L’europe veut-ele vraiment faire baisser le chômage?
Le dernier conseil européen a encore prouvé son peu d’entrain à entamer une vraie politique de lutte contre le chômage. En cohérence avec la stratégie suivie depuis 2010.
C’était l’un des buts du conseil européen qui s’est achevé ce vendredi : se pencher sur le chômage. Depuis quelques semaines, la chancelière allemande Angela Merkel ne manque aucune occasion de faire part de son inquiétude concernant le chômage des jeunes en Europe. Rien d’étonnant alors que le conseil, dans ses conclusions, ait indiqué vouloir faire de l’emploi une « priorité spéciale » et du chômage des jeunes une « priorité particulière. » Mais, concrètement, les chefs d’état et de gouvernement se sont bien gardés d’agir.
Cet attentisme pourrait conduire à se poser la question du chômage comme « mal nécessaire » de la politique de dévaluations internes menée depuis 2010 au sein de la zone euro.
La « bulle salariale » est née dans les années 2000 dans plusieurs pays du sud de l’Europe du fait d’une augmentation trop rapide des salaires au regard de la productivité du travail. Il s’en est suivi une inflation plus forte qui a automatiquement conduit à entretenir cette poussée salariale. C’est ce cercle que les Européens veulent briser aujourd’hui en baissant le coût du travail et les prix, relativement aux pays les plus compétitifs de la zone. C’est le principe de la « dévaluation interne » qui a été l’option choisie en 2010 pour sortir de la crise. Pour réduire cette « bulle salariale » aussi brutalement que le veulent les plans conçus par les Européens, les méthodes « douces » de réduction du coût du travail sont inopérantes. Certes, la flexibilisation du marché du travail peut aider. Grèce, Italie, Espagne, Portugal ont ainsi tous réalisé des réformes plus ou moins profondes de leur marché du travail. Le problème, c’est que l’effet de ces réformes sur le coût unitaire du travail est long à se concrétiser. « Il faut plusieurs années pour qu’une réforme du marché du travail ait un impact sur la productivité car les contrats existants ne sont pas concernés ou il faut renégocier », explique Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis AM.
Du reste, l’exemple du Kurzarbeit allemand durant la crise de 20082009 montre que la réduction du temps de travail à effectifs constants permet de limiter le chômage, mais seulement pour un temps bref. Tous les patrons allemands avaient reconnu que si la crise avait été plus longue, il aurait fallu licencier. Or la récession est installée depuis quatre ans en Grèce, deux ans en Espagne ou au Portugal… Et la reprise – très modérée – ne se dessine pas avant 2014.
L’ajustement passe donc nécessairement par une réduction des effectifs et des salaires. Autrement dit par la pilule amère du chômage. Pour peser sur les salaires, rien n’est en effet plus efficace qu’un fort taux de chômage. L’offre d’emploi étant réduite et la demande immense, les prix du travail reculent mécaniquement. On a vu, dans le récent accord Renault, une illustration de ce phénomène : par crainte du chômage, les salariés ont accepté des réductions effectives de salaire. Un taux de chômage élevé a donc dans cette logique deux vertus : réduire le coût unitaire du travail et favoriser une réduction plus rapide.
Dans une logique de dévaluation interne, d’assainissement de la bulle salariale, le chômage est indispensable : il assure une baisse du coût du travail jusqu’au niveau où est retrouvée la compétitivité. Une fois ce niveau atteint, le chômage peut commencer à décroître lorsque les entreprises regagnent des parts de marché et que l’activité intérieure bénéficie des succès à l’exportation. Dans une telle logique, intervenir pour maintenir l’emploi avant d’avoir atteint ce niveau d’équilibre de l’offre et de la demande ne revient qu’à retarder le processus d’ajustement et à maintenir les déséquilibres internes à la zone euro. On comprend donc que les pays du Nord, à l’origine de cette logique, soient opposés à toute action concrète de lutte contre le chômage.
D’autant que la réduction des coûts n’a pas encore atteint un niveau « satisfaisant. » En Espagne, par exemple, le coût du travail dans l’industrie et les services marchands a progressé entre 2008 et 2012 à un rythme quasi égal à celui de l’Allemagne (+ 21,9 % contre + 22,2 %, selon Eurostat). Au Portugal et en Italie, le coût de la main-d’oeuvre a progressé de plus de dix points plus rapidement qu’outre-Rhin sur les quatre dernières années. Seule la Grèce a concrètement effacé sa « bulle salariale » par rapport à l’Allemagne. Bref, il faut continuer les « efforts. » Et cela passe nécessairement par le maintien d’un taux de chômage considérable, voire, dans certains cas comme l’Italie ou la France, par une hausse de ce taux.