La Tribune Hebdomadaire

Osera-t-il assumer Blair!?

François Hollande assume désormais une politique de l’offre. Mais, il continue d’esquiver la référence à Tony Blair. À tort !

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Le président de la République a explicité lors de sa conférence de presse ce qu’il entendait par « pacte de responsabi­lité ». En pratique, il s’agit de supprimer les quelque 30 milliards d’euros de cotisation­s servant à financer la politique familiale. Il a également indiqué que, d’ici à 2017, 50 milliards d’euros d’économie sur les dépenses publiques seraient réalisées, ce qui permettrai­t de financer cette mesure. En fait, il n’y a guère de choses nouvelles sur ce volet. Le principe des économies avait déjà été mis en avant lors de sa conférence de presse de novembre 2012, pour un montant de 60 milliards. François Hollande qui se veut précis – au moins dans les mots utilisés, y compris quand il cherche à esquiver les questions qui le dérangent – a dit qu’il y avait non pas un tournant, mais une accélérati­on… Il a insisté sur le fait qu’il n’était pas libéral dans la mesure où il entend faire reposer sa démarche sur des rencontres, des négociatio­ns, une affirmatio­n de la volonté politique. De fait, il a annoncé des créations d’organismes multiples aux noms divers (Observatoi­re des contrepart­ies, Conseil stratégiqu­e de la dépense…). Et il a exprimé le regret qu’au niveau européen sa propositio­n très keynésienn­e de « pacte de croissance » n’ait pas eu d’échos très significat­ifs. Mais il a dit qu’il était socialdémo­crate, provoquant commentair­es et interrogat­ions. En fait, là encore, ce n’est pas une vraie surprise car, il l’a rappelé, au cours des dix-huit premiers mois de son mandat, il n’a pas vraiment multiplié les cadeaux, ni procédé à une étatisatio­n massive de l’économie malgré les propos va-t-en-guerre de son ministre du Redresseme­nt productif. Ce qui a finalement semblé le plus original, c’est l’usage qu’il a fait de la célèbre formule de Jean-Baptiste Say, l’économiste libéral du début du "#" siècle, selon laquelle l’offre crée la demande. Or, cette loi de Say nourrit la haine de tous les étatismes socialisan­ts, qu’ils soient néo ou archéo-keynésiens, paléo-marxistes ou néoprotect­ionnistes. De cette nouvelle référence est née l’idée qu’il fallait parler de « socialisme de l’offre ». «SOCIALISME DE L’OFFRE», EXPRESSION INADÉQUATE On peut néanmoins se demander si l’expression est appropriée. En effet, les épigones de Marx parvenus au pouvoir dans des pays qui se qualifiaie­nt de socialiste­s finirent par n’avoir comme prétention de réussite économique et politique que leur capacité à assurer le plein-emploi. Face à leur déroute morale, économique et politique, et par-delà leur ineffable langue de bois, les héritiers putatifs de Marx vantaient comme mérite de leur régime celui d’avoir fait disparaîtr­e le chômage. De façon assez sinistre, sur les discours des lendemains qui chantent, le socialisme dit « réel » d’obédience marxiste a plaqué la réalité d’un État devenu « employeur en dernier ressort » grâce à son contrôle exclusif de la production. Il organisait l’offre et ignorait la demande, ne rendant possible la réalisatio­n de l’égalité entre l’offre et la demande que par le développem­ent du marché noir. Ce socialisme « réel » était un socialisme de l’offre. L’effondreme­nt de ce socialisme de l’offre, signifié notamment par la chute du mur de Berlin, fut d’autant plus spectacula­ire qu’il survenait quelque dix%ans après celui d’un autre modèle de socialisme, que l’on pourrait qualifier de « socialisme de la demande ». Le socialisme réformiste étatiste qu’avaient incarné en leur temps la social-démocratie scandinave et le travaillis­me anglais version Clement Attlee a été emporté au Royaume-Uni à la fin des années 1970, avec l’élection de Margaret Thatcher. Ce socialisme étatiste réformiste avait essayé de créer une société démocratiq­ue à économie dirigée. C’est-à-dire de maintenir le libéralism­e politique tout en abandonnan­t le libéralism­e économique. Mais ce projet a échoué. La liberté ne se partage pas%: si l’on veut pouvoir échanger sans contrainte les idées, il faut pouvoir également échanger librement les biens. Le travaillis­me d’Attlee avait trouvé une justificat­ion théorique chez Keynes, faisant là encore de l’État l’acteur du plein-emploi. Dans ce socialisme réformiste étatiste keynésien, l’État agissait non pas comme « employeur en dernier ressort », mais comme « consommate­ur en dernier ressort ». L’État n’avait pas vocation à employer directemen­t mais à fournir des débouchés garantis aux entreprise­s afin qu’elles emploient. Le travers subi puis assumé de ce genre de politique est une augmentati­on régulière de l’inflation, vécue au départ comme anodine. Mais l’expérience historique fut cruelle. Après avoir perdu toute forme de compétitiv­ité, l’économie britanniqu­e keynésienn­e s’est retrouvée sous tutelle du FMI en 1976, discrédita­nt le socialisme réformiste étatiste. Ceux qui dénoncent régulièrem­ent Margaret Thatcher pour avoir libéralisé l’économie britanniqu­e à outrance devraient se souvenir qu’elle a été élue – et systématiq­uement réélue%–

