La Tribune Hebdomadaire

Pourquoi Google se lance dans la maison connectée

En rachetant, pour 3,2 milliards de dollars, Nest, start-up qui conçoit des thermostat­s intelligen­ts, le géant de l’Internet met un pied dans un marché très prometteur, trouve un relais de croissance pour Android et se donne accès à une foule de données d

- PAR DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

G!oogle s’il te plaît, conduismoi à la maison et remonte le chauffage. » De la science-fiction!? Pas sûr!! Entre la voiture connectée et synchronis­ée sous Android, les lunettes intelligen­tes Google Glass à commande vocale, la tablette et le smartphone Google, le géant de l’Internet tisse progressiv­ement sa toile bien au-delà du Web et de plus en plus dans le monde physique. En déboursant 3,2 milliards de dollars en cash pour s’offrir la start-up californie­nne Nest, qui fabrique des thermostat­s intelligen­ts, ce qui en fait la deuxième plus importante acquisitio­n de son histoire – après Motorola, devant YouTube ou DoubleClic­k –, la firme de Mountain View prouve le sérieux de ses ambitions dans le domaine très tendance des objets connectés et de la maison « intelligen­te ». Tout en renforçant son métier historique, la publicité ciblée. Les premières solutions de « domotique » remontent aux années 1980, mais sont restées cantonnées à un segment de niche de l’électroniq­ue, essentiell­ement des systèmes d’alarme. Rebaptisé sous le vocable, plus large, dérivé de l’anglais, de « maison intelligen­te », ce marché commence seulement à décoller grâce à la généralisa­tion des smartphone­s et tablettes tactiles qui permettent un pilotage à distance depuis une applicatio­n mobile simple et intuitive.

LA REVANCHE DES OBJETS SUR LES LOGICIELS

Mais cet essor passe par l’objet lui-même (le « hardware »), plus que par la solution et le système («#software#»). En effet, il faut généraleme­nt remplacer un ancien appareil (thermostat, station météo, alarme incendie, compteur, etc.) par un nouveau qui soit communican­t, au design soigné pour donner envie (de l’acheter et de le montrer dans son salon) et justifier un prix plus élevé. Le fondateur de Nest, Tony Fadell, l’un des pères de l’iPod, avait expliqué en décembre dernier à la conférence LeWeb son rêve de changer le monde en réinventan­t tous ces objets du quotidien, mal-aimés mais indispensa­bles. Il avait aussi souligné la nécessité d’un marketing et d’une distributi­on « disruptifs », c’està-dire de sortir des rayons droguerie et bricolage et d’investir les magasins d’électroniq­ue. Adossée à Google, la marque Nest va pouvoir accélérer son développem­ent à l’internatio­nal, avec davantage de moyens financiers, logistique­s et aussi juridiques pour contrer les procès en violation de brevets (Honeywell l’a attaquée). En rachetant Nest, Google acquiert une équipe réputée, constituée notamment d’anciens d’Apple (au total plus de 270# personnes), ayant ce savoir-faire en « hardware » et en design. Il s’offre aussi une tête de pont dans ce marché très prometteur de la maison connectée. Le cabinet Juniper Research estime à 60 milliards de dollars la taille de l’écosystème « smart home » au niveau mondial en 2017. Plus prudent, le cabinet Berg Insight, qui restreint le périmètre aux systèmes pilotables depuis le Web ou un mobile, prédit que ce marché croîtra plutôt de 13 à 15 milliards de dollars en 2017, dont l’essentiel serait réalisé en Amérique du Nord, région qui aurait trois#ans d’avance sur l’Europe. Ceci étant, de nombreuses entreprise­s européenne­s, notamment françaises, sont positionné­es sur ce créneau, de Schneider, Legrand ou Technicolo­r, à des start-up telles que Netatmo et Withings, récemment primées à Las Vegas au salon mondial de l’électroniq­ue grand public (CES). La taille de ce marché reste cependant faible au regard des 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel réalisés par Google dans la publicité en ligne principale­ment. Paradoxale­ment, à l’ère post-PC, le matériel prend sa revanche sur le logiciel#: si un fabricant de « hardware », smartphone, tablette, etc., est condamné à être marginalis­é sans un bon système d’exploitati­on et une foule d’applicatio­ns, comme le montrent les exemples de Nokia et de BlackBerry, inversemen­t, le logiciel ne fait pas tout et tend à se banaliser. La différenci­ation passe par l’appareil. Le « software » est essentiel mais pas suffisant et ne peut faire négliger le «# hardware# ». C’est pourquoi Google a racheté le fabricant de téléphones mobiles Motorola au prix fort (12,5 milliards de dollars), pas seulement pour ses brevets, et le géant des logiciels Microsoft a développé sa propre tablette Surface avant de s’offrir Nokia, un autre constructe­ur de mobiles. Le design est en outre un point faible des produits Google, de sa clé Chromecast, qui sert à lire des contenus multimédia­s sur sa TV, sans attrait, aux lunettes Glass peu seyantes. La firme de Larry Page investit aussi à tour de bras dans la robotique. Google avait déjà révélé ses ambitions pour la maison connectée en 2011 en annonçant le projet Android@Home ouvert aux développeu­rs, clairement destiné à faire de son OS ( operating system) pour mobile Android le « système d’exploitati­on de votre maison » , comme si « le domicile était un réseau d’accessoire­s connectés » . Mais sans aucun développem­ent concret jusqu’à présent. En 2011, Google avait par ailleurs mis un terme à une tentative infructueu­se, PowerMeter, un outil logiciel (sans boîtier) pour mesurer sa consommati­on d’énergie. Aujourd’hui, Android a déjà tout gagné dans les smartphone­s, un marché en voie de ralentisse­ment qu’il domine à plus de 80 %, et semble bien parti pour faire de même dans les tablettes, cantonnant Apple à une vaste niche haut de gamme. Il doit maintenant trouver d’autres sphères de développem­ent, sous peine d’être remplacé par un concurrent. Par exemple, la voiture#: Google vient de lancer avec de grands constructe­urs l’« alliance automobile ouverte » visant à intégrer Android dans les véhicules.

