible dans le cadre fiscal actuel. Surtout que le gouvernement n’a pas renoncé à la taxe à 75 % et va la réintroduire sous une autre forme. En surtaxant les stock-options, on a tué une mesure qui dans son principe réconciliait le capital et le travail, et ce à cause de cinq ou six mauvais exemples donnés par des entreprises du CAC 40, alors que c’était à l’origine un dispositif fait pour les start-up et les entreprises innovantes. Qu’on ne vienne pas se plaindre ensuite que des centaines d’entrepreneurs choisissent l’exil. Les jeunes qui partent le font parce qu’ils pensent qu’on ne les encourage pas à réussir en France.
Ce qui manque, c’est du courage politique. […] Le temps politique n’est plus adapté à celui de l’économie ! »
La taxe sur les plus-values qui a fait se lever un vol de « Pi( geons » sera-t‑elle corrigée ? Le gouvernement a reconnu avoir fait une erreur mais n’a pas réussi à corriger le tir, car, en créant un statut de « vrai entrepreneur », il fabrique de nouvelles inégalités. Pourquoi différencier le traitement fiscal d’un créateur d’entreprise de celui de ses salariés qu’il a associés à son capital? Quand le premier pourra être taxé à 35,5 %, les autres le seront à plus de 60 %. Pourtant, ils ont pris eux aussi un risque. Ce que l’on attend des Assises de l’entrepreneuriat, qui devraient rendre leurs conclusions en avril, c’est que l’on considère la nature de l’investissement, et pas celle de l’investisseur. J’espère qu’il y aura dans le PLF pour 2014 une correction majeure de la fiscalité des plus-values. Cette mesure est d’autant plus absurde que, comme les 75 % d’IR, elle ne rapporte presque rien au budget de la France.