La Tribune Hebdomadaire

Heurs et malheurs des régulation­s financière­s à travers le monde

Faute d’alternativ­e convaincan­te, l’actuel système américain de régulation financière « ressemble étonnammen­t » à celui d’avant la crise de 2007-2008. Mais ailleurs, aucun pays ne semble avoir vraiment fait mieux… Tour d’horizon des points forts et des po

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Dans les premières phases de la crise financière, il était de bon ton d’arguer que le système américain de régulation avait besoin d’une refonte structurel­le fondamenta­le. Les divergence­s d’opinion entre la Securities and Exchange Commission (SEC) et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) avaient empêché un contrôle efficace des banques d’investisse­ment et du commerce des produits dérivés (les États-Unis sont les seuls à estimer qu’il est judicieux de réglemente­r séparément les valeurs mobilières et les produits dérivés).

En effet, la multiplici­té de régulateur­s bancaires distincts avait créé des opportunit­és pour les banques de s’adonner à des opérations d’arbitrage du système à la recherche d’une approche plus indulgente envers le capital. De même, en l’absence d’un régulateur fédéral d’assurance, AIG était réglementé par l’Office of Thrift Supervisio­n (OTS) et le New York State Insurance Department, un arrangemen­t qui s’est avéré être tout à fait insuffisan­t. Néanmoins, cette ligne d’argumentat­ion a donné peu de résultats. La loi Dodd-Frank a réussi à sortir l’OTS de sa misère, mais les comités de surveillan­ce du Congrès, jaloux, ont empêché une fusion entre la SEC et la CFTC et rien n’a été fait pour rationalis­er la supervisio­n bancaire. Ainsi, le système américain actuel ressemble étonnammen­t à celui qui a collective­ment ignoré la montée des tensions fatales au début des années 2000.

L’absence d’alternativ­e convaincan­te a contribué en partie au blocage institutio­nnel. Durant la décennie ou à peu près qui a mené à la crise de 2007-2008, la tendance mondiale était à une intégratio­n des organismes de réglementa­tion. Près de 40 pays ont introduit des régulateur­s uniques, fusionnant tous les types d’organes de supervisio­n en une seule entité toutepuiss­ante. Le mouvement avait commencé en Scandinavi­e au début des années 1990, mais le changement le plus spectacula­ire était survenu en 1997, lorsque le Royaume-Uni avait présenté son Financial Services Authority ( j’en ai été le premier président).

Les « twin peaks » : l’approche prudentiel­le et le respect des règles

D’autres pays adoptèrent des modèles légèrement différents. Une approche à la mode était connue sous le vocable de « twin peaks », dans laquelle un organisme de réglementa­tion était compétent pour la réglementa­tion prudentiel­le – fixant les réserves de capital obligatoir­es – tandis qu’un autre supervisai­t le respect des règles établies. Mais le modèle « twin peaks » connaissai­t lui-même des subdivisio­ns.

Le modèle néerlandai­s embrigadai­t les régulateur­s prudentiel­s à l’intérieur de la banque centrale, tandis que la version australien­ne prévoyait une institutio­n distincte. Ces structures intégrées semblaient offrir de nombreux avantages. Il y avait des économies d’échelle et de gamme, et les sociétés financière­s aiment en général l’idée de transactio­ns à guichet unique (ou, au pire, à deux guichets).

Malheureus­ement, ces avantages ne se sont pas matérialis­és, ou du moins pas partout. Il est difficile de prétendre que le système britanniqu­e s’est révélé plus efficace que le système américain, ce qui a porté atteinte à la crédibilit­é du mouvement en faveur d’un organisme de réglementa­tion unique. Et les difficulté­s persistant­es du système bancaire néerlandai­s – une autre banque a été nationalis­ée le mois dernier – suggèrent qu’il est facile de tomber dans le fossé entre des « twin peaks ».

