La Tribune Hebdomadaire

Pourquoi les Brics se fissurent…

- ROBERT JULES

En annonçant qu’elle allait mettre fin à sa politique de soutien à l’économie américaine, la Fed a favorisé le retour des investisse­urs internatio­naux en Amérique du Nord et en Europe, fragilisan­t ainsi les économies émergentes.

EN 2009, LES ÉCONOMIES ÉMERGENTES SORTAIENT À TOUTE VITESSE DE LA CRISE FINANCIÈRE de 2008 dans laquelle les États-Unis et l’Europe, eux, restaient enlisés. Cette dernière allait même s’enfoncer dans les sables mouvants de la crise des dettes publiques. C’était l’époque où certains experts parlaient de « découplage », voire de « grand basculemen­t ». Ils prophétisa­ient un nouveau cycle historique qui verrait les économies émergentes, tirées par la locomotive des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), prendre le pouvoir sur les économies développée­s.

Cette perspectiv­e s’avère désormais moins évidente. Il aura su! que la Réserve fédérale américaine (Fed) annonce qu’elle mettrait fin prochainem­ent (cet automne"?) à sa politique monétaire accommodan­te (taux quasi nuls et rachat mensuel de 85 milliards d’actifs) de soutien à l’activité des États-Unis pour fragiliser la position des puissances émergentes, prouvant qu’elles restent étroitemen­t dépendante­s des économies développée­s.

La Fed juge que la croissance américaine est en train d’amorcer une reprise durable cette année (+"1,7"% selon l’OCDE), qui devrait accélérer en 2014. On commence même à voir des relocalisa­tions industriel­les en Amérique du Nord.

Mais le véritable phénomène tangible, c’est l’inversion des flux des capitaux internatio­naux. Après s’être déversés sur les économies émergentes, ils sont en train de revenir en Amérique du nord et même en Europe.

-!25!% POUR LA ROUPIE INDIENNE FACE AU DOLLAR

Ce mouvement a pour conséquenc­e d’a#aiblir certaines devises. Le cas le plus spectacula­ire est celui de la roupie indienne, qui s’est dépréciée de 25"% en six$mois par rapport au dollar. Une dévalorisa­tion qui renchérit le prix des importatio­ns et alimente l’inflation. La hausse des prix est particuliè­rement sensible pour les denrées de base et l’énergie dont les cours sont fondés sur le dollar. Ce qui entraîne inévitable­ment des troubles sociaux : les exemples égyptien, brésilien et turc sont venus le prouver récemment. Sans compter que cette hausse des prix pèse sur les budgets des États qui subvention­nent les produits de première nécessité.

Ce cocktail d’assèchemen­t partiel des investisse­ments et de retour de l’inflation pèsera inévitable­ment sur l’activité. Ainsi, le FMI a révisé à la baisse le taux de croissance des Brics : de 0,5$point pour le Brésil, de 0,3$ point pour la Chine et de 0,2$ point pour l’Inde. Quant à la Russie, elle est entrée en récession au premier semestre. Cette semaine, les autorités chinoises ont annoncé qu’elles s’attendaien­t désormais à une augmentati­on du PIB en 2014 de 7"%, enterrant définitive­ment les taux de croissance à deux chi#res qui étaient monnaie courante durant la décennie précédente.

En soi, ces ralentisse­ments sont logiques. Les « émergents » devenant de plus en plus riches, leurs modèles tendent à se rapprocher de ceux des économies dites développée­s. Ainsi, une part de l’inflation provient de l’augmentati­on des salaires, réclamée par une population au sein de laquelle se développe une classe moyenne importante.

Face à cette situation, les Brics ne restent pas inactifs, et la traversée de cette zone de turbulence­s pourrait être l’occasion de renforcer leur coopératio­n. « Les membres du groupe des Brics doivent conjuguer leurs e!orts pour maintenir et promouvoir l’ouverture de l’économie mondiale, s’opposer au protection­nisme commercial, sauvegarde­r le système de commerce multilatér­al et faire avancer le cycle de négociatio­ns commercial­es de Doha » , déclarait ainsi le président chinois Xi Jinping, lors de la réunion des Brics en marge du sommet du G20 de Saint-Pétersbour­g, qui s’est tenu au début du mois de septembre.

8!700 MILLIARDS DE DOLLARS DE RÉSERVES DE CHANGES

Et puis, ces pays ont des ressources. Ils totalisent un montant de réserves de changes s’élevant à quelque 8"700 milliards de dollars, de quoi résister durant les périodes di!ciles. Et ils prennent des décisions, comme ce fonds commun qui sera abondé à hauteur de 100 milliards de dollars (la Chine contribuan­t à elle seule pour 41 milliards de dollars), et qui sera précisémen­t destiné à une meilleure absorption des chocs financiers. Également en chantier : une banque de développem­ent dotée de 50 milliards de dollars, pour favoriser des investisse­ments dans de nouveaux projets.

Mais l’utilisatio­n de ces outils devrait donner lieu à des débats houleux, à l’image de ceux qui ont secoué la zone euro. Car chez les économies émergentes, il y a aussi les cigales et les fourmis. Si la Chine fait partie de la seconde catégorie et joue un rôle analogue à celui de l’Allemagne, en revanche, le Brésil et l’Inde font partie de la première, avec un endettemen­t élevé et des balances commercial­es très déficitair­es. Bref, les émergents sont en train de se banaliser, comme si nous passions réellement d’un monde bipolaire à un monde multipolai­re.$

 ?? [EYEPRESS NEWS/AFP] ?? De gauche à droite, Dilma Rousse!, Manmohan Singh, Vladimir Poutine, Xi Jinping et Jacob Zuma, respective­ment dirigeants brésilien, indien, russe, chinois et sud-africain, le 5"septembre 2013, en marge du sommet du G20 à Saint-Pétersbour­g.
[EYEPRESS NEWS/AFP] De gauche à droite, Dilma Rousse!, Manmohan Singh, Vladimir Poutine, Xi Jinping et Jacob Zuma, respective­ment dirigeants brésilien, indien, russe, chinois et sud-africain, le 5"septembre 2013, en marge du sommet du G20 à Saint-Pétersbour­g.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France