La Tribune Hebdomadaire

L’Allemagne aussi cherche son modèle

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La cause est entendue, dit-on. L’Allemagne, par ses performanc­es économique­s, aurait démontré la pertinence et la supériorit­é de son « modèle ». Plein emploi, excédents jumeaux (budgétaire et commercial), puissance industriel­le symbolisée par la domination de sa filière automobile et le nombre de ses entreprise­s de taille intermédia­ire (ETI) exportatri­ces… les résultats sont indéniable­s et remarquabl­es. Un modèle fondé sur deux « recettes » allemandes : un dialogue social dynamique nourri par des syndicats puissants et la « flexi-sécurité » de son marché du travail, issue des réformes Hartz décidées par le socialdémo­crate libéral Gerhard Schröder qui ont préservé sa compétitiv­ité.

Dimanche 22 septembre, Angela Merkel sera donc, selon toute probabilit­é, et sans surprise, le premier et le seul dirigeant européen à sortir vivant de la crise de 2008. Une bonne partie de sa popularité résulte de l’habileté avec laquelle la chancelièr­e a su capitalise­r sur les réformes de son prédécesse­ur. Mais « Angela » a aussi su capter les attentes de l’opinion, pour la rassurer malgré les concession­s qu’elle a dû faire à la « culture de stabilité » pour colmater les brèches de la zone euro.

Même si des incertitud­es demeurent sur la nature de la coalition qui redonnera le pouvoir pour quatre ans à la chancelièr­e, cette date est décisive pour tous les Européens. Elle pourrait libérer enfin le Vieux Continent d’une trop longue période de gel des grandes décisions politiques et institutio­nnelles qui freinent la résolution de la crise de la zone euro. On peut donc espérer que Angela Merkel réélue et renforcée par la confiance de son peuple saura faire preuve du même pragmatism­e que celui qui lui a déjà permis, à plusieurs reprises, de convaincre une opinion frileuse et inquiète que le pari européen demeure le bon choix de long terme pour les Allemands. On peut l’espérer, mais ce n’est pas garanti. Le score qui sera le plus regardé, le 22 septembre, au-delà du rapport de force entre les principaux partis, sera celui du parti anti-euro. Pour l’instant, les euroscepti­ques n’ont pas su transforme­r en succès électoral les réticences de l’Allemand de la rue devant l’utilisatio­n du carnet de chèque pour sauver les pays du Sud. Mais ils ont gagné une capacité de nuisance qui risque de peser sur les marges de manoeuvre politiques d’Angela Merkel.

C’est que, à bien y regarder, l’Allemagne, qui fait tant rêver les élites politiques françaises, est aussi un pays très frileux, qui doute de son avenir européen et s’interroge sur la pérennité de son modèle de croissance. Certes, l’Allemagne, homme malade de l’Europe au début des années 2000, a su faire à temps les e!orts nécessaire­s pour renforcer sa compétitiv­ité et s’adapter aux exigences de la mondialisa­tion. En creusant un peu, on voit toutefois que cette doxa ordo-libérale, qui s’est imposée à l’Europe, présente des effets pervers, y compris en Allemagne : 7 millions de « mini-jobs », un taux de pauvreté de 16"% (trois points de plus que la France), et une demande intérieure comprimée par des salaires restés, en termes réels, au niveau de ceux de l’an 2000.

EN RÉALITÉ, LE SUCCÈS ALLEMAND repose aussi sur des éléments qui n’ont rien à voir avec les réformes Hartz : un e!et démographi­que (moins d’enfants, donc moins de dépenses publiques"; moins de tensions sur le marché du travail), la modération du prix des logements (stables sur dix ans là où ils ont été multipliés par 2,5 en France), qui a permis de maintenir des salaires bas. Un e!et Réunificat­ion aussi, qui a agrandi la taille du marché intérieur, ainsi qu’une gestion habile de l’ouverture de l’Europe aux anciens pays de l’Est à bas salaires. L’Allemagne a su protéger le «#made in Germany#» en délocalisa­nt moins que la France et en protégeant l’emploi, y compris pendant les heures sombres de la Grande Récession de 2008-2009.

Notre chance, pour rééquilibr­er la politique européenne, c’est que cette même Allemagne, si implacable avec les pays sous programme d’aide, veut désormais tirer les fruits des e!orts énormes consentis pour faire du pays l’un des gagnants de la compétitio­n mondiale. Mais ne rêvons pas à un grand soir de la relance allemande. Au faîte de sa puissance, l’Allemagne a bien conscience qu’elle doit désormais résoudre ses propres faiblesses : la démographi­e est devenue une obsession outre-Rhin, au point que Angela Merkel copierait bien notre politique familiale pourtant mal très coûteuse"! L’Allemagne industrieu­se a aussi une énorme soif d’énergie. Or, la brutalité de la transition vers les énergies renouvelab­les (arrêt de la dernière centrale nucléaire en principe en 2022) pousse les prix de l’électricit­é à la hausse, et pèse sur la compétitiv­ité.

Alors qu’elle célébrera l’an prochain les 25#ans de la chute du Mur de Berlin, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’Allemagne. Le modèle qui a fait sa réussite depuis dix ans est-il encore pertinent pour préparer les années 2020 et au-delà"? L’Allemagne a, comme la France, des choix cruciaux à faire pour maintenir sa compétitiv­ité et sa capacité d’innovation, à l’heure où son principal client, la Chine, change aussi de régime de croissance. Et une question, absente de la campagne électorale, demeure posée : que lui apporte encore l’Europe, à l’heure où les trois quarts de son excédent commercial viennent désormais de l’extérieur de la zone euro (c’était strictemen­t l’inverse il y a dix ans…)"? Des réponses qu’elle apportera à ces défis dépend notre destin commun. Ce sera le défi des années Merkel#III.

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