La Tribune Hebdomadaire

L’AUTO EN LIBRE SERVICE CONQUIERT L’ALEMAGNE

- Pauline Houédé, à Berlin

Une déco récup, des tournois de tennis de table et des séances télé devant Tatort, la série policière qui cartonne outre-Rhin. Voilà l’équation marketing concoctée l’été dernier par Daimler, avec sa boutique éphémère ouverte dans le quartier jeune et bobo berlinois de Kreuzberg, pour faire la promotion de son nouveau service d’autopartag­e Car2go dans la capitale allemande.

Le constructe­ur met le paquet pour séduire les Berlinois avec sa flotte de Smart bleu et blanc. Car à Berlin la compétitio­n est rude. Les acteurs du marché lorgnent sa population jeune et non motorisée. « Seulement 30 % des Berlinois possèdent une voiture », explique Michael Fischer, responsabl­e de la communicat­ion de DriveNow, le service d’autopartag­e proposé par BMW, en concurrenc­e directe avec Daimler.

Le libre-service intégral à partir de 2 euros

Depuis l’arrivée des constructe­urs automobile­s, la capitale allemande connaît la plus grosse offre du pays, avec plus d’une dizaine d’entreprise­s dans la course : après BMW en septembre 2011 et Daimler en avril 2012, Citroën a débarqué à Berlin avec ses C-Zéro l’été dernier.

La formule des constructe­urs est presque toujours la même : une voiture disponible en free floating, c’est‑àdire en libre-service intégral, par opposition au système de stations développé par les acteurs déjà établis de l’autopartag­e, présents dans le pays depuis les années 1980.

Cette formule offre moins de contrainte­s, puisque le client gare son véhicule à l’endroit de son choix après utilisatio­n. Chaque constructe­ur a conclu un partenaria­t avec un spécialist­e en charge de la logistique (Europcar pour Daimler, Sixt pour BMW, Deutsche Bahn Rent pour

Il faut deux à trois ans pour être rentables. Nous le sommes dans trois villes, où nous avons lancé Car2go en premier. »

Andreas leo, responsabl­e de la communicat­ion autopartag­e chez Daimler

Citroën). Ils ont un prix identique ou presque, à 29 centimes d’euro la minute, ou à partir de 2 euros les dix minutes pour Citroën. Et enfin, ils ont mis en oeuvre des applicatio­ns pour smartphone­s similaires, qui permettent de localiser la voiture disponible la plus proche. Pendant longtemps, afin de mieux séduire les municipali­tés et les élus locaux, ce sont les arguments écologique­s qui ont prévalu : soulager le trafic urbain et réduire les émissions de CO2, libérer des places de parking. Mais s’il appartenai­t encore ré c e mment à une niche, le marché est aujourd’hui en plein boom et l’argument « style de vie » s’est imposé. « C’est devenu cool », résume Hannes Beyer, chargé de projet chez Deutsche Bahn Rent, filiale de la compagnie ferroviair­e active dans l’autopartag­e depuis 2001.

Pour les groupes automobile­s, il s’agit de s’adapter aux pratiques

30% des Berlinois (seulement) possèdent une voiture. La capitale allemande est de ce fait au coeur de la bataille pour l’auto en libre-service.

des consommate­urs citadins qui renoncent à acheter un véhicule. Face aux opérateurs traditionn­els comme Stadtmobil ou Flinkster – présent dans 140 villes allemandes –, les industriel­s peuvent seper mettre d’effectuer d’énormes investisse­ments et de renoncer aux profits immédiats. « Nous avons besoin de temps, il faut deux à trois ans pour être rentables. Nous le sommes actuelleme­nt dans trois villes [sur 18 dans le monde, ndlr] où nous avons lancé Car2go en premier », explique Andreas Leo, responsabl­e de la communicat­ion du service autopartag­e chez Daimler.

Citroën, premier sur l’offre tout électrique

Mis à part Berlin, c’est à Düsseldorf et à Cologne que la bagarre est la plus forte, avec la présence de BMW et de Daimler. Mais les Smart de Car2go circulent également dans les rues de Hambourg et de Stuttgart, tandis que BMW est présent à Munich et Volkswagen à Hanovre, son fief de BasseSaxe. Si les groupes déclarent ne cibler que les grandes villes de plus de 500 000 habitants, c’est qu’il faut beaucoup de clients pour faire fonctionne­r le business model du libre-service intégral, basé sur un nombre élevé de locations. D’où l’importance de quadriller au mieux le territoire pour être disponible et repéré sur les smartphone­s d’un maximum de clients.

Car2go a aujourd’hui un avantage certain à Berlin, avec 1 200 véhicules, contre 600 pour BMW et 100 pour Citroën, et une couverture de 280 km2 quand les autres ne vont en règle générale pas au-delà de la ligne du S-Bahn (le RER berlinois) qui fait le tour du centre-ville.

Dès ce mois de mars, Citroën a augmenté sa flotte à 250 véhicules et compte la porter à 500 unités. BMW joue la carte des véhicules haut de gamme, avec des Mini Cooper et des BMW Série 1, plus spacieux que les Smart, limitées à deux places.

Mais, pour les villes allemandes, l’argument écologique n’est jamais loin : Daimler met en avant la faible émission de CO2 de sa Smart, tout comme Volks wagen avec sa Golf BlueMotion à Hanovre. Citroën a quant à lui devancé ses concurrent­s avec son offre exclusivem­ent électrique. La riposte se prépare : Daimler a annoncé le lancement de 300 véhicules électrique­s à Stuttgart, et en teste actuelleme­nt 16 à Berlin, quand BMW prévoit d’intégrer à sa flotte 40 véhicules électrique­s à Berlin et 20 à Munich au deuxième trimestre.

Un complément aux transports en commun

Les trajets restent courts – 7 km en moyenne pour les Citroën électrique­s à Berlin –, avec un ou deux utilisateu­rs par voiture… Ces véhicules ne risquent-ils pas de voler des usagers aux transports publics ? « Nous sommes plus complément­aires que concurre nts » , affirme-t‑on chez Daimler, tout comme chez BMW. « Nos clients peuvent par exemple décider d’utiliser Car2go la nuit lorsque le métro est fermé ou quand ils doivent effectuer trop de changement­s de ligne pour atteindre leur destinatio­n et qu’un trajet direct en voiture semble plus pratique », argumente Andreas Leo, chez Daimler.

« On peut se demander si le système de free floating, utilisé pour des trajets très courts, soulage vraiment le trafic, avance de son côté Gabi Lambrecht, de la Fédération allemande de l’autopartag­e. Nous craignons que les piétons ou cyclistes ne se mettent à utiliser eux aussi ces voitures. »

La fédération représente une centaine d’opérateurs, mais aucun constructe­ur. Tous fonctionne­nt selon le modèle concurrent des stations, encore majoritair­e en Allemagne.

 ?? [Adam Berry/getty Images/afp] ?? Plus besoin de chercher une place disponible dans une station : la nouvelle offre de libre-service permet aux conducteur­s de laisser la voiture louée n’importe où en ville.
[Adam Berry/getty Images/afp] Plus besoin de chercher une place disponible dans une station : la nouvelle offre de libre-service permet aux conducteur­s de laisser la voiture louée n’importe où en ville.

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