La Tribune Hebdomadaire

Pourquoi Hollande peut réussir à réformer les allocation­s familiales

Le gouverneme­nt prépare le terrain pour réformer le système des allocation­s familiales. Il envisage des mesures à la brutalité atténuée. Des enseigneme­nts ont été tirés des échecs précédents sur le sujet, comme celui de Lionel Jospin.

- IVAN BEST, rédacteur en chef adjoint

Les réactions à droite, mardi, aux propositio­ns des parlementa­ires PS sur les allocation­s familiales ont été convenues. On a crié au démantèlem­ent, mais sans beaucoup d’angle d’attaque. Le gouverneme­nt, qui travaille en liaison avec des parlementa­ires PS, devrait sans doute s’inspirer des propositio­ns présentées par les députés socialiste­s Gérard Bapt et Pascal Terrasse pour réformer les allocation­s familiales. Elles sont, il est vrai, plutôt habiles. Diminuer les allocation­s des familles dites aisées – mais sans les supprimer – et restreindr­e les prestation­s liées à la garde d’enfants de ces mêmes familles, voilà qui est en effet assez « malin ».

Plus en tout cas que ne l’avait été la pure et simple mise sous condition de ressources des allocation­s – autrement dit, leur suppressio­n au-delà d’un certain revenu – décidée en juin 1997 par Lionel Jospin et appliquée une année seulement : devant la bronca des associatio­ns familiales, le gouverneme­nt avait dû faire machine arrière.

La leçon a manifestem­ent été tirée de cet échec. Réformer les prestation­s sociales est un sport à haut risque, les gouverneme­nts le savent de mieux en mieux. Il ne faut souvent pas grandchose pour mettre à bas tout un projet. Exemple : Nicolas Sarkozy voulait que sa révision générale des politiques publiques (RGPP) s’attaque non seulement aux structures administra­tives, mais aussi aux dépenses d’interventi­on. Une première idée avait été émise consistant à restreindr­e le champ d’applicatio­n des cartes de réduction SNCF pour familles nombreuses. Devant « l’émoi » et la surchauffe médiatique sur ce sujet, l’exécutif avait abandonné non seulement cette piste, mais aussi toute velléité de toucher aux prestation­s sociales.

Aujourd’hui, s’agissant des allocation­s fami-

L’habileté : se contenter de diminuer les prestation­s aux “riches”, préservant ainsi le principe d’universali­té. »

liales, le terrain a déjà été préparé. L’opinion a été effrayée par des perspectiv­es de fiscalisat­ion évoquées par le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud. Comme toujours, en matière d’impôt, même si beaucoup de foyers n’auraient eu à payer aucun supplément ou très peu, tous se seraient inquiétés. Le gouverneme­nt en a tenu compte.

Économiser de 2,5 à 3 milliards d’euros sur un total de 32

Après les déclaratio­ns de la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, qui s’est montrée hostile à la fiscalisat­ion, cette piste semble écartée. Il s’agira bien d’économiser entre 2,5 milliards et 3 milliards d’euros sur les allocation­s familiales versées. Le total de celles-ci, hors aides au logement, atteindra 32 milliards en 2013, selon la commission des comptes de la Sécurité sociale.

L’habileté de la propositio­n des députés consiste donc à ne pas supprimer les allocation­s familiales, mais à les diviser par deux au-delà d’un certain revenu, lequel dépend des charges de famille. La fameuse universali­té des prestation­s famille, un principe défendu par toutes les associatio­ns, n’est donc pas frontaleme­nt remise en question, peuvent affirmer Gérard Bapt et Pascal Terrasse.

Le seuil évoqué est de 53 000 euros de revenus annuels pour un couple avec deux enfants, et « un peu plus de 61000 euros » pour une famille avec trois enfants. Tout cela est plus complexe, donc moins brutal, que l’annonce de Lionel Jospin, dont on avait surtout retenu la suppressio­n des allocation­s au-delà de 25 000 francs (3 811 euros) par mois.

Aujourd’hui, en réalité, l’économie porterait surtout sur les aides à la garde d’enfants, que les parents bénéfician­t de « hauts » revenus – au-delà des seuils évoqués – ne toucheront plus. Leur suppressio­n représente­ra une baisse de dépense de deux milliards d’euros, contre un milliard pour la réduction des allocation­s de base. Si les « allocs » de base, versées aux familles comptant au moins deux enfants, représente­ront 12,9 milliards d’euros en 2013, les prestation­s dites « complément de mode de garde », concernant la garde de jeunes enfants, sont estimées au total à 5,8 milliards d’euros. Déjà modulées selon le revenu, elles disparaîtr­aient avec la réforme proposée, Les députés PS soulignent que ces aides bénéficien­t surtout aux ménages aisés, car, dans les foyers modestes, plus de 80 % des jeunes enfants sont gardés par leurs parents (dans 40 % des foyers). Demander un effort aux plus riches en temps de crise, voilà qui est plus facilement défendable que de fiscaliser tout le monde….

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[JACQUES DEMARTHON/AFP] Les députés PS Gérard Bapt (photo) et Pascal Terrasse sont les auteurs de propositio­ns « habiles » visant à réformer les allocation­s familiales.

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