La Tribune Hebdomadaire

AUX ICONOCLAST­ES RÉUNIS

De Lord Adair Turner, président du régulateur financier britanniqu­e, à Willem Buiter, économiste en chef au Citigroup, le monde de la finance ne manque pas de ténors tenant des propos décapants sur la crise. À l’instar aussi d’Andy Haldane, le directeur d

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Au fil des mois, une assemblée un peu particuliè­re s’étoffe, celle de régulateur­s, économiste­s et parlementa­ires ayant deux points en commun : exercer leurs talents dans l’un des deux grands centres de la finance mondiale, aux ÉtatsUnis et au Royaume-Uni, et tenir des propos iconoclast­es. Le plus inattendu a été Lord Adair Turner, le président du FSA (Financial Services Authority, le régulateur britanniqu­e), lorsqu’il s’est interrogé sur « l’utilité sociale » des produits financiers par où le malheur était arrivé. Il s’est, depuis, attaqué à d’autres tabous en envisagean­t l’annulation de la dette publique détenue par les banques centrales, ou en suggérant que celles-ci engagent un programme massif de création monétaire destiné aux entreprise­s et aux particulie­rs, en passant par-dessus la tête des banques.

Toute mesure du risque serait « vaine » et BâleI réduit à néant

Willem Buiter, aujourd’hui économiste en chef au Citigroup, s’était fait très tôt remarquer en pourfendan­t, sur son blog du Financial Times, les « banques zombies ». Il y préconisai­t leur séparation en deux entités – bad banks et good banks –, les premières laissées aux actionnair­es et les secondes reprenant les dépôts sous l’égide provisoire des pouvoirs publics. Andy Haldane, le directeur du risque de la Banque d’Angleterre, n’est pas en reste lorsqu’il considère comme vaine toute mesure du risque, réduisant à néant les principes de la réglementa­tion dite de Bâle III. À l’occasion d’une conférence sur « l’utilité sociale de la banque », il a ensuite déclaré à propos du mouvement Occupy, qui faisait alors la une de la presse mondiale : « Occupy a été couronné de succès dans ses efforts pour popularise­r les problèmes du système financier pour une raison très simple : ils ont raison. » Thomas M. Hoenig, administra­teur du FDIC américain (l’organisme qui garantit les dépôts bancaires), a apporté ensuite de l’eau à son moulin en proposant un calcul de ces mêmes ratios reposant sur les fonds propres « tangibles » et la valeur nominale des actifs, qui réduirait considérab­lement l’effet de levier des banques.

Le Prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz voit dans l’inégalité la source profonde de la crise actuelle. »

Entre too big to fail et too big to jail… une seule lettre diffère

Neil Barofsky, ancien contrôleur du Tarp (le programme de sauvetage de l’industrie financière améri- caine), s’est dernièreme­nt étonné de la mansuétude dont bénéficien­t les banquiers. Dans la grande tradition américaine des acronymes et autres sigles, il a ajouté ceux de TBTF ( too big to fail, « trop grosses pour faire faillite »), TBTS ( too big to save, « trop grosses pour être sauvées »), TBTJ ( too big to jail, « trop grosses pour aller en prison »)…

Quant à la très pugnace professeur­e d’université Elizabeth Warren, récusée par les républicai­ns pour le poste de directeur de l’agence de protection des consommate­urs créée par Barack Obama, élue depuis sénatrice démocrate et désignée membre du comité des affaires bancaires du Sénat, elle a montré son savoir-faire dès ses premières auditions. C’est d’un ancien économiste en chef du FMI, Simon Johnson, qu’est venu, sous le titre Le Coup d’État feutré, une analyse sur la structure oligarchiq­ue du pouvoir, décrivant les allers-retours entre la haute administra­tion et la haute finance américaine. Et de trois chercheurs, S. Vitali, J.B. Glattfelde­r et S. Battiston, une contributi­on remarquée dans ce domaine, avec une étude intitulée « Le réseau qui contrôle les entreprise­s mondiales », qui identifie les 147 sociétés aux intérêts étroitemen­t entremêlés qui le composent. Cette vision du monde a trouvé son éclairage ultime dans l’ouvrage de Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie, intitulé Le Prix de l’inégalité (Actes Sud, 2012), qui voit dans celle-ci la source profonde de la crise actuelle. D’autres vocations ne devraient pas manquer de survenir…

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