Geneviève Fioraso
« Le secteur spatial est essentiel pour notre industrie. »
Dans le domaine de l’espace, la rentrée de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est particulièrement riche. Elle a installé mercredi 4 septembre le Comité de concertation État-industrie sur l’espace, dont la mission est de dessiner et de renforcer la stratégie de la France dans le domaine spatial. Lundi 9 septembre, tout le gratin de l’industrie spatiale mondiale sera réuni à Paris pendant trois jours.
LA TRIBUNE – Plus d’un an après votre arrivée à la tête de ( votre ministère, que pensez-vous du secteur spatial!?
GENEVIÈVE FIORASO – Je me suis prise de passion pour ce secteur!! C’est une filière innovante, dynamique et les acteurs y sont passionnés. Si le ministère s’y intéresse, c’est aussi parce qu’il y a des enjeux majeurs en termes de R&D, de politiques européennes et, enfin, de compétitivité pour toute notre industrie et bien au-delà. Car ce secteur industriel sait passer de l’invention de laboratoire à la réalisation industrielle. Il s’appuie sur tout un volet de recherche fondamentale grâce au Centre national des études spatiales (CNES) et aux établissements publics. Cette recherche di"use ensuite largement dans toute l’industrie. C’est exactement ce que je souhaite réaliser dans ma politique globale pour la recherche. Il est anormal que la France soit classée au sixième rang mondial en matière de publications et de puissance scientifique, mais qu’elle ne soit qu’au vingt-cinquième#rang en matière d’innovation. Ce que l’on appelle « la vallée de la mort », qui sépare l’invention de l’innovation, doit être remplacé, comme dans le secteur de l’espace, par un continuum créateur d’emplois.
L’espace est-il toujours une priorité pour la France et pour ( l’Europe!?
Plus que jamais. La France investit dans l’espace plus de 2 milliards d’euros par an, dont 1,6 milliard pour les programmes civils. C’est un engagement important. Au dernier conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne à Naples, les pays membres ont décidé d’investir plus de 10 milliards d’euros. L’Europe investit dans l’espace. D’autant qu’il faut ajouter 5 milliards supplémentaires qui seront investis par l’Union européenne au cours de la période 2014-2020. Au total, ce sont 15 milliards d’euros dédiés à l’espace. Il n’y a pas beaucoup de secteurs industriels qui reçoivent autant de soutien. Si nous le faisons, c’est que nous croyons au retour sur investissement pour l’industrie et pas seulement pour l’industrie spatiale. C’est un élément essentiel pour notre compétitivité.
Mais pour la France, l’espace est-il un investissement ( vraiment rentable!?
Ce secteur est l’un des rares où la France est positive en matière de commerce extérieur : plus de 500 millions d’euros par an en moyenne, ce qui n’est pas rien quand le solde commercial est à moins 75 milliards d’euros. Cette industrie enregistre quand même un chiffre d’affaires d’environ 6 milliards d’euros par an en Europe, dont 3 milliards générés par l’industrie française. C’est un bilan extrêmement positif. C’est cela qui nous motive.
D’anciens hauts responsables civils et militaires ont criti( qué la configuration choisie pour Ariane"6. Pensez-vous que
ce lanceur reste le meilleur projet pour l’Europe!?
Je ne suis pas sûre qu’ils aient bien suivi toute l’évolution du marché. Ce que je sais, c’est que tous les experts de la famille de l’espace, l’ESA, l’ancien et l’actuel président du CNES, Yannick d’Escatha et Jean-Yves Le Gall, seraient bien passés tout de suite à Ariane#6. J’ai vu, lors du Salon du Bourget, que tout le monde est dans le même état d’esprit. Il faut le faire partager à nos principaux partenaires industriels français, c’est bien engagé, et allemands, c’est en cours, après une première décision prise à Naples.
On sent les Allemands encore réticents… (
Ils ont donné leur accord.
Mais on a quand même l’impression que ce n’est plus tout ( à fait aussi clair!?
Chaque fois que nous voyons les Allemands, le sujet de l’espace est abordé et la convergence sur les lanceurs est réa$rmée au plus haut niveau par Berlin. Et nous entretenons des contacts réguliers. Au-delà, nous avons de bons arguments commerciaux et techniques pour convaincre l’Allemagne. Mais au final, l’arbitre reste le marché. Et aujourd’hui, Arianespace, bien que numéro 1 mondial, rate des opportunités de business. Pourquoi!? Par manque de petits satellites pour réaliser les lancements doubles d’Ariane#5. Ariane#6, avec son lancement simple, permettra de mieux répondre à cette demande du marché.
Ariane"6 va entraîner une sérieuse réorganisation de l’indus( trie. Selon certains, il n’y a qu’un pas pour dire que réduire les coûts, c’est aussi réduire l’emploi.
Je le dirais autrement. Répondre au marché, c’est préserver l’emploi. Et pour répondre au marché, en tenant compte de la concurrence croissante de SpaceX, Boeing et des pays émergents, il faut réduire les coûts. Cela suppose davantage d’innovations et de disposer de solutions plus génériques, donc moins spécifiques. En outre, nous aurons une seule version, ce qui permettra d’optimiser les coûts et la fiabilité. Pour autant, nous ne nous lançons pas dans une politique de « cost killer » mais il est impératif d’atteindre un coût de lancement autour de 70 millions d’euros. D’une façon générale, l’idée n’est pas de réduire la dépense pour l’espace, mais de l’orienter davantage dans la R&D, pour être plus compétitif.
La nouvelle organisation d’EADS ( est-elle satisfaisante pour les intérêts de la France dans l’espace!?
Cette décision appartient à EADS. Nous comprenons la philosophie globale du groupe. Mais nous serons extrêmement vigilants avec Jean-Yves Le Drian (le ministre de la Défense, ndlr) sur l’évolution des activités spatiales en France. Une vigilance qui portera sur l’évolution des activités, des emplois et sur la stratégie. Le monde a changé, les entreprises sont dans une compétition internationale dont il faut tenir compte si l’on veut préserver les emplois à terme.
Certains voudraient supprimer le CNES. L’État a-t-il ( encore besoin de cet outil!?
Ce qui me frappe depuis que j’ai la responsabilité de l’espace, c’est que tous nos partenaires européens nous envient le CNES. On l’a bien vu lorsqu’il s’est agi de définir Ariane# 6. L’ADN du lanceur qui fera qu’il sera compétitif, nous le devons au CNES. Alors, c’est vrai que certains ont pu rêver de le fusionner avec certaines entreprises du secteur. Mais je pense qu’il est essentiel que l’État garde un établissement public d’excellence pour la R&D et l’expertise. L’État est là pour garantir que la France va continuer sa politique de R&D, qui ne doit pas être soumise aux aléas du marché comme c’est le cas pour une entreprise. Bien sûr, nous devons prendre en compte le marché, c’est important, mais dans le même temps, l’État doit fixer un cap, avoir une vision de moyen et long terme.
L’un des programmes emblématiques de notre partenariat ( avec la Russie est Soyouz à Kourou. Ce lanceur va-t-il quitter le Centre spatial guyanais avec l’arrivée d’Ariane 6!?
Soyouz à Kourou, c’est très important et nous y tenons beaucoup. Quand Ariane# 6 arrivera à Kourou, nous verrons bien. Nous avons du temps pour nous y préparer. Ariane#5 a cohabité avec Ariane#4, et puis Soyouz peut évoluer aussi. Nous devons saisir toutes les opportunités à ce moment-là.