L’ÉCONOMIE POUR LES 7 À 77!ANS
Les bons ouvrages de vulgarisation en économie sont assez rares pour être relevés. BD best-seller aux États-Unis, Economix, du journaliste américain Michael Goodwin, doit son succès au talent du dessinateur Dan E. Burr et au choix de la chronologie histor
Trouver de bons ouvrages de vulgarisation pour une matière comme l’économie n’est pas chose facile, tant le sujet est polémique aux yeux du grand public. Celui ou celle qui voudrait dépendre moins des prophètes de l’économie et acquérir les rudiments de ce savoir au jargon intimidant peut se plonger sans crainte dans l’ouvrage du journaliste et écrivain américain Michael Goodwin, intitulé Economix. L’auteur, frustré de ne pas saisir les enjeux d’une matière qui guide une part prépondérante de nos vies quotidiennes, a rédigé son livre – qui lui a pris quelques années de travail – pour y voir plus clair. Comment s’explique la création de richesse, pourquoi les uns possèdent tant et les autres presque rien!? Quelles causes conduisent à des crises qui peuvent se transformer en véritables catastrophes, par exemple des guerres!?
À toutes ces interrogations et bien d’autres, l’ouvrage répond et tient ses promesses, pour au moins deux raisons. D’abord, il y a la volonté pédagogique, qui passe notamment par le recours à la bande dessinée – remarquable travail en noir et blanc de l’illustrateur Dan E. Burr –, et la nécessité de synthétiser le texte –"clair, sans jargon"– sous la forme de bulles, grâce à un bon équilibre entre texte et images.
UNE «!SCIENCE!» GUIDÉE PAR DES DÉSIRS INDIVIDUELS
La deuxième raison, plus fondamentale, est le recours à la chronologie. Comme le souligne Goodwin en guise de justification méthodologique : « Nous ne pouvons pas comprendre où nous nous trouvons si nous ne savons pas comment nous y sommes arrivés. » Or, loin d’être élaborée in vitro, l’évolution des économies ne suit en aucun cas une théorie, mais résulte de l’action et des décisions prises au jour le jour par des individus guidés par leurs propres désirs dans des conditions politiques, culturelles, technologiques données. Bref, comprendre l’économie passe par un détour historique, et non pas seulement, disons, par la maîtrise des mathématiques.
L’auteur souligne d’ailleurs combien le scientisme est l’un des maux de l’économie. Ainsi, l’oeuvre maîtresse d’Adam Smith, La Richesse des nations (1776), est d’abord le résultat d’observations empiriques, comme l’illustre cette citation, qui pourrait en étonner plus d’un tant Adam Smith est devenu le symbole de l’hyperlibé-- ralisme : « La proposition de toute nouvelle loi ou règlement de commerce qui part des [capitalistes] doit toujours être écoutée avec beaucoup de précaution, et ne doit jamais être adoptée qu’après avoir été longtemps et sérieusement examinée, non seulement avec le plus grand scrupule, mais avec la plus grande défiance, elle vient d’un ordre d’hommes dont l’intérêt n’est jamais exactement le même que celui du public, qui généralement est intéressé à tromper et même à opprimer le public, et qui, dans bien des occasions, n’a pas manqué de le tromper et de l’opprimer. »
En revanche, des auteurs comme Malthus et ses théories sur la population, ou encore David Ricardo, et son livre Des principes de l’économie politique et de l’impôt paru en 1817 illustrent –"brillamment – le biais qui guette les théoriciens : confondre une logique abstraite avec la réalité. Ainsi, en est-il du fameux « avantage comparatif », une machine de guerre théorique contre le protectionnisme, illustrée par le fameux exemple de la production de vins et de draps en Angleterre et au Portugal, qui démontre que chaque pays doit se spécialiser dans la production la plus e#cace pour pourvoir optimiser ses échanges. Le problème est que la théorie de David Ricardo présuppose que le travail est mobile et le capital immobile. Or, dans la réalité, et les exemples des délocalisations le montrent, le capital est plus mobile que le travail, limitant la portée générale de l’argument.
En montrant combien le développement historique modifie le fonctionnement des sociétés – révolution industrielle, guerres mondiales, colonialisme, révolutions, fonctionnement des États, montée en puissance du salariat, influence des multinationales…"– Goodwin montre de manière convaincante que derrière le discours policé de l’économie se trouve en premier lieu l’histoire faite « de bruit et de fureur » des hommes.
Il montre comment l’État a été amené à jouer au fil de l’histoire récente un rôle de plus en plus central dans l’organisation sociale et dans l’économie à travers des interventions – politique monétaire, fiscale, dépenses publiques (loin d’être uniquement sociales), redistribution – souvent influencées par les acteurs sociaux. « Marxistes et néolibéraux s’intéressaient les uns comme les autres à la manière dont une économie idéale devrait fonctionner, et non à celle dont une économie réelle fonctionne!; ils pensaient également les uns comme les autres que leur idéal pouvait être atteint en supprimant l’État » , souligne l’auteur, qui pointe combien cette idéalisation découlant de la théorie correspond de moins en moins à la réalité.
Ce rôle prépondérant de l’État s’est d’ailleurs accompagné d’une concentration de plus en plus importante des intérêts privés et du capital sous la forme des grandes compagnies. Goodwin décrit cette émergence des premiers trusts aux États-Unis (chemins de fer, mines, pétrole), toujours plus concentrés, notamment via l’activité bancaire, sous la houlette décisive d’un certain JP Morgan dont l’enseigne est toujours une référence en matière de banque d’a$aires à Wall Street.
À CHAQUE NOUVEAU PROBLÈME, SA SOLUTION
Face aux intérêts privés, l’État peut jouer un rôle majeur comme ce fut le cas en 1901 avec le président républicain Teddy Roosevelt, et son « big stick », qui mit au pas les « riches »!; ou encore avec un autre Roosevelt (Franklin Delano) qui suivit ses intuitions contre ses conseillers en économie pour élaborer son « new deal » à coup de dépenses publiques et relancer ainsi, avec succès, l’économie après la crise de 1929.
Le recours à la chronologie permet également de replacer les « interventions » des grands économistes motivées par la volonté de répondre à des problèmes qui se posent à un moment donné de l’histoire. Ce fut le cas de Karl Marx, de John Meynard Keynes ou encore de Friedrich Hayek. De même, l’apparition de problèmes nouveaux favorise la recherche économique, comme celui de l’impact de la destruction de l’environnement qui a donné lieu à une riche réflexion sur les « externalités », dans ce cas négatives, où les activités des uns peuvent procurer un bénéfice ou induire un coût pour tous les autres individus.
Au final, l’ouvrage réussit la gageure de fournir en quelques heures de lecture érudite et plaisante une mise en perspective historique du fonctionnement de l’économie. Chacun pourra ensuite approfondir tel ou tel point par de nouvelles lectures. C’est ce à quoi invite d’ailleurs Michael Goodwin.