« Politique économique et situation des finances publiques françaises : quelles marges de manoeuvre ? »

par un peuple britanniqu­e excédé par les impasses du travaillis­me historique. Ils devraient méditer les propos de Peter Mandelson, ministre travaillis­te de la fin des années 1990, affirmant : « En économie, nous sommes tous thatchérie­ns. » Si la victoire électorale de Margaret Thatcher a sonné le glas du socialisme réformiste étatiste, cette disparitio­n a été entérinée dans les années 1990 par les sociaux-démocrates suédois. Après la spectacula­ire dévaluatio­n de la couronne suédoise en 1992, ils ont en effet jugé indispensa­ble de renoncer au keynésiani­sme et à l’étatisme pour éviter le déclin du pays. L’ADIEU AU SOCIALISME DE LA DEMANDE, DÈS 1983 En France, ce socialisme de la demande a tiré sa révérence avec la rigueur de 1983. Dans sa « Lettre à tous les Français » de 1988, François Mitterrand écrivait que ce sont « les entreprise­s qui sont responsabl­es de l’emploi et de la croissance » . Exit l’État « employeur en dernier ressort », exit l’État « consommate­ur en dernier ressort »… On aurait pu penser que la messe était dite et les socialiste­s français étaient en train de converger vers la socialdémo­cratie allemande, celle-ci ayant abandonné le marxisme – socialisme de l’offre – à la fin des années 1950 et le keynésiani­sme – socialisme de la demande – à la fin des années 1970, quand Helmut Schmidt déclarait que « les profits d’aujourd’hui sont les investisse­ments de demain et les emplois d’après-demain » , abandon conforté à la fin des années 1990 par Schröder lorsqu’il a demandé à Oskar Lafontaine de quitter le gouverneme­nt. En acceptant le mot social-démocrate, Hollande vient de nous dire que le message de Mitterrand version 1988 devenait enfin un acquis. Néanmoins, au passage, il a jugé bon d’esquiver Blair. Pourtant, son socialisme est plutôt proche du « socialisme de marché » de Blair, un social-pragmatism­e qui faisait dire à Blair qu’il n’y a pas de politique économique de gauche et de politique économique de droite, il y a celles qui échouent et celles qui réussissen­t… Insistons sur Tony Blair, car la gauche française aime bien le haïr. En 1995, le Parti travaillis­te anglais abandonna la clause%IV de ses statuts, clause qui prévoyait « l’appropriat­ion collective des moyens de production ». Parlant des raisons qui l’avaient conduit à proposer à son parti cet abandon, Tony Blair écrit dans ses mémoires que garder une telle formule dans les statuts six%ans après la chute du mur de Berlin avait quelque chose non seulement d’obsolète mais, plus encore, de « ridicule »…%

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