La Tribune Hebdomadaire

LE NOUVEAU BUSINESS DES FONDS SOUVERAINS « VERTS »

Fin 2011, le montant des encours gérés par les fonds souverains s’élevait à 3!000 milliards de dollars, avec 237 investisse­ments directs d’une valeur de 81 milliards de dollars pour cette année-là. Certains experts estiment même la valeur des actifs des f

- EMMANUEL GUÉRIN DIRIGE LE PROGRAMME POUR LE CLIMAT À L’INSTITUT DU DÉVELOPPEM­ENT DURABLE ET DES RELATIONS INTERNATIO­NALES DE SCIENCES-PO

La montée en puissance des fonds souverains inquiète et, dans certains cas, essuie de virulentes critiques, en particulie­r dans les pays hôtes de l’OCDE, où de nombreuses personnes craignent une redistribu­tion de la puissance financière, économique et politique dans les pays émergents qui ont des régimes politiques très di"érents des leurs. En fait, sur les sept fonds souverains qui détiennent plus de deux tiers des capitaux de tous les fonds souverains, trois sont en Asie (un en Chine et deux à Singapour) et trois appartienn­ent au Moyen-Orient (Abou Dhabi, Koweït et Qatar). Les pays européens se classent parmi les hôtes de fonds souverains, d’une valeur de plus de 40!% de toute la valeur des marchés de 2011. Les États-Unis, où l’opposition à de tels investisse­ments a été plus forte, en détiennent moins de 10!%.

Les craintes des pays occidentau­x ne sont pas totalement infondées. Les fonds souverains présentent des risques concrets, dont certains se sont déjà matérialis­és, envers l’économie mondiale et les marchés financiers nationaux ainsi que ceux des pays hôtes.

Par exemple, certains fonds souverains ont fait face à des pertes provisoire­s mais significat­ives après l’explosion de la bulle immobilièr­e des prêts hypothécai­res à risque américains en 2008, et après le déclenchem­ent de la crise de la dette souveraine de l’Union européenne en 2009, à cause d’un niveau élevé d’exposition aux marchés immobilier­s et financiers et aux dettes souveraine­s.

L’OPACITÉ, UNE CARACTÉRIS­TIQUE DE LA PLUPART DES FONDS SOUVERAINS

Ceux qui n’ont pas été touchés ont été protégés par l’opposition du pays hôte à des projets dans des secteurs stratégiqu­es et par le fait que les fonds souverains, conscients de la sensibilit­é de leurs investisse­ments et craignant d’éventuelle­s représaill­es, ont pour la plupart pris de petites participat­ions (de 1!%à 2!%).

Il existe quelques exceptions à cette règle. Le plus gros investisse­ment du China Investment Corporatio­n (CIC) l’année dernière était une prise de participat­ion de 30!% (3,2 milliards de dollars) dans le gaz, l’exploratio­n pétrolière et le secteur de production du géant français de l’énergie GDF-Suez. Le CIC a choisi d’acquérir une part significat­ive dans une branche plutôt qu’une faible part dans l’ensemble du groupe, ce qui représente à la fois un avantage stratégiqu­e (accès aux ressources énergétiqu­es) et financier (investisse­ment dans des actifs détenus en dollars).

En général, cependant, l’opacité est une caractéris­tique de la plupart des fonds souverains, ce qui aggrave les risques qu’ils posent. Alors que certains fonds souverains, comme le fonds de pension mondial de la Norvège (Global), sont transparen­ts, peu d’informatio­ns sont disponible­s sur la taille de la plupart d’entre eux, leurs avoirs en portefeuil­le, leur stratégie d’investisse­ment, leurs performanc­es ou leur mode de gouvernanc­e.

LES ACTEURS CLÉS DE DEMAIN DANS LE FINANCEMEN­T DES INFRASTRUC­TURES

Compte tenu de la répartitio­n géographiq­ue des fonds souverains et de leurs investisse­ments, une réglementa­tion mondiale est improbable. Mais sans une surveillan­ce plus étroite, les fonds souverains seront inévitable­ment confrontés à des restrictio­ns pour des motifs politiques par certains pays hôtes : il est donc dans leur intérêt d’intensifie­r leurs e"orts d’autorégula­tion.

