La Tribune Hebdomadaire

LES COLECTIVIT­ÉS LO CALES AU PAIN SEC ET À L’EAU

Maillage En additionna­nt leur contributi­on à la réduction du déficit public au financemen­t du crédit d’impôt compétitiv­ité emploi, les collectivi­tés vont voir baisser leurs dotations de 4,5 milliards entre 2013 et 2015. Dans la ligne de mire de Bercy, les

- Jean-pierre Gonguet

Vues de loin, de Bercy, de la Place Beauvau ou de la Rue Cambon, les communes françaises sont des anachronis­mes de gestion, des îlots de gabegie dans un monde de rigueur. Donc, depuis que l’on sait qu’il faut trouver 3 milliards d’euros supplément­aires d’économies en 2014 et 2015 dans les collectivi­tés, le bloc communal (les communes, les intercommu­nalités et les villes petites, moyennes et grandes) est devenu la cible idéale. Avec sa manne de 220 milliards d’euros, il est, de toute façon, dans la ligne de mire de Bercy depuis belle lurette.

Depuis 2005, par exemple, la Cour des comptes souligne avec une régularité métronomiq­ue des carences du système intercommu­nal : depuis la loi Chevènemen­t de 1999, les communes engagées dans une i ntercommun­alité devraient, avec les économies d’échelle induites, gérer bien mieux leurs investisse­ments et leur masse salariale. Or rien n’arrive. Les magistrats de la Rue Cambon dénoncent « une mutualisat­ion [qui] demeure encore embryonnai­re, très sectorisée […]. Un constat d’autant plus préoccupan­t que le mouvement intercommu­nal s’est traduit par une forte progressio­n des dépenses de personnel communauta­ires sans diminution des dépenses des communes membres ».

Depuis 1999, il n’y a eu que des embauches

Non seulement le mouvement vers l’intercommu­nalité est lent (près de 3 millions de Français ne sont toujours pas dans une intercommu­nalité début 2013 alors que le territoire devrait être couvert début 2014 en dehors de l’Îlede-France), mais il est inflationn­iste en termes d’effectifs. Les intercommu­nalités créent des emplois, et c’est logique puisque

À quoi cela rime-t-il de financer le crédit d’impôt en fermant le robinet des investisse­ments ? »

Jacqueline Gourault,

sénatrice de Loir-et-Cher

les communes leur transfèren­t des compétence­s. Les communes, elles, ne suppriment pas forcément les effectifs correspond­ant aux compétence­s transférée­s et parfois même elles embauchent, pour la plus grande exaspérati­on de Bercy !

C’est simple, bon an mal an, les effectifs de la fonction publique territoria­le ont augmenté de près de 35 000 personnes chaque année, de 2008 à 2010 (en dehors des transferts de personnels liés à la décentrali­sation du gouverneme­nt Raffarin). Pas une seule structure publique locale n’a, selon l’Insee, perdu d’employé depuis 1999. Toutes ont embauché. Certes, on note que, dans les intercommu­nalités, la progressio­n en effectifs est moins forte que dans les communes qui sont restées isolées et que la part des salaires dans les premières est nettement moins élevée que dans les secondes (21 % contre 54 %).

Mais les maires et présidents des intercommu­nalités ou des communauté­s de communes vont devoir faire un gros effort car il est incompréhe­nsible que lorsque les dépenses des intercommu­nalités augmentent, celles des communes le fassent également, comme c’est le cas depuis 1999.

Comme le dit un le patron d’une associatio­n d’élus, « on a un peu de retard à l’allumage, mais on ne mérite pas forcément d’être couvert d’opprobre : le niveau des dépenses communales est resté constant depuis le début des années 1990 et nous sommes dans un monde de normes de plus en plus lourdes, dans un monde de dépenses contrainte­s ».

Jacqueline Gourault, sénatrice centriste (Modem), l’une des meilleures spécialist­es du monde touffu des collectivi­tés locales, l’explique très bien. Elle est maire de La Chaussée-Saint-Victor (Loir-et-Cher) depuis 1989 : « Lorsque j’ai été élue, il y avait 48 personnes à la mairie. Aujourd’hui, il y en a toujours 48. Pourtant, nous avons fait la communauté de communes, puis une intercommu­nalité en 2001. On a énormément mutualisé, mais le personnel n’a jamais diminué à La Chaussée-Saint-Victor. La population est en effet passée de 3 200 à 4 400 habitants sous mon mandat, nous avons ouvert trois classes de plus, la polycliniq­ue de Blois s’est installée sur notre territoire, ce qui suppose des infrastruc­tures et du personnel – rien que pour cela j’ai deux personnes de plus à l’état civil –, nous avons à nous occuper de la jeunesse, etc. Les besoins de la population ont augmenté, on ne peut pas supprimer d’effectifs, impossible, on peut juste stabiliser ! »

« On est obligé de créer des emplois ! »

Les crèches, la petite enfance, c’est de la compétence des communes. Les maires, les présidents d’intercommu­nalités reconnaiss­ent que, s’ils en ont trop fait avec les ronds-points ou les gendarmes couchés, ils ne peuvent baisser les investisse­ments pour les enfants ou les personnes âgées, bien au contraire.

Loïc Cauret, le maire socialiste de Lamballe, est un précurseur puisqu’il est à la tête de la seule intercommu­nalité des Côtesd’Armor (et l’une des rares de Bretagne). Dix ans d’avance sur tout le monde. Mais il est passé de 250 à 480 emplois (à peu près 400 équivalent­s temps plein), « tout simplement parce qu’il y a 100 personnes du centre d’action sociale pour s’occuper de l’aide aux personnes âgées sur le territoire de toutes les communes et sur leur maintien à domicile, explique-t‑il, avant de souligner : Il faut bien comprendre que les premières vagues de communauté­s de communes puis d’intercommu­nalités n’avaient pas pour but de faire des économies, mais de répondre à de nouveaux besoins. On est obligé de créer des emplois, car il faut répondre à des besoins qui ont changé et qui augmentent. Nous avons une population vieillissa­nte dont il faut s’occuper. »

L’interrogat­ion : comment les maires et les présidents des intercommu­nalités vont-ils s’adapter à la nouvelle donne ? Tomber dans la facilité est une hypothèse possible. « Trois milliards supplémen-

 ?? [ALAIN LE BOT/AFP] ?? À un an des municipale­s, pas question pour les maires de France de couper dans les dépenses sociales ou éducatives, auxquelles tiennent les électeurs.
[ALAIN LE BOT/AFP] À un an des municipale­s, pas question pour les maires de France de couper dans les dépenses sociales ou éducatives, auxquelles tiennent les électeurs.

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