La Tribune Hebdomadaire

On ne demande pas à la dinde de préparer Noël

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Si vous revenez de vacances avec un vague sentiment de culpabilit­é à l’idée de vous être éloigné trop longtemps du travail, voilà qui devrait vous rassurer : la capitale européenne vit encore à l’heure d’été. Les députés ne rentreront vraiment que le 9!septembre, même si leurs bureaux remettent en service la chaîne de production de communiqué­s. La salle de presse de la Commission européenne ressemble à une plage bretonne en hiver. Et le hall du Berlaymont, le siège de la Commission, est peuplé de faces bronzées, ce qui est le signe d’un éloignemen­t prolongé de la capitale belge.

Il faut dire que le menu de rentrée ne présente pas de quoi réveiller les passions. Voici quelques morceaux choisis parmi les dernières « annonces » de la Commission. L’Union a débloqué 110 millions pour lutter contre les inégalités sociales au Maroc : le royaume alaouite, qui construit des marinas pour yachts de luxe à Casablanca, en avait un criant besoin. L’UE s’apprête aussi à ouvrir plus largement le robinet pour l’Azerbaïdja­n, petite république caucasienn­e aux moeurs politiques héritées de l’ancien empire soviétique : vous étiez impatients de l’apprendre. Elle s’inquiète aussi d’une épidémie de grippe aviaire dans le centre de l’Italie et encourage les autorités italiennes à prendre les mesures qui s’imposent. Nous voilà rassurés. Si vous n’habitez ni le Maroc, ni le Caucase, ni l’Émilie-Romagne, on ne vous a pas oublié pour autant.

Le 28 août, la Commission a lancé une initiative pour « faire lever les gens de leur chaise » (sic). Au moment, précisémen­t, où les Européens retrouvent leur bureau et l’écran de leurs ordinateur­s avec un pincement au coeur et des fourmis dans les jambes, c’est faire preuve d’un redoutable sens du timing… ou de l’humour. La Commission serait-elle sur le point de lancer le « hit » du siècle"? Hélas, non. Elle veut juste promouvoir le sport qui aide à rester « en forme physiqueme­nt et mentalemen­t ». On en viendrait presque à souhaiter que les auteurs de cette mémorable « recommanda­tion » aient prolongé leur match de squash ou fait quelques longueurs de piscine supplément­aires plutôt que de rentrer au bureau pour la rédiger.

EN CETTE RENTRÉE PEU PALPITANTE, où l’Europe est suspendue au résultat d’élections allemandes dépourvues de suspens, on relèvera le coup de gueule du « fantassin » d’une « armée en déroute », comme elle se nomme elle-même. Dans un nouvel opus écrit à la pointe de l’épée, la députée européenne Sylvie Goulard (MoDem) lance une charge sans pitié contre les dirigeants européens : les chefs de gouverneme­nt, mais aussi ceux qui ont la charge des institutio­ns com- munes, qu’elle accuse de dilapider l’héritage de soixante années de constructi­on européenne. Son constat est hélas cruellemen­t lucide. C’est celui d’un cercle vicieux où la classe politique se crispe sur ce qu’elle pense être – ou pense pouvoir présenter comme – l’intérêt national (qu’il soit français, allemand ou autre) sous prétexte que l’opinion est méfiante à l’égard de « l’Europe » et qui, ce faisant, aggrave les dysfonctio­nnements d’une union incomplète par constructi­on et, avec eux, l’euroscepti­cisme.

Tirant le fil d’un précédent essai, Le Coq et la Perle, elle décrit un jeu de destructio­n collectif où la défense de la nation devient l’alibi d’une intention beaucoup moins avouable : la protection de leur terrain de jeu par des dirigeants qui ne se donnent pas la peine, par facilité, de penser l’Europe qu’ils prétendent incarner. « On ne demande pas à la dinde de préparer Noël », écrit-elle. On ne saurait mieux dire. Europe : amour ou chambre à part!? est une lecture propre à se mettre « mentalemen­t en forme » pour attaquer l’année. Une lecture que – si elle n’est pas o$ciellement recommandé­e par la Commission européenne – rien ne vous empêche de faire debout, afin de suivre les précieuses recommanda­tions de cette dernière.

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