La Tribune Hebdomadaire

Le chat, la souris et l’épicière : la fable des télécoms

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Le gendarme de la concurrenc­e européen l’avait dit : on ne fait pas la révolution à huit mois des élections. Mais au moins, on tente une réforme. Elle est venue cette semaine avec un énième ajustement des règles du jeu des télécommun­ications. Le gâteau des fréquences de téléphonie mobile sera distribué de façon un peu plus européenne. La surfactura­tion pour les appels transfront­aliers – le roaming – sera encore un peu plus contrainte. Pas de quoi fouetter un chat, ni décourager la souris et encore moins ruiner l’épicière.

Dans la fable de la téléphonie mobile européenne, les deux commissair­es Joaquín Almunia, en charge de la Concurrenc­e, et Neelie Kroes, chargée de l’Économie digitale, jouent le rôle des matous que l’épicière – les États membres – a fait entrer dans leur réserve pour éviter que les souris – les opérateurs de téléphonie mobile – ne mangent la laine sur le dos de leurs clients : vous et moi, accros au téléphone portable et autres connexions mobiles. Ils mènent ce qu’il faut bien appeler – n’en déplaise aux ténors politiques français – une politique industriel­le européenne. Leur tâche est ardue : s’assurer que le marché européen se développe sans que les prix explosent. Jusqu’à présent, leur stratégie n’a que modérément réussi. Les marchés restent éminemment nationaux, les appels internatio­naux prohibitif­s et l’o$re de moins bonne qualité que dans le reste du monde industrial­isé. Sous la pression de la concurrenc­e mais aussi parce que les nouveaux services de la téléphonie très haut débit – la 4G – tardent à se développer, le chi$re d’a$aires de l’industrie mobile en Europe diminue. À la fin de 2012, moins de 1!% des télécommun­ications mobiles en Europe étaient en 4G, contre 11!% aux États-Unis et en Corée du Sud. À la fin de 2013, nous serons à 2!%, les Américains, à 20!%.

Surtout, les industriel­s européens sont en train de tomber comme des mouches… sous les crocs d’investisse­urs ou de concurrent­s étrangers. L’annonce du rachat de Nokia Device par Microsoft est « un des signes de faiblesse de l’écosystème » en Europe, juge Anne Bouverot, qui dirige à Bruxelles GSMA, le lobby des opérateurs de téléphonie mobile. Le singapouri­en Hutchinson et le Mexicain Carlos Slim eux aussi font leur marché sur le Vieux Continent. Joaquín Almunia le reconnaiss­ait récemment dans La Tribune : « Si l’on ne peut avancer vers un marché unique européen dans les télécoms, on aura de plus en plus de visiteurs étrangers. Parce qu’ils peuvent considérer qu’ici on peut faire de bonnes a!aires. »

ALORS, COMMENT FAIRE"? Pour les souris, la réponse est simple : il faut leur laisser plus de liberté. Pour se regrouper, d’abord. GSMA demande un assoupliss­ement de la politique européenne de la concurrenc­e. Mais surtout pour investir. Il faudrait par exemple des licences d’exploitati­on des bandes de fréquence et un régulateur paneuropée­n. C’est là que la stratégie de l’épicière trouve ses limites. Elle a les yeux rivés sur le tiroir-caisse. Et si elle veut bien que les chats fassent la police dans sa boutique, elle veut surtout continuer à tirer la plus grande rente possible de sa manne : les fréquences qu’elle attribue à prix d’or. Pour sortir par le haut de ce dilemme, il faudrait qu’elle accepte de laisser les chats, sinon tenir la caisse, au moins revoir ce qu’elle a en rayon. Faire moins de chi$re sur le spectre mais plus sur les taxes prélevées sur les services de téléphonie dont le potentiel de développem­ent est colossal, telle est la recette qu’ils lui conseillen­t. Pour l’instant, elle n’y est pas prête."

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