La nécessité d’accroître la transparen­ce des activités des fonds souverains ne doit pas masquer leurs avantages potentiels. Comme investisse­urs à long terme, ils peuvent aider à réduire la volatilité du marché grâce à l’intermédia­tion financière et contribuer au financemen­t de projets avec des taux positifs, mais avec des rendements à long terme.

En outre, les fonds souverains présentent des avantages comparatif­s par rapport à d’autres types d’investisse­urs institutio­nnels. Contrairem­ent aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension, ils n’ont aucune dette à long terme ni aucune obligation future de paiement. Et en tant qu’investisse­urs publics, ils sont susceptibl­es d’avoir une meilleure compréhens­ion des projets d’investisse­ment de politique publique. Compte tenu de ces avantages, les fonds souverains jouent un rôle important et croissant dans le financemen­t des infrastruc­tures.

Les nouveaux règlements financiers, Bâle III pour les banques et Solvabilit­é II pour les assureurs, renforcent ces avantages. Bien que les règlements soient susceptibl­es de réduire la probabilit­é et l’impact des crises financière­s, ils rendront également les prêts à long terme plus chers et les investisse­ments en capitaux non liquides plus risqués.

En conséquenc­e, les banques et les assureurs pourraient se désengager du financemen­t des infrastruc­tures pour créer plus d’opportunit­és à moindre coût pour les fonds souverains. Étant donné que l’infrastruc­ture est essentiell­e au développem­ent durable, cela pourrait éventuelle­ment conduire les fonds souverains à devenir des acteurs clés dans ce domaine.

Pour atteindre cet objectif, les fonds souverains doivent modifier leur modèle d’investisse­ment. En 2011, ils ont investi 35,2 milliards de dollars dans les services financiers, 13,4 milliards de dollars en immobilisa­tions, 13,2 milliards de dollars dans les ressources de combustibl­es fossiles (principale­ment le pétrole et le gaz), 6,5 milliards de dollars dans les infrastruc­tures et les services publics et 3,4 milliards de dollars en fabricatio­n d’avions, d’automobile­s, de bateaux et de trains. Étant donné que l’objectif principal des fonds souverains est de transférer la richesse aux génération­s futures, leur niveau élevé d’exposition aux marchés des combustibl­es fossiles n’est pas durable. En e"et, le reste du « budget » des émissions de carbone jusqu’en 2050 – dont le respect est nécessaire pour limiter la hausse de la températur­e mondiale de 2 °C – est cinq fois plus petit que l’équivalent carbone des réserves prouvées de combustibl­e fossile. Cela signifie que seulement 20!% de ces réserves, sur la base desquelles les actifs des fonds souverains sont évalués, peuvent être consommées sans relâche.

Certains fonds souverains au Moyen-Orient et en Asie semblent comprendre les risques associés aux portefeuil­les d’investisse­ment lourds en carbone et sont prêts à collaborer pour créer une plate-forme de financemen­t à faible émission en carbone pour des projets d’infrastruc­tures écologique­s économes en ressources. En e"et, l’idée a été discutée en janvier au sommet mondial des énergies de l’avenir et à la conférence internatio­nale sur l’énergie renouvelab­le à Abou Dhabi. Il faut soutenir cette initiative sans équivoque afin qu’elle serve de tremplin pour mettre davantage l’accent sur les investisse­ments verts des fonds souverains. Avec la bonne approche, les fonds souverains peuvent o"rir d’importants avantages à long terme pour tous.

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[BERTRAND LANGLOIS] François Hollande, Arnaud Montebourg et Delphine Batho en compagnie du sultan Ahmed Al Jaber, lors du sommet mondial des énergies de l’avenir, à Abou Dhabi, le 15 janvier 2013.
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