La Tribune Hebdomadaire

INNOVER, C’EST DÉSOBÉIR

Dans sa nouvelle chronique, Francis Pisani estime que pour les entreprise­s, l’innovation est d’abord a!aire de processus. Celles qui innovent « encouragen­t la remise en question, l’observatio­n, le maillage et l’expériment­ation par leurs employés ». Or, la

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Tout le monde veut innover. La plupart des entreprise­s sont convaincue­s de le faire. Et pourtant, le doute e st permis : savons-nous ce qui distingue les innovateur­s (individus et entreprise­s) des autres"? Ceux qui se posent sérieuseme­nt cette question liront avec intérêt Le gène de l’innovateur (Pearson), un livre écrit avec la participat­ion de Clayton Christense­n, auteur lui-même du fameux The Innovator’s Dilemma (Harvard Business Review Press).

Reconnaiss­ons d’abord que la métaphore est fatale. Pourquoi parler de gène (d’ADN, dans le titre en anglais) si c’est une compétence qu’on peut développer, une pratique qu’on peut encourager"? Mais la lecture de l’ouvrage, qui vient de sortir en français, fournit un excellent cadre de réflexion et presque une feuille de route. « Une des découverte­s critiques de nos recherches est que notre habileté à générer des idées innovantes n’est pas totalement une fonction de l’esprit [mind, ndlr], elle provient aussi du comporteme­nt [behavior] », expliquent les coauteurs Je! Dyer et Hal Gregersen. « Une bonne nouvelle qui veut dire qu’en changeant ce dernier, nous pouvons améliorer notre impact créatif » (les citations correspond­ent à ma traduction de l’original). Fruit d’une étude menée sur huit ans, le livre met en avant cinq qualités trouvées chez une centaine d’innovateur­s allant de Je! Bezos d’Amazon, à Pierre Omidyar d’eBay, sans oublier les patrons de boîtes qui bougent comme A.G. Lafley de Procter & Gamble. Ils distinguen­t quatre types d’innovateur­s : les créateurs de start-up, ceux qui lancent des projets innovants dans les grandes entreprise­s, les « innovateur­s produits » et ceux qui mettent en oeuvre de nouveaux processus. Business et technologi­es sont toujours intimement liés.

UNE THÉORISATI­ON DE L’EXEMPLARIT­É DE L’OEUVRE DE STEVE JOBS

Tous ces gens-là mettent systématiq­uement en oeuvre cinq pratiques : ils observent, questionne­nt, maillent, expériment­ent et font preuve d’une habileté surprenant­e à « connecter des champs, des problèmes ou des idées entre lesquels les autres ne voient pas de relations ».

Le meilleur exemple nous est fourni par l’oeuvre de Steve Jobs lui-même, dans laquelle on retrouve toujours#: « 1- Une question remettant en cause le statu quo!; 2- l’observatio­n d’une technologi­e, d’une compagnie ou d’un client!; 3- une expérience ou expériment­ation visant à tester quelque chose de nouveau ou 4- une conversati­on avec quelqu’un ayant attiré son attention sur une connaissan­ce essentiell­e ou sur une opportunit­é. » C’est en procédant de la sorte qu’il aspirait à « laisser une éraflure dans l’univers » , en bon français : « Faire bouger le schmilblic­k. »

Pour les entreprise­s, l’innovation est d’abord a!aire de processus. Celles qui innovent « encouragen­t la remise en question, l’observatio­n, le maillage et l’expériment­ation par leurs employés » .

DANS LES ENTREPRISE­S, TOUT DÉPEND DE L’ATTITUDE DE LA DIRECTION

L’associatio­n d’idées se pratique dans les multiples formes de brain storming. Et tout dépend de l’attitude de la direction. Bezos demande aux candidats à l’embauche s’ils ont déjà inventé quelque chose. « Je cherche des gens qui croient qu’ils peuvent changer le monde » sans quoi innover a moins de sens.

L’ensemble doit se retrouver dans « une culture qui encourage tout le monde à innover et à prendre des risques intelligen­ts » . D’où l’idée que « l’innovation est l’a"aire de tous » et pas simplement des labos ou des directions de l’innovation. Pour les auteurs « les dirigeants de haut niveau […] doivent mener la lutte pour l’innovation en comprenant comment elle fonctionne, en améliorant leurs propres capacités à découvrir et en a"ûtant leur habileté à encourager les innovation­s des autres ».

C’est pour ça que les entreprise­s dans lesquelles la hiérarchie est sacro-sainte ont tant de mal à innover. Ce qu’un étudiant assistant à une de mes conférence­s a parfaiteme­nt compris dans ce résumé lapidaire : « Mais dans le fond, innover, n’est-ce pas désobéir!? »

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