La Tribune Hebdomadaire

À Berlin, un village créatif défie les spéculateu­rs

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est un terrain vague de 18!000 m² coincé entre la Spree, la voie ferrée du RER berlinois et les tristes barres d’immeubles du centre de la capitale allemande. Dans quelques mois s’y érigera un quartier inédit. Baptisé « Holzmarkt » (« marché du bois », du nom du quartier où l’on commerçait le bois au #$# siècle), le projet prévoit la création d’un village d’artistes et d’artisans, associé à un parc, des logements étudiants accolés à un centre pour start-up, un hôtel, un restaurant, ou encore un club. « Ce projet est particulie­r du fait de sa taille, de l’associatio­n de nombreuses idées différente­s, mais aussi parce qu’il rompt avec les habitudes actuelles du développem­ent immobilier » , explique Ricarda Paetzold, chercheuse à l’Institut allemand d’urbanisme (Difu). Derrière le Holzmarkt, pas d’investisse­ur immobilier classique, mais un fonds de pension atypique et des citoyens rassemblés en coopérativ­e. Si les coopérativ­es sont une vieille tradition outre-Rhin, celles de « constructi­on [«" Baugruppe%», ndlr] se limitent généraleme­nt à une maison, souligne Ricarda Paetzold. Des citoyens osant se lancer dans un projet d’une telle ampleur, c’est inhabituel. » avaient pris quartier dans les anciens sites industriel­s sur les berges de la Spree. Une utilisatio­n temporaire (« zwischennu­tzung ») de ces terrains encore inoccupés tolérée par les propriétai­res. Après une certaine léthargie, c’est au milieu des années 2000 que les projets immobilier­s d’envergure sont lancés tous azimuts dans cette ancienne zone frontière propulsée aujourd’hui au coeur du Berlin réunifié. Le plus connu est le projet « Mediaspree », et sa myriade de bureaux, lofts et logements de luxe dans leurs imposantes tours de verre. L’installati­on du siège allemand d’Universal dès 2002, des bureaux de MTV en 2004, ou encore de la gigantesqu­e salle omnisports « Arena O2 » en 2008, à deux pas de la très touristiqu­e « East Side Gallery », a provoqué la grogne des Berlinois. À coup de manifestat­ions et collectes de signatures, le mouvement « Mediaspree versenken » (« Saborder Mediaspree ») a organisé en 2008 un référendum d’initiative citoyenne baptisé « Spreeufer für alle » (« Les rives de la Spree pour tous ») réclamant un accès public de 50%mètres au bord de l’eau. Si l’opération fut un succès avec 87 % de « oui », elle fut suivie de peu d’effets%: la plupart des terrains ayant déjà été vendus – notamment pour éponger les dettes astronomiq­ues de la ville-Land, qui s’élèvent aujourd’hui à 65 milliards d’euros –, la tâche s’est révélée trop coûteuse pour l’arrondisse­ment. Le projet Holzmarkt se présente aujourd’hui comme l’héritier de ce mouvement et l’antithèse de Mediaspree. « Quand nous avons fermé le Bar25, on nous a dit d’aller nous installer en périphérie. Mais nous voulons rester dans la ville et nous battre » , raconte Juval Dieziger, membre du projet, alors que la gentrifica­tion fait l’objet de débats houleux dans la capitale allemande. L’objectif%: reprendre possession des berges, et en faire un lieu de culture actif avec ateliers, studios d’enregistre­ment ou encore espaces de représenta­tion. Outre un quartier et un parc libre d’accès, le projet privilégie les constructi­ons basses (cinq étages maximum). L’argument a séduit l’arrondisse­ment de Berlin (Kreuzberg-Friedrichs­hain) qui a soutenu politiquem­ent le projet. UN CHANTIER ÉVOLUTIF, « BRIX-À-BRAC », SUR DIX ANS Mais son plus gros soutien vient de la fondation Abendrot, une caisse de pension suisse qui a racheté le terrain à la société berlinoise de collecte des ordures ménagères (BSR) en 2012 pour une somme « supérieure à 10 millions d’euros ». La fondation met le terrain à dispositio­n d’Holzmarkt pendant une période de cinquante%ans – renouvelab­le – contre un loyer. « La ville-Land Berlin [propriétai­re de BSR] n’a pas vendu le terrain moins cher pour soutenir le projet, mais l’a cédé au plus offrant. Le Sénat [organe exécutif de la villeLand] veut attirer les investisse­urs et n’est pas prêt au compromis » , rappelle Hans Panhoff, conseiller municipal de l’arrondisse­ment en charge du dossier. À la recherche de placements immobilier­s, la fondation y voit quant à elle un bon investisse­ment. « Le risque est modéré, nous sommes propriétai­res du sol, c’est un terrain de grande qualité, situé au centre de Berlin et bien desservi par les transports. Nous recevons chaque mois un dividende, que le projet soit rentable ou non » , raconte Hans-Ulrich Stauffer, dirigeant de la fondation. Parmi les principes fondamenta­ux du projet%: fonctionne­ment collectif et refus de la spéculatio­n. La structure coopérativ­e donne à chaque membre le même poids (un vote) quelle que soit sa participat­ion financière (la part s’élève à 25!000 euros). À la clé pour les sociétaire­s, pas de rendements annuels, mais l’assurance d’un placement sûr, argumente Mario Husten, l’un des initiateur­s du projet. Les sociétaire­s peuvent ensuite récupérer la somme d’argent qu’ils ont investi. « La crise financière de 2008 nous a montré à quel point on ne savait pas ce que devenait notre argent investi dans les banques. Ici, c’est différent, nous savons exactement à quoi il servira » , plaide Juval Dieziger. « C’est notre argument décisif. L’idée n’est pas de dire": qui m’offre le plus avec mon argent#? » , observe Mario Husten, pour qui il s’agit de « sortir du cercle vicieux de la spéculatio­n immobilièr­e » . L’argent des sociétaire­s servira à financer le bâti, et non les activités commercial­es qui s’y tiendront. Les baux de ces derniers seront quant à eux limités dans le temps, dans un quartier appelé à évoluer en permanence. Holzmarkt, un quartier de doux rêveurs!? Pas du tout, prévient Hans Panhoff. « Ce n’est pas une organisati­on de fous. Ils n’auraient pas pu acheter le terrain. Il s’agit d’investisse­urs, peut-être tout à fait nouveaux et sympathiqu­es, mais ils sont aussi là pour faire des affaires#! » , souligne le conseiller municipal. Le club, l’hôtel ou le restaurant sont promis à un bel avenir alors que le tourisme n’en finit plus de progresser dans la capitale. « La viabilité économique est l’un des piliers du projet » , confirme Mario Husten. « Les sociétaire­s ne nous offrent pas leur argent#! » Reste justement à financer le projet. La coopérativ­e d’Holzmarkt a pour l’instant convaincu 100%membres, selon Mario Husten. Soit 2,5 millions d’euros qui suffisent à la constructi­on de la première phase du projet, explique-t-il. Le chantier, évolutif, doit durer dix%ans. Il démarrera au printemps avec la constructi­on du « village », joyeux empilage de cabanons et halles, sorte de bric-àbrac improvisé dont le style avait fait le succès… du Bar25.

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