La Tribune Hebdomadaire

Géant égoïste ou fourmi fragile!?

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Une croissance de 2 %. Le plein-emploi. Des comptes en excédent. De quel pays parlonsnou­s!? De la France en 2020!? De l’Irlande en 2001!? Non. Le lieu de ce « miracle » est évidemment l’Allemagne en 2014. Et pourtant tout ne va pas si bien au royaume d’Angie et cela commence à se dire à Bruxelles. Alors que la Commission prépare une « enquête approfondi­e » sur l’excédent récurrent de la balance des paiements de la République fédérale, les langues se délient aussi dans le milieu académique. En témoigne une récente conférence du centre de recherche Bruegel, dont l’invité était Jörg Zeuner, le chef économiste de la puissante banque d’investisse­ment publique allemande KfW. Car outre-Rhin, la formidable accumulati­on de richesse a une face sombre": l’atonie des investisse­ments. En 2014, la formation de capital devrait atteindre 5 % du PIB. C’est certes plus que ces dernières années. Mais cette reprise est « cyclique », assure Jörg Zeuner. En tendance, les entreprise­s et les ménages allemands investisse­nt 2 % de PIB de moins que les autres Européens. Un comble!! La « transition énergétiqu­e », le seul projet clairement identifiab­le du deuxième mandat de la chancelièr­e, « n’est pas financée » , tranche l’économiste. Pour satisfaire aux seuls objectifs d’efficience énergétiqu­e, le pays devrait mettre pas moins de 10 milliards d’euros par an est d’une complexité à côté de laquelle les arrangemen­ts les plus ardus entre pays européens ressemblen­t à un jeu d’enfant. En acceptant d’épuiser son « droit » au déficit dans le cadre de la double règle d’or allemande et européenne, l’Allemagne pourrait dégager les 100 milliards d’euros d’investisse­ment publics par an qui lui font défaut, estime la KfW. Si elle ne le fait pas, c’est que sa « Transfer Union » (entre Länder) est en panne. Ensuite, notre voisin n’est pas le paradis de la productivi­té que l’on croit. Il a certes un avantage culturel": la faculté de distribuer les tâches clairement et d’échapper à cette lutte de tous contre tous, à cette culture implicite de la concurrenc­e et de la performanc­e individuel­le qui mine la France. Mais il reste un pays cher. Et ce n’est pas la création d’un salaire minimum qui va arranger les choses. Outre-Rhin, on ne délocalise pas les usines, mais on a cessé de les agrandir. Le marché de la constructi­on industriel­le est atone. Et les investisse­ments à l’étranger explosent. D’autant plus que la maind’oeuvre se fait rare. Pour satisfaire les besoins, il faudrait faire passer la journée de travail de 7,5 à 11 heures, estime la KfW. Bloqué par des réflexes conservate­urs, le pays a réussi à faire progresser le taux d’activité des femmes, mais sans le réconcilie­r avec la natalité. Avoir des enfants et travailler reste bien souvent un insurmonta­ble dilemme outre-Rhin. Enfin, le pays traîne comme un boulet des banques affaiblies. Sait-on que Berlin est, de toutes les capitales européenne­s, celle qui a englouti le plus d’argent dans le sauvetage de son secteur bancaire après 2008. Que s’est-il passé depuis!? La continuati­on d’une guérilla secrète avec l’autorité européenne de la concurrenc­e pour préserver des intérêts bancaires étroitemen­t connectés, via les caisses d’épargne et les Landesbank­en, au monde politique. À cette aune, l’Union bancaire – qui vise justement à dénational­iser la surveillan­ce et l’assainisse­ment du secteur – est au moins aussi nécessaire à l’Allemagne qu’à l’Espagne. Malheureus­ement, la première négocie en position de force et risque d’obtenir le droit de continuer à s’administre­r son propre poison en résistant à tout prix, au nom de la souveraine­té budgétaire de son parlement, au nécessaire transfert des compétence­s de surveillan­ce et de résolution bancaires au niveau européen. Ajoutez à l’excès de prudence le déclin démographi­que, et le géant égoïste que certains pointent du doigt prend les traits d’une fourmi fragile."

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