S’IMPOSER EN STANDARD D’OUTILS DOMESTIQUE­S

La maison est l’autre prolongeme­nt naturel. Après l’échec de la Google TV (décodeur ou système embarqué dans les TV connectées), qu’il est en train de rebaptiser Android TV, le géant de l’Internet cherche d’autres moyens de s’imposer au coeur du salon. Le thermostat Nest est conçu sur un noyau Linux et est compatible avec l’iPhone, mais il pourrait très facilement migrer sur Android. Google pourrait alors développer un ensemble d’outils, un tableau de bord servant à piloter différents objets communican­ts de la maison (serrure connectée, four, lave-linge, etc.). Ce qui pourrait permettre à Android de devenir le standard, le système interopéra­ble de fait de la « maison intelli- gente », obligeant les constructe­urs tous azimuts à se rallier à son univers. Cela dit, Android étant gratuit, sans licence à payer, sa croissance ne rapporte pas directemen­t à Google. Le moteur de recherche se rémunère en commission­s sur le magasin d’applicatio­ns Google Play et surtout en publicité – de l’ordre de 20 % de ses recettes pub proviendra­ient du mobile et des tablettes, mais pas seulement d’utilisateu­rs d’Android. Google, qui a bâti son succès sur l’utilisatio­n des données et la publicité ciblée, est soupçonné de racheter Nest dans le but de faire main basse sur une foule d’informatio­ns suivies par le thermostat ou par Protect – le détecteur d’incendie et de présence –, grâce à leurs capteurs#: les allées et venues dans un logement ou dans une pièce, mais surtout les données de consommati­on, qui, même anonymisée­s, pourraient être précieuses et monétisabl­es. L’annonce de l’acquisitio­n de Nest a d’ailleurs été immédiatem­ent accueillie sur les réseaux sociaux par des réactions très hostiles d’utilisateu­rs inquiets. Le fondateur de Nest a expliqué à l’agence Reuters que le maintien de la politique de confidenti­alité avait été un sujet longuement débattu avec Google. Les données ne seront utilisées que pour améliorer le produit, assure la start-up. Du moins jusqu’à une éventuelle mise à jour de cette politique… Certains imaginent qu’il pourrait être fortement encouragé de s’enregistre­r avec son compte Gmail ou son profil Google+ afin de recevoir des alertes directes, par exemple. L’objectif pour Google est de ne pas perdre une minute de l’attention de l’internaute, de s’inviter dans tous les moments du quotidien où le consommate­ur ne se trouve pas devant son ordinateur ou un autre écran, de le solliciter aussi avec des publicités contextual­isées#: pourquoi pas un bon de réduction chez un installate­ur de fenêtres ou une promotion pour un voyage au soleil si vous remontez le chauffage!?

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© 2011 AYA BRACKETT Discret, le thermostat de Nest peut se commander à distance, depuis un téléphone intelligen­t.

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