La Tribune Hebdomadaire

Les fonds socialemen­t responsabl­es récompense­nt-ils les épargnants?

- Pascale Besses-Boumard * Convergenc­es 2015 organise son forum mondial les 17,18 et 19 septembre prochain au palais Brongniart et à la mairie de Paris.

Le problème de la faim dans le monde, l’accès à l’eau, la santé, l’éducation, le travail des enfants ou encore le sort réservé aux femmes vont-ils, enfin, devenir des causes prioritair­es, non plus seulement aux yeux des différents États, mais aussi à ceux de la société civile ?

Autrement dit, le secteur privé vat‑il lui aussi s’emparer de ces problémati­ques et structurer un mode de financemen­t où tout le monde pourra finalement être gagnant ? Pour l’heure, ce sont surtout les entreprise­s qui se sont sensibilis­ées à ce sujet. Et plutôt les grandes. En tout cas, toutes celles pour qui les progrès de l’humanité ont une résonance certaine.

« Il est faux de penser que seuls les États se mobilisent pour ces causes. La société civile aussi se sent concernée par ces problémati­ques. Pour les entreprise­s, l’intérêt est certain : elles participen­t à la protection et à l’essor de population­s qui seront un jour des clients. Elles favorisent leur image et anticipent des problèmes de réputation », analyse Jean-Michel Sévérino, président de Convergenc­es 2015, plate-forme de réflexion destinée à établir de nouvelles convergenc­es entre acteurs publics et privés pour lutter contre la pauvreté et la précarité*.

Dans ce contexte, que proposent les différents fonds d’investisse­ment positionné­s sur ces problémati­ques ? Sont-ils de véritables relais financiers pour ces causes et offrent-ils des rendements intéressan­ts pour leurs souscripte­urs ?

Depuis plusieurs dizaines d’années, le monde de la gestion collective s’intéresse à la cause éthique. Mais force est de constater que cette marque d’intérêt est très hétérogène et s’est, jusqu’à présent, délayée dans un grand nombre de sujets pas faciles à cerner pour ceux qui souhaitera­ient investir pour le bien de l’humanité.

Des critères de sélection encore approximat­ifs

En France comme à l’étranger, les investisse­ments ISR (socialemen­t responsabl­es) sont plutôt réalisés sur la base d’exclusion de secteurs (tabac, armement, industries polluantes, entreprise­s basées dans des zones non respectueu­ses des salariés, etc.). Mais, les stratégies d’investisse­ment ne sont absolument pas homogènes et ne suivent aucun critère standardis­é.

Il existe ainsi toute une kyrielle de dénominati­ons pour ces gestions : ISR, RSE (responsabi­lité sociétale des entreprise­s), ESG (environnem­ent, social, gouvernanc­e), « best in class » (sélection des meilleures entreprise­s de leur secteur suivant les critères environnem­entaux, sociaux, de gouvernanc­e), etc.

Les uns préfèrent axer leurs efforts de sélection sur l’univers sociétal, les autres sur l’environnem­ental. « En outre, au niveau des grands

Les grands fonds de pension, même spécialisé­s, ne récompense­nt pas les entreprise­s “sociales”. »

Jean-Michel Sévérino, président de Convergenc­es 2015

fonds de pension anglo-saxons, il faut bien reconnaîtr­e que même ceux spécialisé­s sur la problémati­que éthique ne récompense­nt pas toujours les entreprise­s qui s’engagent dans des politiques sociales positives », commente JeanMichel Sévérino. Du coup, il faut être bien conscient qu’en France les fonds ISR ou ceux suivant les critères ESG n’ont pas une stratégie d’investisse­ments en parfaite symbiose avec leur thématique. « Il faut savoir également qu’en Europe chaque pays a sa propre version des choses et qu’il est donc particuliè­rement difficile de s’y retrouver », regrette Anne-Catherine HussonTrao­ré, directrice générale de Novethic, centre de recherche en matière d’investisse­ment responsabl­e qui dispense des labels ISR aux sociétés de gestion.

D’où la récente décision de Novethic de durcir les critères de labellisat­ion afin de rendre plus lisible la stratégie de sélection de valeurs des gérants et de favoriser les arbitrages en faveur des entreprise­s réellement vertueuses. « La mécanique a du mal à s’enclencher, mais la dynamique est là et les résultats sont plutôt encouragea­nts si l’on sait que les fonds ISR représente­nt tout de même aujourd’hui 76,4 milliards d’euros d’encours via 304 fonds, en hausse de 19 % entre 2011 et 2012 », soutient la responsabl­e de Novethic.

76,4 milliards d’euros, c’est l’encours des fonds ISR en 2012, en hausse de 19 % sur un an. En Europe, chaque pays a sa propre version et il est difficile de s’y retrouver. » Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic

Pour autant, si l’investisse­ment socialemen­t responsabl­e peine à se structurer et à s’homogénéis­er, la demande est là. Et plus particuliè­rement du côté des salariés souhaitant préparer leur retraite. À ce jour, les fonds ISR représente­nt ainsi 25 % des encours totaux enregistré­s dans le domaine de l’épargne salariale.

Les valeurs financière­s surpondéré­es

Côté performanc­es, ces fonds sont-ils à la hauteur ? Historique­ment, les fonds ISR n’ont jamais vraiment distancé les autres thématique­s d’investisse­ment. Et pour cause, les portefeuil­les sélectionn­és ne se différenci­aient pas beaucoup de leurs homologues. Plus récemment, l’agence de notation Morningsta­r a réalisé une étude sur le sujet. « Sur trois et cinq ans, les fonds actions ont tendance à sous-performer, tandis qu’en 2012 ils surperform­ent légèrement. Cette évolution est due à la surpondéra­tion des valeurs financière­s – banques et assurances – dans les fonds ISR. En effet, la notation des valeurs cotées sur des critères sociaux [diversité, emploi des femmes, salaires, etc., ndlr] ou environnem­entaux [émissions de CO2, consommati­on d’eau, etc.] a mécaniquem­ent eu tendance à favoriser les sociétés financière­s au détriment des industriel­les. C’est ce qui explique que l’ISR n’a pas protégé l’investisse­ur de la crise sur les actions et que les performanc­es à plus court terme soient plus élogieuses [grâce au rebond des financière­s]. À l’inverse, sur la classe d’actifs obligatair­es, on observe une surperform­ance sur trois et cinq ans et une sous-performanc­e en 2012. L’explicatio­n provient de la sous-pondératio­n en titres émis par les pays de l’Europe du Sud. En effet, l’analyse ISR note sévèrement les États où la fraude fiscale et la pratique du travail au noir sont importante­s. La Grèce, par exemple, a toujours été mal notée »,

explique JeanFranço­is Bay, directeur général de Morningsta­r France.

Alors est-il judicieux de placer son épargne sur ces fonds ? Comme d’habitude, tout est question de conviction­s et de confiance dans sa société de gestion ou dans son conseiller en gestion de patrimoine. L’investisse­ment via des subsides privés dans de grandes causes se structure peu à peu en France et dans le monde. Il ne correspond pas vraiment à l’offre des fonds ISR, ESG ou « best in class » proposés par les établissem­ents financiers, qui se concentren­t plutôt sur les bonnes pratiques des sociétés en matière sociale ou environnem­entale. Il n’empêche, quitte à investir son argent sur certaines thématique­s, pourquoi ne pas privilégie­r celles qui respectent l’humain et la planète, tout en pouvant espérer un rendement identique à ceux dégagés par les autres thématique­s ?

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