L’Allemagne vend ses châteaux…
Jusqu’aux élections générales du 22 septembre, retrouvez dans notre série pour mieux comprendre l’Allemagne d’aujourd’hui et de demain. Notre étape de la semaine nous emmène dans les Länder de l’Est, où des dizaines de châteaux issus des expropriations de l’époque de la RDA sont maintenant à vendre…
Vous ne voulez pas acheter un château!? » Cette question, posée par l’un des responsables du développement économique de Thuringe, n’est pas si excentrique qu’elle en a l’air. Les Länder de l’Est, à l’issue des procédures de privatisations effectuées ces vingt dernières années, sont toujours propriétaires d’un certain nombre de biens immobiliers que leurs anciens détenteurs n’ont pas voulu ou pas pu racheter, dont des châteaux, qui sont aujourd’hui sur le marché et qu’ils aimeraient bien vendre à des particuliers ou à des entreprises.
Le Mecklembourg, la Poméranie, le Brandebourg, la Saxe, la Thuringe étaient en effet le berceau d’un certain nombre de familles de l’aristocratie allemande d’avantguerre, propriétaires de domaines agricoles, châteaux et fermes. Seul un petit nombre de ces propriétés sont retournées à leurs familles d’origine, certaines ont été transformées en hôtels, d’autres attendent d’être rachetées et surtout rénovées. Ainsi le château d’Hirschstein, en Saxe, qui domine la petite ville de Meissen, sur l’Elbe, et que la municipalité met en vente à un prix non spécifié… Ou le château de Schoenwoelkau, près de Leipzig, achevé en 1659, de style baroque, situé au bord d’un lac et dans un vaste parc, mis en vente à 800!000 euros, « négociable », car la bâtisse nécessite des soins urgents si l’on en juge par l’état de sa façade. À vendre également, le château de Muelhberg, 1!000"ans d’âge, au bord de l’Elbe, le château d’Altdöbern, au sud de Berlin, un monument de l’art baroque de 3!000" mètres carrés, enrichi d’ajouts néogothiques en 1880… Ou, plus modeste, le château de Klingenberg, l’un des plus anciens domaines de Saxe, reconstruit en partie au XVIe siècle, à rénover entièrement, mis en vente 1 2 0 ! 000 d o l l a r s ( e nv i r o n 90!500"euros)… Et l’on pourrait en citer quelques dizaines d’autres, lieux symboliques du patrimoine historique et culturel de ce qui fut le coeur de l’Allemagne, et auxquels les autorités de l’ex-RDA n’ont accordé qu’une attention lointaine.
LA LOI A LIMITÉ LA RESTITUTION DES BIENS
Trois millions d’hectares et 14!000"fermes et châteaux ont été expropriés, d’abord entre 1945 et 1949, dans ce qui était la zone d’occupation soviétique, puis à partir de 1949 dans l’ancienne RDA. Dans le traité de réunification, les expropriations de la période de l’occupation soviétique furent jugées irréversibles. Quant aux autres, elles obéissaient à la règle « restitution avant indemnisation ». Les anciens propriétaires de biens situés en ex-RDA étaient Entschädigungs-und Ausgleichsleistungsgesetz. Elle rend, en pratique, la récupération des biens immobiliers et fonciers très di#cile, avec une indemnisation basée sur les valeurs fiscales au 1er janvier 1935, multipliées par un certain facteur en fonction de l’état et de la nature du bien. Les terres agricoles et les biens acquis de bonne foi et dans les conditions légales appliquées en ex-RDA sont, de fait, exclus de la loi. La restitution ne s’applique pas non plus aux biens qui ont été destinés à l’usage public ou insérés dans une unité d’entreprise. Un grand nombre de procédures judiciaires ont été lancées, pour contester la légalité de ces expropriations réalisées à partir de 1949. Mais très peu ont abouti à des restitutions ou indemnisations. En mars 2005, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg déclarait irrecevable le recours déposé par 71"anciens propriétaires qui contestaient les conditions d’indemnisation prévues par la loi de 1994.
À L’EST, DES ARITOCRATES DE RETOUR SUR LEURS TERRES
On a souvent dit (Helmut Kohl le premier) que le principe de la non-indemnisation avait été imposé par Gorbatchev au moment de la réunification, en 1990. En fait, il semble qu’il n’en soit rien puisque l’intéressé l’a démenti quelques années plus tard. Roman Herzog, élu en 1994 premier président de l’Allemagne réunifiée, juriste de renom, ancien président du Tribunal constitutionnel fédéral, s’est e$orcé de cimenter du mieux possible cette réunification toute fraîche et il n’a guère poussé le dossier des restitutions ou indemnisations. Dans les faits, du temps de l’ex-RDA, la plupart des domaines agricoles ont été séparés des châteaux ou biens immobiliers qui leur étaient liés et ces derniers ont été transformés en bâtiments agricoles, hôtels, colonies de vacances, centres culturels, habitats collectifs ou laissés à l’abandon. Pendant des années, cette a$aire a laissé des traces dans les relations entre l’ouest et l’est de l’Allemagne, lorsque des restitutions ont été réalisées et lorsqu’elles ne l’ont pas été. Avec le recul, on peut dire que cette question des restitutions s’est soldée par un échec. Aujourd’hui encore, beaucoup d’héritiers de propriétaires de biens immobiliers en ex-RDA estiment qu’ils ont été victimes d’un déni de droit au nom de la raison d’État et de la volonté des autorités politiques de ne pas envenimer les relations entre anciens et nouveaux propriétaires.
Certains anciens propriétaires se sont pourtant réinstallés à l’Est. C’est le cas de Friedrich-Carl von Ribbeck, dans la campagne du Havelland, au nord-ouest de Berlin. Il a renoncé à vivre dans le château familial, réquisitionné par la Luftwa$e en 1943, nationalisé en 1945, rouvert en 1999 et transformé en musée et en restaurant gastronomique. Mais il a repris quelques hectares (sur les 1!600 que comptait le domaine avant sa nationalisation) pour y poursuivre la culture des poires, les plus célèbres d’Allemagne, puisque vantées dès le XIXe siècle.
Hans-Georg von der Marwitz, député CDU du Bundestag, s’est réinstallé à Friedersdorf, dans le Brandebourg. Guido et Christian Von Lynar dont le père, Wilhem, proche de Stau$enberg, a été exécuté en septembre 1944, ont racheté le château familial de Lübbenau dès 1992 pour le transformer en hôtel de luxe. Hahn von Burgsdor$ a récupéré le château de Blankensee. Daisy von Arnim a ouvert une cidrerie près de l’ancien domaine familial de Boitzenburg, dont le château baroque, qui n’appartient plus aux Arnim, est une auberge de jeunesse. Ces « réimplantations » se veulent modestes, s’accompagnent souvent de la création d’activités économiques dans l’agriculture ou le tourisme. Rien qui ressemble à un phénomène de masse, mais un mouvement tout de même significatif qui a même fait l’objet d’une exposition au printemps dernier à Potsdam…