La Tribune Hebdomadaire

Retraites : Jean-marc Ayrault, le rameur à tout petits bras

- JEAN-CHRISTOPHE CHANUT

La réforme des retraites annoncée par le Premier ministre constitue un parfait condensé de la conception « hollandais­e » de la politique : déminer le terrain, gommer les aspérités, renoncer à tout ce qui peut faire réellement polémique et trouver des compromis.

CETTE PREMIÈRE « VRAIE » RÉFORME DES RETRAITES D’UN GOUVERNEME­NT SOCIALISTE – puisqu’en son temps Lionel Jospin s’était finalement abstenu – est tout entière marquée du sceau de la « méthode Hollande ». À savoir, la recherche obstinée d’un équilibre et la volonté de ne parvenir à aucune rupture pour ne fâcher personne. On reconnaît ici la patte de celui qui fut pendant plus de dix!ans le premier secrétaire du Parti socialiste. François Hollande devenu président de la République n’a pas changé. Cette réforme tant attendue, tant annoncée, tant redoutée, en est la plus parfaite illustrati­on : pas de tsunami, même pas de simples vagues. D’abord, on démine et on décrispe"! Comment"? En portant l’essentiel de l’e#ort sur le déficit du régime général et des régimes assimilés (-7,6 milliards d’euros attendus en 2020). Et on « oublie » volontaire­ment que les rapports successifs du Conseil d’orientatio­n des retraites estimaient le déficit global des 35!régimes des retraites à plus de 20 milliards en 2020.

Certes, mais pas question en cette période de conjonctur­e morose et à quelques mois d’élections municipale­s qui s’annoncent di$ciles de toucher aux régimes spéciaux et à celui des fonctionna­ires. Surtout quand les syndicats appellent à manifester le 10 septembre.

Épargnés par la réforme, les gros bataillons de fonctionna­ires et d’agents des entreprise­s publiques hésiteront peut-être à descendre dans la rue. Résultat, le « trou » d’environ 7 milliards d’euros de ces régimes continuera d’être compensé par le budget de l’État. Attention tout de même, la hausse de la cotisation retraite ainsi que l’allongemen­t après 2020 de la durée de cotisation concernero­nt également les salariés du public.

Par ailleurs, il s’agissait aussi d’éviter la critique sur le pouvoir d’achat. Donc, exit – pour l’instant – l’augmentati­on de la CSG, y compris pour les retraités. Exit également l’idée de la désindexat­ion partielle de la revalorisa­tion des pensions. Des mesures de compensati­on plus fines ont été trouvées. Tel le décalage du 1er avril au 1er octobre (dès 2014) de la revalorisa­tion des pensions. Un gain de six mois (la première année) qui permet « d’économiser » 1,4 milliard d’euros.

Du côté des entreprise­s, JeanMarc Ayrault a eu l’astuce de proposer à Pierre Gattaz, le nouveau président du Medef, une baisse globale du coût du travail, dès 2014. Comment"? En accédant à une vieille revendicat­ion patronale de transférer une partie des 34 milliards d’euros de la politique familiale à la charge des entreprise­s vers un autre mode de financemen­t. Les modalités devraient être connues bientôt.

PAS DE RUPTURE AVEC LES RÉFORMES « DE DROITE »

Et c’est peut-être ici que l’on va de nouveau entendre parler d’une augmentati­on de la CSG. De fait, la piste de la TVA semble compromise puisqu’il est déjà acté que celle-ci augmentera de 0,4!point le 1er!janvier 2014. Or, le produit de cette hausse est déjà a#ecté, il ne pourra donc pas servir à financer la politique familiale.

Sur la durée de cotisation aussi, le gouverneme­nt a surfé sur un certain équilibre. Cette première réforme « de gauche » ne constitue en rien une rupture avec les réformes « de droite » menées depuis Édouard Balladur en 1993. Mieux, diront les uns, pire diront les autres, la future réforme Ayrault s’inscrit complèteme­nt dans la logique des précédente­s. Elle les entérine même. Car les règles du jeu s’agissant de l’augmentati­on de la durée de cotisation ne sont pas changées… Elles sont prolongées au-delà de 2020, jusqu’en 2035. Cette année-là, la durée nécessaire de cotisation pour avoir une retraite à taux plein va donc continuer d’augmenter d’un trimestre tous les trois! ans – exactement comme actuelleme­nt – pour atteindre un maximum de quarante-trois!ans.

Certes, pour les jeunes et/ou ceux qui ont fait de longues études, atteindre quarante-trois!ans de cotisation va être bien long. Mais « patte » de gauche de la réforme, le système de rachat de trimestres de cotisation sera moins onéreux, la validation des trimestres de travail à temps partiel facilitée et la pénibilité prise en compte. Quant au report de l’âge légal pour bénéficier d’une retraite à taux plein, là aussi le statu quo règne. Mais il convient de remettre les choses en perspectiv­e.

D’ICI À 2040, TOUT IRA MIEUX…

Lors de la campagne présidenti­elle, le candidat Hollande n’a jamais promis un retour général de la retraite à 60!ans (passée à 62!ans depuis la réforme Sarkozy), mais que l’âge légal ne serait pas augmenté. C’est ce que prévoit la réforme Ayrault. Certes, retarder l’âge de départ à la retraite a pour mérite immédiat de réaliser de sacrées économies. Mais, ce faisant, on néglige d’autres paramètres. Ainsi, ce recul est-il vraiment justifié en période de chômage de masse quand les jeunes ne parviennen­t pas à entrer sur le marché du travail"? Est-il vraiment utile quand près d’une personne sur deux qui liquide sa retraite est déjà en situation de non-travail"? En outre, à la di#érence de ses voisins, et notamment l’Allemagne, la France a une situation démographi­que à terme très favorable. L’Hexagone, passé le cap du départ à la retraite des génération­s du baby-boom, retrouvera vers 2030-2040 un rapport actif/ inactif tout à fait gérable. Dans ces conditions, pourquoi retarder encore l’âge du départ à la retraite"?

Une chose semble cependant certaine!: cette énième réforme ne sera pas la dernière. Bruxelles va surveiller de très près le cheminemen­t de la réforme. Régler la question des retraites était en effet l’une des conditions pour accepter de retarder de deux ans le retour à un déficit public limité à 3"% du PIB.

Bref, la réforme Ayrault ne mérite pas l’opprobre dont l’accablent certains. Mais elle manque singulière­ment d’ampleur par rapport à ce que l’on pouvait attendre d’une majorité qui a eu largement le temps de réfléchir – du temps où elle était dans l’opposition – à une refondatio­n profonde du système. Mais quand on connaît le sens de la mesure et la prudence de François Hollande, il ne fallait pas s’attendre à un tremblemen­t de terre.

 ?? [LIONEL BONAVENTUR­E/AFP] ?? Le Premier ministre a!chait un sourire de circonstan­ce en arrivant à Matignon, lundi 26"août, pour y recevoir les partenaire­s sociaux concernés par la réforme des retraites.
[LIONEL BONAVENTUR­E/AFP] Le Premier ministre a!chait un sourire de circonstan­ce en arrivant à Matignon, lundi 26"août, pour y recevoir les partenaire­s sociaux concernés par la réforme des retraites.

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