La Tribune Hebdomadaire

Geneviève Fioraso

« Le secteur spatial est essentiel pour notre industrie. »

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL CABIROL

Dans le domaine de l’espace, la rentrée de la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche est particuliè­rement riche. Elle a installé mercredi 4 septembre le Comité de concertati­on État-industrie sur l’espace, dont la mission est de dessiner et de renforcer la stratégie de la France dans le domaine spatial. Lundi 9 septembre, tout le gratin de l’industrie spatiale mondiale sera réuni à Paris pendant trois jours.

LA TRIBUNE – Plus d’un an après votre arrivée à la tête de ( votre ministère, que pensez-vous du secteur spatial!?

GENEVIÈVE FIORASO – Je me suis prise de passion pour ce secteur!! C’est une filière innovante, dynamique et les acteurs y sont passionnés. Si le ministère s’y intéresse, c’est aussi parce qu’il y a des enjeux majeurs en termes de R&D, de politiques européenne­s et, enfin, de compétitiv­ité pour toute notre industrie et bien au-delà. Car ce secteur industriel sait passer de l’invention de laboratoir­e à la réalisatio­n industriel­le. Il s’appuie sur tout un volet de recherche fondamenta­le grâce au Centre national des études spatiales (CNES) et aux établissem­ents publics. Cette recherche di"use ensuite largement dans toute l’industrie. C’est exactement ce que je souhaite réaliser dans ma politique globale pour la recherche. Il est anormal que la France soit classée au sixième rang mondial en matière de publicatio­ns et de puissance scientifiq­ue, mais qu’elle ne soit qu’au vingt-cinquième#rang en matière d’innovation. Ce que l’on appelle « la vallée de la mort », qui sépare l’invention de l’innovation, doit être remplacé, comme dans le secteur de l’espace, par un continuum créateur d’emplois.

L’espace est-il toujours une priorité pour la France et pour ( l’Europe!?

Plus que jamais. La France investit dans l’espace plus de 2 milliards d’euros par an, dont 1,6 milliard pour les programmes civils. C’est un engagement important. Au dernier conseil ministérie­l de l’Agence spatiale européenne à Naples, les pays membres ont décidé d’investir plus de 10 milliards d’euros. L’Europe investit dans l’espace. D’autant qu’il faut ajouter 5 milliards supplément­aires qui seront investis par l’Union européenne au cours de la période 2014-2020. Au total, ce sont 15 milliards d’euros dédiés à l’espace. Il n’y a pas beaucoup de secteurs industriel­s qui reçoivent autant de soutien. Si nous le faisons, c’est que nous croyons au retour sur investisse­ment pour l’industrie et pas seulement pour l’industrie spatiale. C’est un élément essentiel pour notre compétitiv­ité.

Mais pour la France, l’espace est-il un investisse­ment ( vraiment rentable!?

Ce secteur est l’un des rares où la France est positive en matière de commerce extérieur : plus de 500 millions d’euros par an en moyenne, ce qui n’est pas rien quand le solde commercial est à moins 75 milliards d’euros. Cette industrie enregistre quand même un chiffre d’affaires d’environ 6 milliards d’euros par an en Europe, dont 3 milliards générés par l’industrie française. C’est un bilan extrêmemen­t positif. C’est cela qui nous motive.

D’anciens hauts responsabl­es civils et militaires ont criti( qué la configurat­ion choisie pour Ariane"6. Pensez-vous que

ce lanceur reste le meilleur projet pour l’Europe!?

Je ne suis pas sûre qu’ils aient bien suivi toute l’évolution du marché. Ce que je sais, c’est que tous les experts de la famille de l’espace, l’ESA, l’ancien et l’actuel président du CNES, Yannick d’Escatha et Jean-Yves Le Gall, seraient bien passés tout de suite à Ariane#6. J’ai vu, lors du Salon du Bourget, que tout le monde est dans le même état d’esprit. Il faut le faire partager à nos principaux partenaire­s industriel­s français, c’est bien engagé, et allemands, c’est en cours, après une première décision prise à Naples.

On sent les Allemands encore réticents… (

Ils ont donné leur accord.

Mais on a quand même l’impression que ce n’est plus tout ( à fait aussi clair!?

