La Tribune Hebdomadaire

LES CHIMÈRES DU RENFORCEME­NT DES BANQUES

Cinq ans après l’éclatement de la crise financière, la régulation des banques est de retour sur le tapis. Car la complexité, pour ne pas dire l’opacité, du monde financier fait obstacle à sa compréhens­ion et à l’action publique. Bon anniversai­re!!

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Comment fêter dignement le 5e"anniversai­re de l’e#ondrement de Lehman Brothers!? L’actualité s’en charge à sa manière, avec l’accompliss­ement du désendette­ment des banques et leur r e nf o r c e ment, réclamés instamment à la fois aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Pour le coup, les États se sentent moins seuls. Prioritair­e, le désendette­ment de ces derniers avait largement escamoté le fait que le système financier ne soit pas tiré d’a#aire en dépit de toutes les aides publiques dont il a bénéficié. Non pas seulement parce que sa régulation –"quoi que l’on puisse penser de sa conception et de la portée e#ective de ses mesures – est loin d’être achevée, mais parce que les banques prennent leur temps pour se refaire une santé, alors qu’une nouvelle bulle financière se développe, alimentée par les largesses des banques centrales.

QUAND ON EN VIENT À PRÉCONISER UNE RÉGULATION CONTRACYCL­IQUE

L’affaire s’est une fois de plus engagée dans le désordre, à l’image d’un monde financier hétérogène des deux côtés de l’Atlantique, faisant de l’adoption de règles communes un des actuels casse-tête. Un autre de ces casse-tête étant le besoin de sonder le bilan des banques, exercice auquel s’essayent les banques centrales, les agences de notation et les analystes financiers, mettant ainsi en évidence l’opacité qui y règne et la complaisan­ce présumée de leur présentati­on. La complexité du monde financier fait obstacle à sa compréhens­ion et à l’action. Or, établir un état des lieux crédible est devenu une priorité, après que des stress tests successifs se sont révélés ne pas être vraiment des stress tests… Et il reste à définir les objectifs à atteindre afin que les banques soient réputées solides. Autant le reconnaîtr­e également, ce n’est pas plus simple!!

À quels indicateur­s se vouer quand aucun ne reflète avec certitude le risque encouru par les banques!? Les travaux du Comité de Bâle ont connu une brusque inflexion lorsque celui-ci a ajouté à ses ratios de fonds propres et de liquidités le tout simple e#et levier, rapport entre les actifs au nominal et fonds propres. Son indicateur résultant d’un calcul reposant sur la valeur à risque (VaR) avait perdu beaucoup de sa crédibilit­é après que la Banque des règlements internatio­naux (BRI) a mis en évidence les écarts importants de valorisati­on selon les banques entre actifs identiques, accréditan­t la suspicion d’un camouflage des pertes. Puis il est apparu qu’aucun des indicateur­s destinés à faire loi ne pouvait prétendre jouer e$cacement son rôle préventif, et que leur combinaiso­n avait toutes les chances de noyer le poisson… Dernière critique : l’adoption par le Comité de Bâle d’un ratio d’e#et de levier de 3!% signifie qu’une banque pourra supporter une perte de 3!% sur l’ensemble de ses actifs!; pourquoi pas davantage, vu l’impossibil­ité avérée de déterminer le risque e#ectif!?

Supposant la question résolue, comment les banques vont-elles procéder pour se mettre d’équerre avec la réglementa­tion!? Il a été su$samment souligné qu’elles accordaien­t la priorité à la réduction de la taille de leur bilan. Les unes vendent des activités ou des actifs, les autres s’essayent à la relance de la titrisatio­n, comme vient de le faire BNP Paribas, ou diminuent la taille de leur portefeuil­le de prêts aux entreprise­s en Europe, un secteur où elles jouent un rôle essentiel contrairem­ent aux États-Unis. En se renforçant à leur manière, les banques font donc obstacle à la relance économique qui est recherchée pour aider les États à se désendette­r.

Elles apportent leur contributi­on à la poursuite d’une crise désormais décrite comme allant durer une décennie (ce qui signifie que l’on n’en voit pas le bout). Benoîtemen­t, certains en viennent à préconiser que la régulation soit contracycl­ique, ce qui revient à proposer son durcisseme­nt quand tout va bien et son assoupliss­ement quand tout va mal!! D’autres ne le disent pas mais mettent le principe en pratique.

LA RÉGULATION BANCAIRE EST MISE EN DÉFAUT AVANT MÊME D’AVOIR ÉTÉ FINALISÉE

Réduire la taille du bilan ayant ses limites, le renforceme­nt des fonds propres ne peut être éludé, ce qui déplace le problème vers un autre sujet d’importance : quels produits financiers sont éligibles à ce statut de fonds propres!?

Un nouveau marché est à ce propos en train de naître, celui des obligation­s contingent­es convertibl­es, plus communémen­t désigné CoCos. Ces titres obligatair­es sont appelés à être automatiqu­ement transformé­s en actions en fonction d’un événement prédétermi­né lors de leur émission, par exemple le franchisse­ment du seuil du ratio mesurant les fonds propres valorisés, dont on connaît désormais pourtant les limites… Autant pointer tout de suite le para- doxe : l’objectif poursuivi est de renforcer les banques… en accroissan­t leur endettemen­t!!

L’attitude des investisse­urs potentiels dans ce nouveau produit – attirés, espère-t-on, par des rendements élevés – reste toutefois une parfaite inconnue, surtout lorsque la banque dans laquelle ils auront placé leurs capitaux approchera de la zone des dangers, avec comme seule perspectiv­e de se retrouver actionnair­e d’une banque en déroute. La parade qui a été trouvée est de préconiser qu’ils soient beaucoup à être dans ce cas, ce qui permettra une i mportante augmentati­on des fonds propres et sauvera tout à la fois la banque et leur investisse­ment!! Il ne reste plus qu’à le concrétise­r. Que ne faut-il pas faire, peut-on observer, pour ne pas procéder directemen­t par augmentati­on de capital et diluer les actionnair­es actuels alors que les rendements sont en forte baisse!!

La conception même de la régulation bancaire est mise en défaut avant même d’avoir été finalisée et encore moins mise en oeuvre. Il pourrait en être dit autant des di#érentes formules de séparation (ou non) de leurs activités (Volcker, Vickers et Liikanen, du nom de leurs auteurs).

Les autorités américaine­s voudraient dynamiser l’applicatio­n de la première!; les dirigeants européens préfèrent pour leur part mettre l’accent sur le renforceme­nt des banques en confiant à la BCE la tâche d’y voir clair dans leurs bilans, tout en persistant dans leur désaccord à propos de la désignatio­n de l’autorité chargée de suivre ensuite le processus de renforceme­nt.

 ?? [BERNAL REVERT / BELGA/AFP] ?? Président de la BCE, Mario Draghi, ici au sommet européen du 27 juin, met en oeuvre une politique de renforceme­nt des banques.
[BERNAL REVERT / BELGA/AFP] Président de la BCE, Mario Draghi, ici au sommet européen du 27 juin, met en oeuvre une politique de renforceme­nt des banques.

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