La Tribune Hebdomadaire

Changer de modèle énergétiqu­e, vite !

- l’oeil de philippe mabille

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Il faudra contourner des “vaches sacrées” et cesser de se focaliser sur le nucléaire. »

énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas. C’est en vertu de ce principe de bon sens que se dessine la transition énergétiqu­e. En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées, disait-on au bon vieux temps de la « chasse au gaspi », le slogan gouverneme­ntal de l’après-choc pétrolier de 1973. Depuis la fin des années 1970, le monde a bien changé. L’énergie, nous sommes de plus en plus nombreux à en avoir besoin. 7 milliards, bientôt 9 milliards d’habitants sur terre. Comme le répète souvent Christophe de Margerie, le patron de Total, du pétrole, il y a en a plein… La question est le prix que nous sommes prêts à payer pour l’extraire. Aujourd’hui, on va de plus en plus loin et de plus en plus profond. Pétrole, gaz et charbon, les énergies carbonées resteront encore longtemps majoritair­es dans le mix énergétiqu­e de la planète. Le défi, pour les pays qui n’en ont pas, est donc sans ambiguïté. Pour compenser la hausse du prix de l’énergie, nous devons nous accoutumer à en consommer moins pour les transports, le logement et l’industrie.

La France a dans ce cadre une situation particuliè­re. Ses puits de pétrole à elle, ce sont les 58 réacteurs nucléaires répartis dans 19 centrales construite­s dans les années de vaches grasses pour assurer son indépendan­ce énergétiqu­e. Ce fut un choix de raison malgré les risques associés, mais, en fait d’indépendan­ce, le nucléaire ne couvre en réalité que le cinquième de nos besoins en énergie. Il nous permet toutefois de bénéficier d’un avantage compétitif de taille : un prix de l’électricit­é inférieur de moitié à celui payé en Allemagne, notre principal compétiteu­r.

Le problème, que révèle bien le débat sur la transition énergétiqu­e, c’est que ce prix n’a aucune vertu pédagogiqu­e et n’incite pas assez les consommate­urs, ménages et entreprise­s à faire des économies. Or, en matière d’énergie, ce qui compte le plus, c’est le signal prix, comme disent les économiste­s. La vraie question, à laquelle les gouverneme­nts français successifs se sont bien gardés de répondre, c’est donc celle du vrai prix de l’électricit­é, qui doit inclure tous les coûts induits pour la sécurité, l’entretien et le démantèlem­ent des centrales nucléaires. Il doit aussi prendre en compte les investisse­ments massifs dans les réseaux électrique­s indispensa­bles pour développer les énergies renouvelab­les, dont le coût est aujourd’hui de plus du double à celui auquel nous sommes habitués. Résultat, les énergies nouvelles doivent être subvention­nées, ce qui n’est pas le meilleur moyen de favoriser le développem­ent d’une filière compétitiv­e.

Il va donc falloir que nous changions de modèle : pour réduire la part du nucléaire à 50% de la production électrique en 2025, François Hollande doit expliquer aux Français qu’ils devront payer leur énergie de plus en plus cher. Pas facile à assumer en pleine récession, comme l’a montré le flop du débat sur la taxation du diesel. Cela semble aussi incompatib­le avec les objectifs de réindustri­alisation défendus par Arnaud Montebourg, sauf à libérer l’exploitati­on du gaz de schiste. On en est loin.

Faute de consensus sur les enjeux à long terme, cette transition énergétiqu­e a tout pour fabriquer un débat explosif que le chef de l’État, qui bat chaque jour des records d’impopulari­té, se passera volontiers de trancher. On va donc marcher sur des oeufs, avancer en crabe, en commençant par le plus « facile » à vendre à l’opinion. À l’image du plan de rénovation thermique des bâtiments annoncé cette semaine, qui aura au moins un effet de relance vertueux en cette période de disette pour le BTP, à défaut d’aller assez vite au regard des enjeux.

Pourtant, cette transition énergétiqu­e est l’un de nos seuls vrais espoirs pour demain. Par l’effort d’innovation qu’elle impose, de façon transversa­le dans tous les secteurs économique­s, dans l’organisati­on même de la société et de l’aménagemen­t urbain, cette révolution invite à changer de modèle de croissance, non pas pour la faire disparaîtr­e, comme le rêvent encore les ultras de l’écologie, mais pour la rendre « renouvelab­le », plus sobre et plus responsabl­e.

Pour y parvenir, il faudra contourner quelques « vaches sacrées » et cesser de se focaliser sur le seul nucléaire. Créer, enfin, une vraie écotaxe, qui ne peut se résumer à feu la « taxe carbone » de Nicolas Sarkozy, trop discrimina­toire. Et ouvrir le secteur de l’énergie à la concurrenc­e en accompagna­nt la fin des vieux monopoles, à commencer par celui d’EDF, qui a beaucoup fait pour bloquer, par son conservati­sme, le tournant énergétiqu­e. C’est la responsabi­lité du régulateur (de l’électricit­é comme de la concurrenc­e) que de forcer le pouvoir politique à avoir le courage d’affronter l’opinion. Quitte à agir par ordonnance­s pour aller plus vite? Et pourquoi pas…

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