La Tribune Hebdomadaire

FORMATION PROFESSION­NELLE : OSONS PARLER DE SEGMENTATI­ON

Par sa connotatio­n inégalitai­re, l’idée d’une segmentati­on peut choquer. C’est pourtant une technique qui permettrai­t d’en finir avec l’actuelle ine!cacité d’allocation des ressources de formation.

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Le gouverneme­nt a clairement exprimé sa volonté de recentrer la politique publique de formation profession­nelle sur les publics les plus fragilisés vis-à-vis de l’emploi : les jeunes peu ou pas qualifiés, les demandeurs d’emploi, les salariés les plus exposés par les mutations économique­s. Si l’urgence de la situation de l’emploi justifie amplement cette orientatio­n, l’inscriptio­n de cette priorité dans la future loi sur la formation profession­nelle et sa mise en oeuvre concrète demandent de s’attaquer à des questions di!ciles.

Instaurée en 1970, la formation profession­nelle représenta­it en 2010 un investisse­ment annuel de 32,5 milliards d’euros (13,1 ayant été versés par les entreprise­s) soit 1,6"% du PIB1 et un marché composé d’environ 60"000#organismes­2. Certes, le système de formation profession­nelle est complexe. On peut déplorer sa lourdeur, son coût, son manque d’e!cacité, etc. Une fois ces constats posés, reconnaiss­ons que la complexité ne serait pas si problémati­que si les acteurs du secteur étaient seuls à en subir les conséquenc­es. Or, elle pèse surtout sur les utilisateu­rs du système, en particulie­r sur les publics les moins bien armés pour faire progresser leur employabil­ité. La priorité consiste à simplifier l’accès à la formation et de rendre lisibles pour tous les bénéficiai­res aussi bien les droits que les o$res et les possibilit­és de parcours.

FAIRE ÉVOLUER LA PSEUDO-ÉGALITÉ VERS UNE GARANTIE D’ÉQUITÉ

Il est techniquem­ent tout à fait possible d’améliorer le système existant. La première condition est d’accepter de mettre à distance le principe d’égalité du système de formation actuel. L’égalité poussée à l’extrême ne produit pas l’équité attendue. En e$et, il bénéficie en premier lieu aux salariés les plus qualifiés : en 2010, toutes tailles d’entreprise­s confondues, 56"% des cadres ont eu accès à des cours ou à des stages pour seulement 39"% des employés et 35"% des ouvriers3. Les collaborat­eurs des entreprise­s de plus de 1"000#salariés sont statistiqu­ement favorisés : ils sont 59"% à avoir bénéficié d’une formation en 2010, contre 24"% dans les entreprise­s de 10 à 19#salariés. Dans nombre de ces petites structures, les droits à la formation ne sont pas utilisés tout simplement parce que personne n’a le temps de s’en préoccuper. Enfin, il est démontré que les jeunes sortis du système scolaire sans qualificat­ion n’ont pas accès à la formation profession­nelle et 13"% de l’e$ort financier global est dédié aux demandeurs d’emploi.

Pour recentrer la politique de formation sur ceux qui en ont le plus besoin, il faut sortir de la logique des pourcentag­es et des grandes masses – les jeunes, les chômeurs, les salariés les plus exposés… – et accepter de passer à une logique de segmentati­on. Le mot, par sa connotatio­n inégalitai­re et sa coloration « marketing », peut choquer mais il faut le prendre pour ce qu’il est : une technique éprouvée pour sortir des réponses indi$érenciées et s’assurer que les 32 milliards mobilisés servent à accompagne­r les personnes qui en ont le plus besoin vers les qualificat­ions les plus porteuses et adaptées au tissu économique local.

Réaliser cet e$ort de segmentati­on préalable exige une base de technicité. Investir le temps de cette réalisatio­n, c’est se donner les moyens d’améliorer la lisibilité de l’o$re de formation pour les personnes les moins armées en les extrayant de la complexité inhérente à l’écosystème actuel. Ce point est fondamenta­l pour généralise­r l’accès individuel à des parcours de formation pertinents tout au long de la vie profession­nelle. C’est la condition pour qu’un outil tel que le compte personnel de formation – qui est une avancée dont les modalités restent à définir – ne reconduise pas les travers du système existant.

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