La Tribune Hebdomadaire

Une meilleure gouvernanc­e territoria­le suppose de dépasser bien des préjugés et des dénis de réalité.

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administré­s. Chacun veut vivre comme dans la mythique Wisteria Lane de Desperate Housewives.

Alain Juppé, chaque fois qu’il explique la rénovation urbaine de Bordeaux, Bordeaux 2030, raconte à quel point le NIMBY est pesant : il a fallu dix-huit!ans, selon lui, pour que les habitants de la Bastide, sur la rive droite de la Garonne, acceptent d’avoir des voisins et comprennen­t enfin, avec la création du pont Jacques-Chaban-Delmas, que cela pouvait être bon pour eux et qu’ils faisaient partie d’une métropole"! Jean Marc Offner, le directeur de l’Agence d’urbanisme bordelaise, prend l’exemple du bassin d’Arcachon-Val de Leyre : « Les habitants et les élus de ce bassin n’aiment pas qu’il soit considéré parler à ses voisins – « c’est l’introversi­on congénital­e de ces collectivi­tés qui n’ont pas été fabriquées pour le dialogue » , sourit Jean Marc O#ner – ou a des di$cultés dans sa concertati­on interne : « La CUB, c’est l’addition de 27!égoïsmes municipaux », a ironisé un jour Noël Mamère, le maire de Bègles. Et avec des communes qui, s’estimant autonomes, vont régler directemen­t leurs problèmes à Paris, la concertati­on et la décision sur l’aménagemen­t et le développem­ent n’est clairement pas facile.

Vincent Feltesse, président de la CUB, estime qu’ « il est urgent de trouver les voies de cette nouvelle gouvernanc­e et d’une nouvelle solidarité territoria­le locale ». La Gironde, qui est un départemen­t totalement périurbain et qui n’est pas, de loin, celui qui a la périurbani­té la plus conflictue­lle, a innové en mettant en place un nouvel outil : l’InterScot (une idée du gouverneme­nt), une structure souple qui fédère au niveau départemen­tal l’organisati­on territoria­le (les Scot, schémas de cohérence territoria­le), et qui essaie de mieux organiser l’étalement urbain. Il y a encore des réticences, mais les Girondins avancent. comme la banlieue de Bordeaux. Or, c’est un déni de réalité : les Arcachonna­is travaillen­t à Bordeaux durant la semaine et les Bordelais passent, eux, le week-end à Arcachon. »

Le souci est que des territoire­s dans le déni, qui ne s’acceptent pas, sont quasi impossible­s à gouverner et à organiser. Le périurbain est une mosaïque de territoire­s dans le déni. La Gironde a ainsi une ville centre, Bordeaux, qui a du mal à se faire accepter, avec les petites communes du Medoc transformé­es en villages gaulois rêvant leur développem­ent de manière autonome"; la communauté de communes autour d’Arcachon, elle, ne s’accepte pas comme territoire résidentie­l"; la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) a du mal à

ASSUMER L’INÉGALITÉ DES TERRITOIRE­S

« L’élu local ne sait généraleme­nt pas travailler sur des flux. Il travaille sur stock, développe Philippe Estèbe. Son stock c’est le foncier. Il gère sa commune comme un mini-État alors qu’il devrait la gérer comme une auberge. »

Alain Faure, professeur à l’IEP de Grenoble et blogueur sur «! Les énigmes de l’action politique locale!», cite, lui, la récente propo- sition de Paul Giaccobi, le président du conseil exécutif de Corse, de réserver le foncier aux Corses : « C’est l’illustrati­on parfaite de l’illusion dans laquelle vivent les élus. Ils s’imaginent qu’en tenant le foncier, qu’en restant seuls, ils ont plus de chances de s’en tirer. Pourtant, c’est exactement l’inverse. Toutes les enquêtes montrent que c’est dans l’intercommu­nalité, dans la métropole que les petits sont les plus forts pour résister aux constructi­ons anarchique­s et au désordre urbain. Mais ils refusent de le comprendre. » Alain Faure travaille sur cet imagi- naire qui empêche de penser l’aménagemen­t urbain : « Cette coupure mentale entre l’urbain et la campagne n’existe qu’en France, ce blocage culturel nous est propre et l’hyperviole­nce des maires lorsque l’on touche à leurs compétence­s n’existe pas ailleurs. Du coup, le sujet est tellement sensible qu’il n’y a pas, à droite comme à gauche, de véritable réflexion sur l’organisati­on du territoire. Rien n’est vraiment dit. Le texte de loi actuel, c’est une métropolis­ation honteuse"; la métropole reste encore indicible, elle fait peur aux élus. »

Martin Vanier, qui travaille sur de nouvelles formes de gouvernanc­e territoria­le, estime lui que chaque territoire est un cas spécifique et peut presque avoir sa propre gouvernanc­e, son propre processus de décision : « On n’est pas obligé de tout bouleverse­r par la loi tous les trois ans, il faut être souple et, surtout dans le périurbain, déconstrui­re le discours politique. Il faut dire aux Français qu’ils ont raison de préférer et de plébiscite­r les “campagnes urbaines”, mais leur faire comprendre qu’il y a un destin collectif dans le périurbain. »

Urbanistes, géographes et économiste­s essaient de faire comprendre aux politiques que les territoire­s, ceux de la périurbani­té en premier, n’ont plus besoin de Grand soir institutio­nnel, mais d’être acceptés.

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