Bruxelles corrige le tir sur les essais cliniques
On ne délocalise plus seulement les chaînes de montage automobile et les hauts-fourneaux. La recherche aussi s’exile. Pas loin d’un demi-million d’Européens participent chaque année à des essais cliniques pour le lancement de nouveaux traitements médicaux, le plus souvent à la faveur d’un séjour à l’hôpital. Mais leur nombre chute à vue d’oeil : moins 20 % entre 2007 et 2009. La faute au maquis des autorisations et au niveau de protection des patients qui y participent, plus élevé en Europe qu’ailleurs dans le monde. « Si on ne fait rien, il n’y aura plus d’essais cliniques en Europe », assure l’eurodéputé UMP Philippe Juvin. L’été dernier, la Commission européenne a donc proposé un remède pour soigner l’hémorragie due à une directive mal ficelée datant de 2001. Le but du nouveau règlement, qui entrerait en vigueur en 2016, est de garder les bons côtés de la réglementation (la protection des patients) et de réduire les mauvais (la bureaucratie et l’absence d’harmonisation). Le risque est d’aboutir à un résultat inverse. Les députés européens ont du pain sur la planche. Car ils doivent démêler un écheveau d’amendements comme on n’en avait plus vu depuis les grands textes sur la réglementation financière : plus de 700, déposés auprès de la commission de l’environnement, et un demi-millier devant les autres. Premier vote prévu en commission en avril. Tout le monde participe à cette farandole législative : les laboratoires pharmaceutiques, bien sûr, mais aussi les assureurs (dont les primes ont explosé avec la hausse de la protection des patients), les associations de médecins et de patients, les hôpitaux, les comités d’éthique. La rapporteuse Glenis Willmott s’est attiré les louanges du British Medical Journal, qui participe à la campagne www.alltrials.net, en annonçant qu’elle tiendrait bon sur la question clé de la publication des résultats des tests. « Trop d’essais cliniques sont faux, biaisés ou manquants. Il est temps de voir les résultats complets publiés sur une base de données publique », assure cette députée travailliste britannique. Ce n’est toutefois pas gagné. Aux États-Unis, où la publication complète des résultats est obligatoire, « 80 % des essais ne respectent pas la loi », assure la députée. La moitié des essais ne serait jamais publiée, généralement celle qui présente des résultats négatifs ou décevants. Autres sujets brûlants : l’harmonisation et le raccourcissement des délais de validation des protocoles de tests par les autorités nationales et la création d’un mécanisme d’indemnisation par pays afin de plafonner les primes d’assurance qui ont explosé au fur et à mesure que les droits des patients augmentaient. En Allemagne, les projets de la Commission européenne ont provoqué une levée de boucliers. « Les nouvelles règles mettent en danger les patients », titrait le site de l’influent hebdomadaire Der Spiegel en septembre. « C’est un mensonge de dire que la sécurité des patients reste garantie », déclarait un dirigeant de l’association de médecins AkdÄ. Les comités peuvent notamment imposer les études placebo qui permettent d’éviter la mise sur le marché de médicaments inefficaces. Depuis septembre 2012, la commission de la santé du Bundestag planche sur le sujet pour préparer la négociation de son ministre de la Santé au Conseil. Philippe Juvin, qui suit le dossier pour le PPE (Parti populaire européen), est à lui seul à l’origine de 178 amendements. Il devrait s’entendre avec sa collègue travailliste pour réintroduire dans le texte la mention des comités d’éthique qui en avait disparu. Mais il n’a pas l’intention de proposer de rallonger les délais très courts laissés aux sages pour décider par exemple dans quelles conditions le consentement du patient est « éclairé » – dix à vingt-cinq jours dans le texte actuel – ou de revenir sur la liberté laissée aux États membres dans le rôle qu’ils donnent à ces comités. Le diable est dans les détails. Et ils sont loin d’être réglés.