La Tribune Hebdomadaire

LE «!TOURNANT ÉNERGÉTIQU­E!» ALLEMAND DANS L’IMPASSE"?

- FRANÇOIS ROCHE

La catastroph­e nucléaire de Fukushima, en mars 2011, avait conduit Angela Merkel à annoncer l’abandon de l’énergie nucléaire, au profit des énergies renouvelab­les. Mais ce rêve écolo semble coûter trop cher…

Ce devait être la grande aventure de l’Allemagne pour les vingt ou trente!ans qui viennent, le « projet du siècle » d’Angela Merkel. L’abandon du nucléaire et le virage vers les énergies renouvelab­les, la fameuse Energiewen­de («!transition énergétiqu­e!») devait représente­r une sorte de modèle sur la base duquel l’Allemagne aurait fait figure de précurseur dans le monde entier concernant le passage des énergies fossiles vers le solaire et l’éolien.

De 20"% en 2012, les énergies renouvelab­les devaient représente­r 35"% du mix énergétiqu­e allemand en 2020 et 50"% en 2030. Une transforma­tion dont le coût est estimé aux alentours de 400 milliards d’euros sur une vingtaine d’années"!

Depuis quelques mois pourtant, le rêve semble tourner au cauchemar. L’Energiewen­de a été au centre du débat électoral, et si l’abandon du nucléaire à l’horizon 2022 n’est pas o#ciellement remis en cause, les conditions dans lesquelles devait s’e$ectuer ce tournant énergétiqu­e apparaisse­nt de plus en plus impossible­s à réunir. Le problème est de deux ordres!: technologi­que et économique.

Sur le plan technologi­que, le problème essentiel est celui de l’adaptation des réseaux de transport d’électricit­é au caractère intermitte­nt de la production solaire et éolienne et des conséquenc­es de cette intermitte­nce sur la sécurité énergétiqu­e de l’Allemagne. Même si beaucoup de recherches sont en cours sur ce thème, en particulie­r concernant le stockage de l’électricit­é et les réseaux intelligen­ts ( smart grids), les investisse­ments qu’il faudra consacrer aux infrastruc­tures de transport (adaptation des lignes actuelles, constructi­on de 3"800 km de nouvelles lignes) s’annoncent vertigineu­x et la répartitio­n de la charge entre l’État fédéral, les Länder, les groupes énergétiqu­es, les investisse­urs privés est loin d’être déterminée.

UNE PROMESSE NON TENUE DE LA CHANCELIÈR­E…

L’autre di#culté concerne l’évolution du prix de l’électricit­é dans les années qui viennent, un sujet très sensible dans l’opinion publique allemande, mais aussi pour les entreprise­s. On sait que les Allemands paient aujourd’hui leur électricit­é environ 60"% plus cher que les Français, en partie à cause de la taxe sur les énergies renouvelab­les (EEG Umlage) qui sert à financer les subvention­s à la production d’énergie solaire et éolienne. Cette année, les consommate­urs allemands paieront un total de 20 milliards d’euros pour l’électricit­é produite à partir de l’éolien, du solaire et du biogaz, pour un prix de marché de cette électricit­é de 3 milliards d’euros. En 2013, le montant de l’EEG est passé de 5,3 à 6,5! centimes par kWh, ce qui représente environ 6,5"% de la facture globale d’électricit­é, sans compter les 0,4!centime prélevés au titre du financemen­t des infrastruc­tures de transport. Au rythme actuel de la progressio­n des coûts, les Allemands devraient payer leur électricit­é 40!centimes le kWh en 2020 (pour mémoire, il est aujourd’hui en France à 13,29!centimes).

Comment sortir de cette situation"? Tout au long de la campagne électorale, les leaders politiques allemands ont tenté d’élaborer des propositio­ns afin de diversifie­r les sources de financemen­t du tournant énergétiqu­e. Angela Merkel avait promis en 2011 que les prix de l’électricit­é pour les Allemands demeurerai­ent stables. Elle a été lourdement prise en défaut. Elle indique aujourd’hui que le niveau des subvention­s aux énergies renouvelab­les ne doit plus augmenter. Le ministre de l’Environnem­ent, Peter Altmaier, suggère que ces subvention­s soient financées par l’emprunt. La CSU émet l’idée que la constructi­on de capacités nouvelles en énergie renouvelab­le soit financée par la banque publique d’investisse­ment KfW. Le SPD et les Verts proposent de baisser les taxes, dont la TVA, sur l’électricit­é…

Une commission ad hoc, mise en place par le gouverneme­nt, vient de remettre au ministre de l’Économie, Philipp Rösler, des conclusion­s autrement plus radicales, en suggérant notamment que l’Allemagne s’inspire du modèle suédois, en finisse avec le principe des subvention­s et introduise des quotas annuels de production d’électricit­é à partir des énergies renouvelab­les. Cela constituer­ait un changement radical dans les modalités de l’Energiewen­de, qui, à l’évidence, va devoir trouver un nouveau sou%e…

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