SSANCE IMPUISSANTE
Il y a une forme de tabou dans le monde politique allemand sur les sujets européens.!»
URSULA MÜNCH, DIRECTRICE DE L’ACADÉMIE DE SCIENCES POLITIQUES DE TUTZING
tion de l’actuelle coalition de droite », résume Ursula Münch.
Une « grande coalition » pourraitelle infléchir la politique allemande!? Raoul Ruparel, économiste en chef du think tank britannique Open Europe, n’y croit pas. « Le SPD a toujours, par son vote au Bundestag, soutenu la politique européenne d’Angela Merkel » , rappelle-t-il. Le candidat socialdémocrate, Peer Steinbrück, a dû « assaisonner » son programme de propositions inspirées par François Hollande pour satisfaire l’aile gauche du parti, mais, dans une grande coalition où le SPD sera minoritaire, ces engagements ne pèseront pas lourd. Du reste, en juin 2012, lorsque le président français a tenté de s’allier avec le SPD contre le pacte budgétaire, il a vite dû déchanter : les sociaux-démocrates ont adopté ce pacte quelques jours après la visite de leurs leaders à l’Élysée, moyennant des avantages fiscaux pour les Länder.
Certes, quelques lignes vont sans doute bouger ce 22 septembre. Certains mettent en garde contre une percée du parti anti-euro Alternative für Deutschland (AfD), mais Ursula Münch « exclut complètement » l’entrée de cette formation au Bundestag « compte tenu de son manque de propositions concrètes ». Et quand bien même, cela ne renforcerait sans doute que l’option de la « grande coalition. » D’autres redoutent un renforcement des eurosceptiques dans le camp d’Angela Merkel. Mais là encore, le soutien du centre-gauche à la politique européenne d’Angela Merkel lèverait aisément l’obstacle.
Il ne devrait donc pas y avoir de rupture. Berlin continuera à agir en réaction en cas de poussée de fièvre de la crise et cette réaction ira toujours dans le sens d’une « germanisation » de la zone euro et de la protection des intérêts allemands. Pour le reste, sur des sujets comme la politique de croissance de l’Europe, l’échec de la stratégie menée jusqu’ici pour e"acer les dettes des pays du Sud, le fédéralisme politique ou encore la construction d’une politique étrangère commune, l’immobilisme restera de mise.
Comme le souligne Ursula Münch, la question européenne est demeurée pratiquement absente de la campagne électorale « à l’exception de la question du coût de l’aide à la Grèce ». « Il y a une forme de tabou dans le monde politique allemand autour des sujets européens », ajoute la politologue. On peut s’en convaincre en observant la place de l’Europe dans le programme des deux grands partis : 4 pages sur 150 pour le SPD, à peine une page pour la CDU. Du côté d’Angela Merkel, on craint, en évoquant l’Europe, de donner du grain à moudre au parti anti-euro.
« Le pouvoir de nuisance d’AfD reste important », explique Ursula Münch. Mais l’opposition semble tout aussi tétanisée et n’a pas pris l’o"ensive sur les sujets européens. Bien au contraire, c’est Angela Merkel qui a accusé le SPD d’un « manque de crédibilité » sur l’Europe, contraignant ses adversaires à prouver leur fidélité à sa propre politique. Ce tabou européen pourrait s’expliquer, selon Raoul Ruparel, par l’épée de Damoclès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui, depuis 2009, a prévenu qu’elle bloquerait toute nouvelle perte de souveraineté. Du coup, la marge de manoeuvre des politiques allemands est très réduite. Mais cette dépendance est en fait acceptée par ceux qui refusent d’envisager toute modification de la loi fondamentale au nom de l’Europe. Plusieurs autres pays européens sont moins hésitants sur le sujet.
Un sondage publié début septembre par Open Europe montrait quelle Europe souhaitaient les Allemands : c’est une Europe qui conserve l’euro, mais se resserre autour d’un « plus petit nombre de pays » et assainit ses finances. Pour résumer, c’est une Europe conservatrice, recentrée autour de la défense de la « stabilité », une Europe à l’image de l’Allemagne.
LA «!STABILITÉ!», L’AUTRE NOM DU CONSERVATISME
À contretemps des autres Européens, les Allemands ont redécouvert avec la réunification en 1990 l’idée de nation. Les succès de l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, la nouvelle prospérité du pays à partir de 2006, ont redonné au pays de la confiance dans son « modèle », mais ont aussi réduit l’intérêt pour l’Europe. Surtout, cette prospérité ne leur a pas donné cette force créatrice et visionnaire, ce foisonnement d’idées que l’Europe serait en droit d’attendre de sa grande puissance. Bien au contraire. Il su#t, pour s’en convaincre, de feuilleter la presse ou d’écouter les économistes allemands : tout se réduit à la crainte de la perte des succès présents. La croissance n’a pas donné l’audace à l’Allemagne, mais a conduit à un resserrement autour de quelques certitudes. « Il y a une domination de la pensée ordo-libérale en Allemagne » , reconnaît Raoul Ruparel. Le seul mot d’ordre du pays, c’est cette « stabilité » dont il est si fier, mais qui est aussi un autre mot pour le conservatisme frileux. La résistance aux grands projets, comme celui de la gare de Stuttgart$21 qui avait donné lieu à des batailles de rues en 2011, est désormais une donnée politique majeure outre-Rhin.
Début août, Der Spiegel, l’hebdomadaire le plus influent d’Allemagne, résumait ainsi la situation : « Les citoyens craignent le changement, les politiques craignent les citoyens. » Impossible donc d’avancer des propositions audacieuses ou d’engager une réforme constitutionnelle. Voici pourquoi la politique allemande se limite – et se limitera encore après le 22 septembre – à cette gestion de l’urgence et à l’utilisation des seuls moyens acceptables aux citoyens allemands : ceux appliqués en Allemagne même.
L’unique ambition que l’Allemagne peut aujourd’hui o"rir à l’Europe, c’est sa « culture de la stabilité ». Il n’est pas certain qu’elle puisse à elle seule sauver l’Europe.$