La Tribune Hebdomadaire

Auto : les injections paradoxale­s

- L’OEIL DE PHILIPPE MABILLE

Le premier véhicule électrique a été inventé vers 1830. C’était une sorte de carriole imaginée par un homme d’a!aires écossais, Robert Anderson. En 1838, un autre écossais, Robert Davidson, invente une petite locomotive électrique qui roule à 6 km/h. La première batterie rechargeab­le, au plomb acide, est pourtant française. Bien avant Bolloré et sa Bluecar, Gaston Planté en 1859 puis Camille Faure en 1881, rendent possible le stockage de l’électricit­é. La première vraie voiture électrique est construite en 1891 par l’américain William Morrison. En 1896, la Riker électrique remporte une course automobile et un an plus tard, des taxis électrique­s roulent dans New York. En 1899, La Jamais Contente, une auto électrique en forme de torpille pilotée par le belge Camille Jenatzy, dépasse les 100 km/h. En 1900, plus du tiers des (peu nombreuses il est vrai) voitures en circulatio­n sont électrique­s. Leur coût élevé, l’apparition de la Ford Model T en 1908 et la pression constante du lobby pétrolier imposeront une parenthèse d’un siècle à cette aventure, malgré plusieurs tentatives dans les années"1960 et dans les années"1990 chez quelques visionnair­es. Et ce n’est finalement que depuis dix ans, avec le succès du moteur hybride du constructe­ur japonais Toyota, que la voiture verte décolle vraiment dans le grand public. Tout laisse entendre que l’industrie automobile mondiale est de nouveau entrée dans une phase disruptive de son histoire. La prise de conscience des enjeux climatique­s, avec la perspectiv­e d’une explosion du nombre de voitures individuel­les en Chine et dans tous les pays émergents, impose un changement rapide de modèle énergétiqu­e. Dans les pays occidentau­x, les pouvoirs publics luttent contre la voiture « sale » et mettent en avant les dangers du diesel pour la santé humaine dans les zones urbaines. Surtout, les technologi­es « propres » progressen­t et peuvent être produites en série à un coût de plus en plus raisonnabl­e. Le combat sociétal de la voiture verte est gagné et les industriel­s rivalisent d’imaginatio­n pour développer de nouveaux moteurs hybrides, plus économes en carburants, moins polluants. Les États accompagne­nt le mouvement en proposant des aides fiscales de plus en plus incitative­s. Pour l’industrie automobile mondiale, c’est un immense marché du renouvelle­ment de la flotte de véhicules individuel­s et collectifs qui est à venir, ce qui devrait rendre optimiste pour un secteur majeur en termes d’emploi, de recherche et développem­ent et de dynamisme industriel pour un pays. Il n’est qu’à voir l’attention permanente du ministre du Redresseme­nt productif à l’égard de nos deux champions nationaux, Renault et PSA Peugeot Citroën, aujourd’hui engagés dans une lourde mais impérieuse restructur­ation. Dans ce contexte, il est pour le moins paradoxal de constater que cette révolution industriel­le prend son temps, trop de temps. D’un côté, on pousse les automobili­stes à rouler moins, à opter pour la voiture propre, et de l’autre, on ne fait rien, ou en tout cas pas assez, pour rendre crédibles ces injonction­s. Selon les projection­s officielle­s, les

Il serait dommage que la France passe à côté d’une transition où elle dispose d’atouts pour faire la course en tête. »

moteurs hybrides et électrique­s ne dépasseron­t pas 20#% du marché total à l’horizon 2020 et le moteur thermique continuera pour de longues décennies encore à dominer les ventes. C’est pourtant avant tout une question de volonté politique : le développem­ent des véhicules électrique­s bute sur un lourd déficit d’infrastruc­tures, avec plusieurs schémas possibles d’aménagemen­t du territoire : installer partout des prises de recharge faciles d’accès et/ou des dispositif­s simples pour changer les batteries, comme l’a imaginé Renault. Avec l’Internet haut débit, on peut même imaginer, comme l’a fait le penseur américain Jeremy Ri$in, que les voitures électrique­s soient connectées au réseau lorsqu’elles ne roulent pas, ce qui est le cas la plupart du temps, contribuan­t ainsi à l’optimisati­on de la production d’énergie. EN OUTRE, ON PEUT SE DEMANDER SI L’INDUSTRIE AUTOMOBILE n’est pas responsabl­e du retard en freinant le changement de paradigme dans l’attente d’une rupture technologi­que qui permettra de gagner la confiance des consommate­urs en garantissa­nt su%samment d’autonomie. Résultat, alors que les usages changent déjà, en particulie­r dans les grandes villes, où la nouvelle tendance est à abandonner la voiture individuel­le pour opter pour la location de courte durée, les constructe­urs et les pouvoirs publics semblent en retard d’une guerre là où il faudrait passer, enfin, à la vitesse supérieure. Le grand plan d’investisse­ment d’avenir annoncé par François Hollande le mois dernier prévoit certes un volet Mobilités. Mais il serait dommage que, par conservati­sme, manque d’audace ou incapacité à coordonner les e!orts collectifs, la France passe à côté d’une transition dans laquelle elle dispose pourtant d’atouts pour faire la course en tête.

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