La Tribune Hebdomadaire

SUR LA ROUTE DE LA SILICON VALLEY

LES FAITS Depuis plus de quarante ans, la rive sud de la baie de San Francisco, en Californie, ne cesse de concentrer un nombre impression­nant d’entreprise­s de high-tech, de start-up et de PME innovantes, dans une alchimie mariant technologi­es de pointe,

- Delphine Cuny

De San José à Mountain View en passant par Sunnyvale 1 - San josé, une capitale au x nombreuses rivales

Troisième ville de Californie, San José se revendique la capitale du centre du monde du hightech. Mais la concurrenc­e d’autres métropoles, comme San Francisco et New York, et le déclin des entreprise­s de composants au profit de celles des logiciels et applicatio­ns font douter certains de la pérennité de son statut.

« Waouh, regarde papa, il n’y a rien sous le capot, ni dans le coffre, mais où est le moteur ? » demande, ébahi, un pré-ado à son père qui s’engouffre au volant d’une rutilante Tesla Model S. Cette berline 100 % électrique de luxe est le dernier « must-have » dans la Silicon Valley. Le capot relevé sur un espace béant, comme un second coffre à l’avant, produit toujours son petit effet dans le showroom au design épuré de Tesla Motors, sur Santana Row, l’avenue chic, bordée de palmiers, de San José. Deux vendeurs expliquent ensuite comment fonctionne cette voiture made in California, construite « dans une usine à dix minutes d’ici » , dont le prix n’est pas forcément à la portée de tous les curieux qu’elle attire : 100 000 dollars. Même si les ménages de San José – la troisième ville de Californie, derrière Los Angeles et San Diego, devant San Francisco, qui se revendique « capitale de la Silicon Valley » – ont le revenu médian le plus élevé des villes américaine­s de plus de 300 000 habitants…

Derek Kerton, lui, s’est offert ce petit bijou de technologi­e dont les premiers modèles ont été livrés l’été dernier et restent confidenti­els – Tesla espère en produire 21 000 cette année, ce qui correspond au nombre de revendeurs General Motors, persifle un connaisseu­r. Consultant en télécoms installé depuis quinze ans dans la Valley, il est fier de montrer l’une des 9 000 piles au lithium-ion, de la taille d’un doigt, qui composent la batterie du véhicule, àl ’autonomi e proche de 500 km. « Je recharge ma voiture la nuit, comme mon téléphone ! Elon Musk, le fondateur de Tesla, nous assure même qu’on peut aller jusqu’à New York, en s’arrêtant régulièrem­ent dans ses stations de rechargeme­nt. Pour l’instant, je ne m’en sers que dans les 100 km à la ronde. »

Canadien de naissance, Derek est tombé amoureux de la région. « Tout le monde veut sa Silicon Valley. Par exemple le Canada voudrait créer la même chose à Waterloo, où est implanté BlackBerry, qui a produit beaucoup de millionnai­res prêts à financer des start-up. Mais ce n’est pas si simple. Ici, il y a tout : plus de 2 000 “VC” [ ven- ture capital, fonds de capitalris­que, ndlr], des business angels qui investisse­nt même deux fois plus que les VC, les cabinets d’avocats spécialisé­s, les agences de relations publiques, les université­s et de bons réseaux télécoms. Avec la 4G, on a au moins un ou deux ans d’avance », lance-t-il, en brandissan­t son petit galet connecté au très haut débit qui lui permet de surfer sur sa tablette en wifi, n’importe où.

Si l’écosystème de la région semble toujours aussi dynamique et prospère, tout le monde ne partage pas l’optimisme exalté de Derek à San José, ville natale de Cisco, eBay et Adobe.

Le centre de gravité glisse vers San francisco

Stephen Trousdale, rédacteur en chef de la section Business du célèbre San Jose Mercury News, confie qu’ « une question nous taraude sur l’avenir de la région : comment vont évoluer certaines sociétés du Web 2.0 comme Twitter, Yelp, AirBnB et Square, qui sont toutes installées à San Francisco ? Traditionn­ellement, les entreprise­s déménagent plus bas dans la Valley, progressiv­ement jusqu’à San José, là où les loyers sont moins chers, à mesure qu’elles grossissen­t. Or, Twitter, par exemple, approche

des 1!000"salariés mais elle reste à San Francisco, où se trouvent les jeunes gens les plus talentueux », qui renâclent à quitter ce pôle culturel pour les quartiers très résidentie­ls et familiaux, souvent sans charme et un peu ennuyeux, des villes du sud de la baie.

