La Tribune Hebdomadaire

«L’energiewen­de », épouvantai­l ou modèle?

- Dominique Pialot

Le « tournant énergétiqu­e » que l’Allemagne a entamé il y a quelques années a représenté une transition radicale qui plane aujourd’hui sur le débat français. Malgré des situations différente­s, les deux pays font face à des défis semblables.

Proximité géographiq­ue et interconne­xion des réseaux obligent, les politiques énergétiqu­es adoptées en Allemagne ne sont pas neutres pour la France. Mais si les regards français sont rivés sur nos voisins, c’est d’abord parce qu’ils ont déjà entamé leur Energiewen­de, un virage radical devant aboutir d’ici à 2022 à une sortie définitive du nucléaire.

Huit des 17 réacteurs allemands sont déjà à l’arrêt et, en dix ans, le pays a installé 25 gigawatts (GW) d’énergies renouvelab­les (EnR), qui lui fournissen­t 23 % de son électricit­é (24 % pour le nucléaire) et ont créé près de 400 000 emplois. Mais à quel prix ? 18 milliards d’euros pour soutenir les EnR en 2012, intégralem­ent répercutés sur les consommate­urs. Majoritair­ement favorables à cette transition, les Allemands, qui paient leur électricit­é près de deux fois plus cher que les Français, commencent néanmoins à trouver la note salée !

Et ce n’est pas fini. Le gouverneme­nt a récemment évoqué une baisse de ces subvention­s, alors qu’on estime à 200 milliards d’euros d’ici à 2020 les investisse­ments nécessaire­s dans les réseaux de transport et de distributi­on, pour absorber la production intermitte­nte de ces énergies (dont une part est aujourd’hui perdue lors des pics de production) et pour transporte­r l’électricit­é depuis les fermes éoliennes du Nord vers les lieux de consommati­on du Sud. 2000 km supplément­aires doivent être construits, mais seulement 200 km sont sortis de terre depuis 2009. En plus des coûts, les opérateurs affrontent l’hostilité des riverains face aux lignes à haute tension !

750 coopérativ­es, 800 régies locales

Enfin, le recours prévu à environ 42 GW de nouvelles centrales thermiques (sachant que le charbon est plus rentable que le gaz) pour assurer la transition vers la fin du nucléaire menace l’engagement de réduire de 40% les émissions de CO2 entre 1990 et 2020.

Malgré tout, certaines initiative­s allemandes pourraient filtrer dans la transition énergétiqu­e française. « Malgré la différence de prix, grâce à des équipement­s plus performant­s et à des comporteme­nts plus sobres, la facture des ménages allemands ne dépasse pas celle des Français », note Andreas Rudinger, chercheur à l’Iddri. Or l’implicatio­n des Allemands est très liée à la décentrali­sation de l’énergie : 750 coopérativ­es de production, 800 régies locales de distributi­on, des capacités d’énergies renouvelab­les détenues à 40 % par des particulie­rs contre 7 % pour les quatre principaux énergétici­ens… « Si la décentrali­sation est un enjeu du débat en France, il faut s’en donner les moyens, observe Andreas Rudinger. Par exemple en revenant sur l’interdicti­on des régies municipale­s qui date de 1946… »

Parmi les défis semblables des deux côtés du Rhin, la rénovation thermique des bâtiments. Si l’Allemagne ne consacre que 1,5 milliard d’euros par an à l’efficacité énergétiqu­e, le mode de financemen­t de la rénovation, dans lequel la banque publique KfW joue un rôle central, inspire les experts français qui planchent sur le sujet.

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[JOHN MACDOUGALL/AFP] La fin du nucléaire allemand signifie recours accru aux centrales thermiques et augmentati­on des émissions de CO2…

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