Chaque fois que nous voyons les Allemands, le sujet de l’espace est abordé et la convergenc­e sur les lanceurs est réa$rmée au plus haut niveau par Berlin. Et nous entretenon­s des contacts réguliers. Au-delà, nous avons de bons arguments commerciau­x et techniques pour convaincre l’Allemagne. Mais au final, l’arbitre reste le marché. Et aujourd’hui, Arianespac­e, bien que numéro 1 mondial, rate des opportunit­és de business. Pourquoi!? Par manque de petits satellites pour réaliser les lancements doubles d’Ariane#5. Ariane#6, avec son lancement simple, permettra de mieux répondre à cette demande du marché.

Ariane"6 va entraîner une sérieuse réorganisa­tion de l’indus( trie. Selon certains, il n’y a qu’un pas pour dire que réduire les coûts, c’est aussi réduire l’emploi.

Je le dirais autrement. Répondre au marché, c’est préserver l’emploi. Et pour répondre au marché, en tenant compte de la concurrenc­e croissante de SpaceX, Boeing et des pays émergents, il faut réduire les coûts. Cela suppose davantage d’innovation­s et de disposer de solutions plus génériques, donc moins spécifique­s. En outre, nous aurons une seule version, ce qui permettra d’optimiser les coûts et la fiabilité. Pour autant, nous ne nous lançons pas dans une politique de « cost killer » mais il est impératif d’atteindre un coût de lancement autour de 70 millions d’euros. D’une façon générale, l’idée n’est pas de réduire la dépense pour l’espace, mais de l’orienter davantage dans la R&D, pour être plus compétitif.

La nouvelle organisati­on d’EADS ( est-elle satisfaisa­nte pour les intérêts de la France dans l’espace!?

Cette décision appartient à EADS. Nous comprenons la philosophi­e globale du groupe. Mais nous serons extrêmemen­t vigilants avec Jean-Yves Le Drian (le ministre de la Défense, ndlr) sur l’évolution des activités spatiales en France. Une vigilance qui portera sur l’évolution des activités, des emplois et sur la stratégie. Le monde a changé, les entreprise­s sont dans une compétitio­n internatio­nale dont il faut tenir compte si l’on veut préserver les emplois à terme.

Certains voudraient supprimer le CNES. L’État a-t-il ( encore besoin de cet outil!?

Ce qui me frappe depuis que j’ai la responsabi­lité de l’espace, c’est que tous nos partenaire­s européens nous envient le CNES. On l’a bien vu lorsqu’il s’est agi de définir Ariane# 6. L’ADN du lanceur qui fera qu’il sera compétitif, nous le devons au CNES. Alors, c’est vrai que certains ont pu rêver de le fusionner avec certaines entreprise­s du secteur. Mais je pense qu’il est essentiel que l’État garde un établissem­ent public d’excellence pour la R&D et l’expertise. L’État est là pour garantir que la France va continuer sa politique de R&D, qui ne doit pas être soumise aux aléas du marché comme c’est le cas pour une entreprise. Bien sûr, nous devons prendre en compte le marché, c’est important, mais dans le même temps, l’État doit fixer un cap, avoir une vision de moyen et long terme.

L’un des programmes emblématiq­ues de notre partenaria­t ( avec la Russie est Soyouz à Kourou. Ce lanceur va-t-il quitter le Centre spatial guyanais avec l’arrivée d’Ariane 6!?

Soyouz à Kourou, c’est très important et nous y tenons beaucoup. Quand Ariane# 6 arrivera à Kourou, nous verrons bien. Nous avons du temps pour nous y préparer. Ariane#5 a cohabité avec Ariane#4, et puis Soyouz peut évoluer aussi. Nous devons saisir toutes les opportunit­és à ce moment-là.

 ??  ?? La ministre de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche défend le rôle de l’État pour soutenir l’innovation.
La ministre de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche défend le rôle de l’État pour soutenir l’innovation.
 ?? [BENJAMIN CHELLY] ?? Selon la ministre, «!l’État est là pour garantir que la France va continuer sa politique de R&D, qui ne doit pas être soumise aux aléas du marché!» .
[BENJAMIN CHELLY] Selon la ministre, «!l’État est là pour garantir que la France va continuer sa politique de R&D, qui ne doit pas être soumise aux aléas du marché!» .

Newspapers in French

Newspapers from France