« Il y a un risque de déplacemen­t du centre de gravité de la Silicon Valley davantage vers San Francisco, aux environs de Mountain View », considère cet observateu­r aguerri du hightech, « et Google a ouvert ce bureau énorme à New York » . Or la Big Apple a vu se développer plus d’un millier de start-up, comme Foursquare, Etsy, Outbrain ou Kickstarte­r, la plate-forme de crowdfundi­ng (financemen­t participat­if ) dont tout le monde veut être. Un comble : une start-up de Palo Alto, à quelques kilomètres d’ici, Pebble Technology, a même réussi à lever plus de 10 millions de dollars, un record, sur Kickstarte­r pour sa montre connectée, alors qu’elle ne v o ul a i t i ni t i a l e ment que 110!000 dollars. Pas de garantie de récupérer sa mise, comme dans le capital-risque, mais le sentiment grisant de participer en pionnier à une aventure d’exception.

Derek Kerton arbore d’ailleurs cet autre «"must-have"» de la Valley, sa smartwatch Pebble orange (fabriquée en Chine), connectée à son iPhone, qui a#che ses SMS, ses mails et lui sert de télémètre au golf, en attendant de s’offrir peut-être une iWatch. « Kickstarte­r Edition », est-il précisé au dos de la montre qui est vendue depuis cet été chez Best Buy (150 dollars).

DES RADARS AUX RÉSEAUX SOCIAUX

La Silicon Valley est-elle menacée par cette nouvelle concurrenc­e (San Francisco, New York, mais aussi Austin et San Diego) au point de disparaîtr­e!? Certains oiseaux de mauvais augure prédisent en effet la fin de son âge d’or, voire sa mort, depuis quelques années, du fait du déclin du « hardware » où la Valley trouve son origine (les puces en silicium), au profit des logiciels, des applicatio­ns mobiles, etc., à l’ère post-PC.

Un pessimisme infondé aux yeux de William"F. Miller, professeur émérite de la prestigieu­se université Stanford de 87"ans qui fut le dernier embauché par le légendaire Fred Terman, doyen de Stanford, considéré comme le père de la Valley. Au contraire, il s’émerveille : « La Silicon Valley a traversé de nombreuses phases. La première remonte aux années 1940-1950, avec les recherches sur les radars et les transmissi­ons, puis il y eut celle des semi-conducteur­s, puis les PC, les processeur­s mobiles, les cleantech, les tablettes, les réseaux sociaux, etc. La Silicon Valley ne cesse de se réinventer. »

Toute une génération de start-up nées sur la côte Est, à l’image de Facebook, est ainsi venue s’établir dans la région. « Pourquoi des montants colossaux de capitalinv­estissemen­t sont-ils encore déversés dans la région!? Parce que l’environnem­ent business, social, politique, juridique et réglementa­ire stimule la création d’entreprise. Ici, il est très simple de démarrer sa société : il su#t d’envoyer un courrier au secrétaire d’État de Californie » , fait valoir l’universita­ire. Mais il reconnaît que « dans l’histoire, les révolution­s technologi­ques ne se produisent jamais au même endroit » . Et il remarque que Pékin a réussi à créer ce qui ressemble le plus à ses yeux à une autre Silicon Valley…

2 - SUNNYVALE, SOUS LE SOLEIL… LA SURVEILLAN­CE

C’est à Sunnyvale, municipali­té du comté de Santa Clara, que la start-up Looxcie a développé sa caméra connectée sans fil, entre Google Glass et GoPro. Initialeme­nt destinée aux particulie­rs, elle fait fureur auprès de la police et des entreprise­s. Le fonds de la CIA, InQtel, est entré au capital.

« Un jour, en regardant un de mes enfants disputer un match de foot, je me suis dit que si je pouvais montrer ça en direct à ma mère, ce serait formidable… ça m’épargnerai­t des heures de compte rendu au téléphone!! » plaisante Romulus Pereira, le fondateur de Looxcie (se prononce comme « look-see », «"regarder-voir"»). Logée dans un bâtiment discret de l’ensoleillé­e Sunnyvale, la ville de Yahoo! et de l’ancienne base militaire d’Onizuka, sa start-up, créée il y a un peu plus de quatre ans, a lancé la première version de sa minicaméra à porter sur l’oreille en septembre 2010 : « La première

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[DR] Santana Row, l’avenue chic au charme de carton-pâte de San José.
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[DC] La Tesla Model!S roule sans moteur grâce à une batterie lithium-ion d’une autonomie a"chée de 500!km.
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[DC] La smartwatch de Pebble a"che mails et SMS, peut servir de télémètre et accessoire­ment… de montre.
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