Riche comme Dieu en Allemagne…
Jusqu’aux élections générales du 22 septembre, retrouvez dans La Tribune notre série pour mieux comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui et de demain. Notre étape de la semaine nous emmène à Münster. Haut-lieu des guerres de religion au XVIe siècle, cette vil
Où mieux qu’à Münster, l’un des plus anciens évêchés d’Europe, fondé en 805 par un moine frison, saint Ludger, chargé par Charlemagne de christianiser les Saxons, aborder la question de la religion en Allemagne!?
Cette petite cité de Rhénanie-dunord-Westphalie coule aujourd’hui des jours tranquilles, à l’abri de la monumentale cathédrale SaintPaul, fondée au XIIIe siècle, reconstruite en 1952 car entièrement détruite, comme le reste de la ville, en 1945 (16!000 bombes l’avaient rayée de la carte). Münster a payé au prix fort les guerres de religion. C’est là que Jan Matthijs, un prêcheur anabaptiste, décida de créer la nouvelle Jérusalem Céleste en 1535, et que son apôtre Jean de Leyde se proclama « Roi de Sion ».
Assiégée par les soldats de l’évêque, la ville dut se rendre et tous les anabaptistes furent massacrés. Puis elle fut détruite lors de la guerre de Trente Ans. Et c’est dans son hôtel de ville, dont la façade gothique datait du XIVe siècle (reconstruite en 1950), que se déroulèrent une partie des négociations qui ont abouti à la signature des traités de Westphalie en 1648, mettant fin à une guerre qui avait dévasté une bonne partie du pays.
Münster est le siège de l’une des plus prestigieuses universités d’Allemagne, l’université Frédéric-- Guillaume, fondée en 1780, baptisée aujourd’hui WWU pour Westfälische Wilhelms-Universität, et qui fait partie du « cluster d’excellence » qui rassemble les meilleures universités du pays. Dirigée par une femme, le professeur Ursula Nelles, WWU compte 37!000" étudiants auxquels on enseigne le droit, la philosophie, les mathématiques, la médecine, les sciences naturelles… et la religion, avec une faculté de théologie catholique et une autre de théologie protestante. Elle abrite aussi une chaire de sociologie de la religion, où oeuvre le professeur Detlef Pollack, qui travaille notamment sur les questions de diversité religieuse et d’intégration1.
À L’EST, LE MARXISME A EU RAISON DE LA RELIGIOSITÉ
Le rapport de l’Allemagne et de la religion est relativement mal apprécié en France. Ce que l’on évoque cependant souvent, c’est le poids de la culture protestante, qui expliquerait ce goût pour l’austérité, la morale, la frugalité que l’on prête à l’Allemagne et qui ne serait pas pour rien dans la façon dont la chancelière Angela Merkel, fille de pasteur, aborde la gestion de la crise de l’euro. Après tout, le président de la république fédérale, Joachim Gauck, est un ancien pasteur…
Tout cela fait sourire le professeur Pollack" : « Les valeurs traditionnelles du protestantisme ne peuvent plus servir à qualifier la société alle- mande d’aujourd’hui, dit-il. Tout cela est loin. Il s’est produit une évolution importante ces dernières années. Les valeurs anciennes, comme un certain sens de la discipline, de l’ordre, que certains à l’étranger prêtent encore à l’Allemagne, ont disparu. Les Allemands d’aujourd’hui, quelle que soit leur appartenance religieuse, veulent être optimistes, ouverts, honnêtes, déterminer leur vie par eux-mêmes, et surtout recherchent le bonheur, avec un degré assez élevé de solidarité. »
Quel paysage religieux o#re l’Allemagne d’aujourd’hui!? Celui d’un pays coupé en deux entre l’Est et l’Ouest. À l’Ouest, on compte 40!% de catholiques et 35!% de protestants, avec une forte représentation des catholiques dans le sud de l’Allemagne et une tradition protestante plus ancrée dans les Länder du Nord (16!% des Allemands ne sont membres d’aucune Église, 3,7!% sont musulmans). 75!% des habitants des Länder de l’Ouest se déclarent « chrétiens ». Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette appartenance religieuse revêt un aspect social et culturel, puisque seuls 67!% des Allemands de l’Ouest déclarent croire en Dieu…
À l’Est, la situation est toute di#érente. Le régime communiste a presque éradiqué la pratique religieuse. 70!% des habitants des Länder de l’ex-RDA ne sont membres d’aucune Église (seuls 20!% d’entre eux déclarent croire en Dieu). Les protestants ne représentent que 20!% de la population, et les catholiques 4!%. Du temps de la RDA, être membre d’une Église s’apparentait à une forme de combat politique. C’est pour « évangéliser » les Allemands de l’Est que le père d’Angela Merkel a quitté Hambourg pour s’installer dans une petite communauté du Brandebourg, avant de prendre des responsabilités plus importantes au sein de l’Église protestante de la RDA. Joachim Gauck, en tant que pasteur, fut l’un des leaders des manifestations contre le pouvoir communiste à Rostock. Aujourd’hui encore, les membres des deux Églises chrétiennes élus par les Länder de l’Est au Bundestag sont surreprésentés, ce qui est le signe d’un militantisme politique actif (40!% sont protestants, 20!% sont catholiques).
ÉGLISES ET TEMPLES SONT FINANCÉS PAR L’IMPÔT
En Allemagne, le financement des Églises catholiques et des temples protestants est assuré par l’impôt. Ils bénéficient du droit de lever des impôts et délèguent aux Länder le soin de le percevoir.
Tous les Allemands enregistrés auprès de l’une ou l’autre entité religieuse paient cet impôt, qui représente entre 8 et 9!% du total de l’impôt sur le revenu, ce qui assure des recettes de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros pour les deux cultes2. Cet argent sert à rémunérer les pasteurs et les prêtres mais aussi les musiciens, les chorales, l’administration et les travailleurs sociaux. Chacune des deux entités emploie environ 250!000"personnes, dont 13!000"prêtres et 25!000"pasteurs. Bien sûr, ce système soulève des critiques, certains Allemands estimant que cette contribution obligatoire devrait être remplacée par des dons volontaires. Mais pour l’heure, il n’est pas question de réformes. Il faut souligner que les deux obédiences ont créé de puissantes organisations caritatives, Caritas pour les catholiques, Diakonie pour les protestants, en grande partie financées par les Länder, et qui mobilisent plusieurs centaines de milliers de collaborateurs. L’Église allemande est donc une institution puissante qui a fortement investi le champ social et celui de la solidarité.
Si, dans les années 1950, les clivages entre catholiques et protestants étaient encore importants, il n’est est plus de même. « Je pense qu’aujourd’hui, les membres des deux Églises ne font pas très bien la di!érence entre eux, estime Detlef Pollack. En Allemagne, l’Église n’est pas considérée comme une force politique, mais comme un facteur d’intégration, un élément de paix et d’action sociale. »