La Tribune Hebdomadaire

En 2030, les réseaux électrique­s sud-coréens seront intelligen­ts

- FRÉDÉRIC OJARDIAS

La Corée du Sud veut convertir tous ses réseaux électrique­s au un ensemble de technologi­es qui visent à optimiser la production, la distributi­on et la consommati­on d’électricit­é. Alors que le premier test grandeur nature vient de se terminer, les entreprise­s engagées dans l’expérience expriment des réserves.

est un endroit ravissant mais improbable qu’a choisi la Corée du Sud pour sa première expérience grandeur nature de smart grid : son île volcanique de Jeju, située à l’extrême sud de la péninsule. Dans ses petits villages côtiers, où les femmes continuent de pratiquer la pêche aux coquillage­s en apnée, 2!000"foyers ont été connectés à ces réseaux électrique­s dits « intelligen­ts ».

« C’est la plus grande expérience de smart grid au monde pour le nombre de technologi­es rassemblée­s » , s’enthousias­me Lee So-yun, l’une des responsabl­es du projet de Jeju, qui a débuté en 2009 et s’est conclu en mai"2013. Pour les utilisateu­rs, le principe est simple : le prix de l’électricit­é change toutes les cinq minutes en fonction de la demande. Un compteur « intelligen­t » et une interface de type tablette, installés dans les foyers, permettent d’adap- ter la consommati­on de chaque appareil électromén­ager. Ainsi, quand le prix de l’électricit­é dépasse un certain seuil, un frigo passe en mode économie et cesse, par exemple, d’être éclairé, tandis qu’une « smart-machine à laver » ne fonctionne­ra pas tant que le prix ne sera pas redescendu. Le principe de ces technologi­es est de rendre les consommate­urs plus responsabl­es, en leur donnant accès, en temps réel, à la consommati­on de chacun de leurs appareils. Le contrôle peut être réalisé à distance, par l’intermédia­ire d’un téléphone portable.

UN MARCHÉ DE VENTE ET D’ACHAT EN TEMPS RÉEL

« Le smart grid, c’est vraiment très bien. Mes voisins disent avoir divisé leur facture d’électricit­é par deux!! » , assure Ko Seok-hun, un habitant du village de Woljeong, qui regrette de n’avoir pas été choisi pour participer à l’expérience.

Tous les participan­ts au projet n’ont pas partagé cet enthousias­me. Si aucun résultat o#ciel n’a encore été publié, « les évaluation­s préliminai­res o"cieuses montrent des économies d’énergie légèrement supérieure­s à 10!% » , annonce Jerry Yang, chef d’équipe au Korea Smart Grid Institute, l’établissem­ent public chargé de piloter le projet. « Nous avons organisé des formations pour apprendre à utiliser ces nouveaux appareils, mais tout le monde n’est pas encore prêt. »

L’expérience de Jeju a aussi permis de tester de nombreuses autres technologi­es de smart grid, qui permettent notamment de minimiser les pertes le long des infrastruc­tures de distributi­on, d’intégrer au réseau diverses sources d’énergies renouvelab­les et de gérer un marché de vente et d’achat d’électricit­é en temps réel. Les compteurs domestique­s permettent ainsi de revendre l’électricit­é produite par les maisons individuel­les équipées de panneaux solaires. Plusieurs modèles commerciau­x de marché de vente et d’achat d’électricit­é ont été mis à l’essai. « Nous avons testé 45 "business models et quatre systèmes de tarificati­on di#érents, se félicite Lee So-yun. Le gouverneme­nt choisira ensuite lequel convient le mieux. »

La Corée du Sud a prévu d’installer des réseaux smart grid dans plusieurs villes à partir de 2014, avant de diffuser ces technologi­es sur l’ensemble du territoire d’ici à 2030. Le pays, qui ne dispose d’aucune énergie fossile et doit importer 97!% de ses besoins énergétiqu­es, place de grands espoirs dans ces technologi­es. Séoul estime, d’ici à 2030, pouvoir réduire ses importatio­ns énergétiqu­es de 31 milliards d’euros, économiser 2 milliards d’euros sur la constructi­on de nouvelles centrales et créer 1"million d’emplois. Des estimation­s trop optimistes!? « Certes, ces chi#res semblent très élevés, reconnaît Jerry Yang. Mais nous nous attendons à l’émergence de nombreux nouveaux business. »

POUR LE PRIVÉ, QUEL RETOUR SUR INVESTISSE­MENT!?

Pour réussir son pari, le gouverneme­nt demande le soutien des grandes entreprise­s sud-coréennes du secteur des NTIC. Ce sont elles qui ont financé la plus grande partie de l’expérience de Jeju : le projet a coûté 170 millions d’euros, dont 115 millions ont été apportés par le secteur privé. Cent soixantehu­it" entreprise­s ont participé à l’expérience.

Or, celles-ci cachent de moins en moins leurs réserves. Selon un sondage réalisé en mai par la Korea Smart Grid Associatio­n, un tiers seulement des 122" entreprise­s interrogée­s se disent optimistes quant à l’avenir du secteur. Au centre des inquiétude­s : les lois et les standards que devra adopter le gouverneme­nt pour réguler ces marchés d’électricit­é en temps réel.

« Toutes les technologi­es existent déjà. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un marché. Mais nous ne sommes pas du tout sûrs que le gouverneme­nt va adopter un modèle commercial qui soit rentable pour nous » , explique Yoo Byung-chun, de la division Green Business du congloméra­t SK Telecom, l’un des principaux investisse­urs privés de l’expérience de Jeju. SK est le premier opérateur de téléphonie mobile du pays!; l’entreprise espère s’appuyer sur son énorme base clientèle et sur son savoir-faire en matière de télécommun­ications pour développer de nouveaux marchés dans le domaine des smart grids.

Or, en Corée du Sud, le prix de l’électricit­é est maintenu artificiel­lement bas par l’opérateur public Kepco, en situation de monopole et qui accumule les pertes. « C’est un problème de volonté politique. Si le prix est trop bas, les consommate­urs ne sont pas incités à avoir recours à ces nouvelles technologi­es. Nous voulons que le gouverneme­nt ouvre le marché de l’électricit­é » , poursuit Yoo Byung-chun.

Car le succès des smart grids dépendra de l’attitude des consommate­urs. Dans cette perspectiv­e, le choix de l’île de Jeju a été très critiqué : « C’est le pire des endroits pour un tel test. C’est une zone rurale, avec une population plutôt âgée : leur consommati­on d’électricit­é est déjà extrêmemen­t faible$» , regrette Yoo Byung-chun, qui tempère : «" Même si les résultats de Jeju sont mitigés, c’est un bon point de départ. Le projet a permis d’intégrer des technologi­es très variées.$»

 ?? [JEJU SMART GRID TEST-BED / AFP] ?? L’île volcanique de Jeju, en Corée du Sud, un lieu de tourisme, de villégiatu­re et d’expériment­ation grandeur nature de réseaux électrique­s «!intelligen­ts!».
[JEJU SMART GRID TEST-BED / AFP] L’île volcanique de Jeju, en Corée du Sud, un lieu de tourisme, de villégiatu­re et d’expériment­ation grandeur nature de réseaux électrique­s «!intelligen­ts!».

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