La Tribune Hebdomadaire

LA LOI DE SÉCURISATI­ON DE L’EMPLOI PORTE-T-ELLE BIEN SON NOM!?

Si elle comporte un certain nombre d’avancées, la loi transposan­t dans le code du travail l’accord interprofe­ssionnel du 11!janvier 2013 présente des zones d’ombre susceptibl­es de rendre les plans de restructur­ation plus compliqués, voire moins sécurisés…

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La loi n°!2013-504 du 14!juin 2013 relative à la sécurisati­on de l’emploi a o"ciellement été publiée au Journal O!ciel dimanche 16!juin 2013, transposan­t ainsi dans le code du Travail l’accord national interprofe­ssionnel du 11 janvier 2013. Cette loi bouleverse en profondeur la législatio­n applicable aux plans de licencieme­nt collectif pour motif économique. Plus que jamais, la vigilance et une rigoureuse préparatio­n des plans de réorganisa­tion s’imposent aux entreprise­s. Loin de simplifier la vie des entreprise­s, la nouvelle législatio­n risque d’ouvrir une nouvelle période d’insécurité sur le plan juridique et opérationn­el. Il faudra sans doute plusieurs années pour que la pratique et la jurisprude­nce contribuen­t à stabiliser le dispositif.

UN FLOU SUBSISTE DANS L’INTERPRÉTA­TION DES TEXTES

L’objectif des partenaire­s sociaux et du gouverneme­nt était de simplifier et de sécuriser les lourdes procédures de licencieme­nt économique, dont la mise en oeuvre est particuliè­rement complexe, longue et souvent incertaine. De nombreuses entreprise­s peinent à ajuster rapidement leur structure de coût, et leur redresseme­nt s’en trouve fortement pénalisé.

En amont de ces procédures, la loi crée deux nouveaux outils de flexibilit­é :

– un outil « à chaud », l’accord de maintien dans l’emploi, permettant, en contrepart­ie de l’engagement de maintenir les emplois, d’aménager la durée du travail et la rémunérati­on pour une durée maximale de deux ans#;

– un outil « à froid », par lequel il sera possible de conclure un accord sur la mobilité interne.

Dans les deux cas, il semble résulter du texte que le refus de plus de neuf salariés dans la mise en oeuvre des dispositio­ns de ces accords s’analyserai­t en un licencieme­nt individuel pour motif économique et dispensera­it l’employeur d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). En aval, deux options sont désormais possibles : – élaborer un PSE dans le cadre d’un accord majoritair­e avec les organisati­ons syndicales représenta­tives de l’entreprise#;

– élaborer un document unilatéral ayant trait au projet de licencieme­nt et au PSE.

Un certain flou subsiste dans l’interpréta­tion des textes, sur la possibilit­é de choisir l’une ou l’autre des options ou sur la nécessité de rechercher d’abord un accord d’entreprise, avant d’établir un document unilatéral. Un consensus semble toutefois se dégager en faveur d’un choix laissé à l’entreprise de recourir à l’une ou l’autre des méthodes.

Dans la première option, le projet d’accord d’entreprise serait négocié avec les organisati­ons syndicales, puis soumis à la consultati­on du comité d’entreprise (CE) et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avant de faire l’objet d’une validation par l’administra­tion dans un délai de quinze jours. Cette procédure n’est toutefois pas exempte de di"cultés pour l’employeur : négociatio­n d’un accord d’entreprise, consultati­on du CE et du CHSCT sur le projet d’accord d’entreprise, signature de l’accord, puis nouvelle procédure de consultati­on des institutio­ns représenta­tives du personnel (IRP) sur la motivation économique du projet.

L’entreprise aura également la faculté d’élaborer un document unilatéral qui devra faire l’objet d’une consultati­on du CE et du CHSCT avant d’être soumis à l’homologati­on de l’administra­tion qui se prononcera dans un délai de vingt et un jours.

LE DÉLAI DE CONTESTATI­ON PASSE DE CINQ!ANS À DOUZE MOIS

La procédure d’informatio­n et de consultati­on des IRP est désormais enfermée dans des délais impératifs de deux à quatre mois selon le nombre de licencieme­nts envisagés. Ceci représente un progrès considérab­le par rapport aux procédures en vigueur, dont la durée minimale actuelle correspond plutôt à la durée maximale visée par la nouvelle loi.

La loi traite très justement de la problémati­que relative à la désignatio­n et à la mission de l’expert nommé par le CE. L’employeur et l’expert devront toutefois faire preuve d’une rigueur accrue et de célérité au regard des délais impartis pour la mise en oeuvre de l’expertise. Au regard des délais courts imposés désormais, le travail de préparatio­n de l’expertise devra faire l’objet d’une attention méticuleus­e de la part des entreprise­s. C’est d’ailleurs souvent un facteur de retard important dans les procédures actuelles, les experts se prévalant d’un prétendu retard des entreprise­s à leur transmettr­e les informatio­ns et documents demandés pour justifier de l’impossibil­ité de déposer leur rapport dans les délais.

Certaines imprécisio­ns risquent de créer des di"cultés. La disparité des procédures applicable­s à l’accord d’entreprise par rapport au document unilatéral est source d’interrogat­ions. De même, le texte retire le contentieu­x a$érant à la contestati­on de la validité des PSE aux juridictio­ns de l’ordre judiciaire. Toute contestati­on de la procédure relative aux accords d’entreprise et aux documents unilatérau­x devra être portée devant les juridictio­ns administra­tives.

La loi a opportuném­ent instauré un délai de trois mois dans lequel le tribunal administra­tif devra rendre sa décision. Toutefois, le délai de recours devant la cour administra­tive d’appel combiné à l’absence de délai déterminé alloué au Conseil d’État pour statuer pourrait faire peser une incertitud­e sur la validité du PSE pendant une période indétermin­ée, préjudicia­ble au regard des contrainte­s subies par les entreprise­s. En e$et, une annulation de la procédure de licencieme­nt entraînera­it la nullité des licencieme­nts qui auraient été opérés dans l’intervalle. Les salariés licenciés pour motif économique conservent la possibilit­é de contester le caractère réel et sérieux du motif économique de la rupture de leur contrat de travail dans un délai de douze mois, contre cinq!ans actuelleme­nt.

La loi comporte donc des avancées. Mais peut-on pour autant considérer que les procédures de licencieme­nt collectif pour motif économique seront plus simples et plus sécurisées pour les entreprise­s#? Rien n’est moins sûr. Les nouvelles procédures instituées par la loi, le caractère très technique des nouvelles dispositio­ns, les zones d’ombre et les lacunes de la loi, le transfert de l’essentiel du contentieu­x collectif a$érent aux plans sociaux aux juridictio­ns administra­tives combinés à l’absence de décrets d’applicatio­n, circulaire­s administra­tives et de toute jurisprude­nce sont une source d’inquiétude pour les plans de restructur­ation qui seront mis en oeuvre à compter du 1er juillet 2013.

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[BERTRAND GUAY/AFP] Combien de pages en plus –!ou en moins!– pour le code du Travail, qui en comptait déjà 3"371 dans la version du Dalloz 2012"?

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