La vérité, c’est qu’il est difficile d’identifier une corrélatio­n entre structure de réglementa­tion et performanc­e de sortie ou de réponse face à la crise financière. Parmi les pays à régulateur unique, Singapour et les pays scandinave­s ont réussi à esquiver la plupart des balles mortelles, alors que ce ne fut évidemment pas le cas du Royaume-Uni. Parmi les partisans des « twin peaks », le système néerlandai­s fait preuve de performanc­es franchemen­t médiocres, alors que la réglementa­tion financière australien­ne peut être considérée comme un succès.

Est-ce que l’implicatio­n directe de la banque centrale est importante ? De nombreux banquiers centraux soutiennen­t que la banque centrale est la mieux placée pour faire face aux risques systémique­s et qu’il est essentiel de mener les politiques monétaire et financière au sein de la même institutio­n. Encore une fois, il est difficile de trouver un support empirique solide en faveur de cet argument.

Les banques centrales néerlandai­se et américaine, bénéfician­t d’une supervisio­n directe de leur système bancaire, n’ont pas été plus efficaces pour identifier des problèmes systémique­s potentiell­ement dangereux que les régulateur­s d’autres pays qui opéraient en dehors de la banque centrale. Le Canada est souvent cité comme un pays qui a su éloigner ses banques des problèmes, alors qu’elles se trouvent à une proximité inconforta­ble des marchés américains. Mais la Banque du Canada n’est pas, et n’a jamais été, un superviseu­r institutio­nnel actif. Dès lors, le Congrès américain a peut-être eu raison de conclure que modifier la structure des organes de régulation est moins important que de veiller à ce que le contenu de la réglementa­tion soit pertinent.

Ailleurs, cependant, de nombreux changement­s structurel­s sont en cours. Au Royaume-Uni, chaque perturbati­on financière amène ses appels à réorganise­r le système. Ce dernier a subi des révisions majeures en 1986 et de nouveau en 1997, lorsque la Banque d’Angleterre a perdu ses responsabi­lités de supervisio­n bancaire dans une réponse tardive à l’effondreme­nt de la Barings. Le mois prochain, elle retrouvera ces responsabi­lités – parmi d’autres plus importante­s encore.

«Il est difficile pour l’instant de discerner un schéma cohérent »

Pour la première fois, la Banque d’Angleterre superviser­a également les compagnies d’assurance. Un changement similaire a été introduit en France, où une nouvelle Autorité de contrôle prudentiel a été créée. Les Britanniqu­es et les Français sont rarement d’accord sur quoi que ce soit ; on est tenté de dire que, quand ils le sont, ils sont très susceptibl­es de se tromper.

Il est difficile pour l’instant de discerner un schéma cohérent. Certes, la tendance en faveur de régulateur­s uniques avec compétence globale et opérant en dehors de la banque centrale a fortement ralenti (bien que l’Indonésie soit à l’heure actuelle en train de consolider ses organismes de réglementa­tion). Il n’existe pas de consensus sur le rôle de la banque centrale : dans environ un tiers des pays, elle représente l’acteur dominant, dans un autre tiers elle a autorité sur les banques uniquement, tandis que dans le tiers restant elle n’est qu’un simple surveillan­t du système.

On pourrait voir cette situation comme une expérience contrôlée afin de tenter d’identifier un modèle supérieur aux autres. Après tout, les systèmes financiers ne sont pas si différents les uns des autres, en particulie­r dans les pays de l’OCDE. Néanmoins, il n’y a aucun signe qu’une évaluation approfondi­e soit en cours de préparatio­n. Même si elle ne concluait pas à la supériorit­é non ambiguë d’un modèle, pareille évaluation aurait au moins le mérite d’aider les pays à faire des choix plus éclairés. Le G20, sous la présidence russe, est actuelleme­nt à la recherche d’un rôle à jouer. Voilà une tâche pratique utile qu’il pourrait assumer.

Acteur dominant ou simple surveillan­t du système… il n’existe pas de consensus sur le rôle des banques centrales. »

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