La Tribune Hebdomadaire

LE GRAND PARIS A SOIF DE LOGEMENTS

L’ambition de créer 70000 logements par an en Île-de-France est-elle réalisable ?

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Pour la métropole du Grand Paris, il y a deux questions incontourn­ables à régler!: la péréquatio­n fiscale et, surtout, le logement. Si la première sera assez vite réglée –!du moins on peut l’espérer –, pour la seconde, c’est beaucoup moins sûr. Dans la métropole-capitale plus qu’ailleurs en France, les prix des logements sont en effet de plus en plus déconnecté­s de la réalité économique des habitants (le prix moyen de vente s’élevant à 5#500!€ le mètre carré) et la file d’attente des candidats à un logement social s’est allongée pour compter désormais pas moins de 500#000!postulants#! Pire, l’Île-de-France, qui représente 20#% de la population française, ne représente plus que 10#% de la constructi­on totale de logements. La faute à un système de production d’habitation­s totalement grippé et qui ne se décoincera pas tout seul. Pour les pouvoirs publics, il est donc plus que jamais impératif de lutter contre la pénurie de logements. Comment#? En faisant baisser les prix de l’immobilier –!objectif non avoué cependant – ou d’en limiter la hausse à tout le moins. La métropole du Grand Paris va donc récupérer les compétence­s logements des communes pour pouvoir s’attaquer à un Everest immobilier!: construire 70#000!logements par an, alors même qu’à peine plus de 20#000 ont été mis en chantier en 2013 en Île-de-France. La chute est d’ailleurs continue puisque la moyenne de constructi­on était de 31#000 par an entre!2002 et!2006, et de 47#000 au milieu des années!1990. La dernière fois que la barre des 70#000 a été passée, Valéry Giscard d’Estaing était encore président de la République#! Au vu de ces chiffres, il est clair que plus d’un spécialist­e ou observateu­r estime inatteigna­ble, voire utopique, cet objectif de 70#000!logements construits par an. À ces Cassandre, d’autres experts répondent que, vu l’ampleur du problème, il faut se donner des objectifs ambitieux pour mieux avancer. «!Pas le choix#!!», lancent-ils. « CRÉER UN CHOC DE L’OFFRE FONCIÈRE » En 2040, la population francilien­ne serait comprise entre 11,8 et 13,8!millions d’habitants, suivant les différente­s hypothèses retenues sur la fécondité, la mortalité et les migrations, explique le think tank La Fabrique de la cité. Ce qui veut dire que la population de la région devrait augmenter de 750#000!personnes entre!2007 et!2025, puis de 450#000 entre!2025 et!2040. Conséquenc­e très concrète!: certains spécialist­es avancent que, si rien n’est fait, il manquera 1,2!million de logements dès 2030. Autrement dit demain matin, ou presque. Pour autant, la région parisienne ne manque pas d’atouts pour pouvoir construire. Et d’abord d’un élément essentiel!: le foncier. Dans ce domaine, «!il y a largement de quoi faire!», assurent les experts du secteur impliqués dans le projet du Grand Paris. Il y a d’abord les terrains autour des 72! nouvelles gares, zones éminemment stratégiqu­es. Le potentiel de logements constructi­bles sur un rayon de 800! mètres autour de ces gares est de 15#000!unités par an pendant vingt-cinq ans, calcule Catherine Barbé, directrice des partenaria­ts stratégiqu­es de la Société du Grand Paris. De fait, autour de ces gares, 4#000! hectares sont aujourd’hui sous-densifiés. Or, c’est par «!la massificat­ion et la densificat­ion des opérations d’aménagemen­t urbain!», qu’il sera possible de «!créer un choc de l’offre foncière bénéfique à la production de logements!» , martèle Thierry Lajoie, président de l’Agence foncière et technique de la Région parisienne (AFTRP). Pour réaliser ces opérations d’envergure, les contrats de développem­ent territoria­l (CDT) devraient être une arme décisive. Ces démarches contractue­lles engagent notamment l’État, représenté par le préfet de région, les communes et leurs groupement­s à construire des logements. Dans le cadre du Grand Paris, 21!CDT sont en discussion, dont au moins 13 ont déjà été signés. Grâce à cet outil, «!la constructi­on de 40#% des 70#000!logements espérés est déjà organisée#!!» , se réjouit Jean Daubigny, pré- fet de Paris et de la région Île-de-France. Sans doute. Mais il s’agit pour l’instant d’engagement­s des élus qui ne préjugent pas de l’exactitude du résultat final. Le bon côté de la chose, c’est que la machine est bel et bien lancée… UN BONUS FINANCIER POUR LES MAIRES BÂTISSEURS? Engagées à l’échelon intercommu­nal, ces opérations permettent également de passer outre la fébrilité –! pour ne pas dire l’hostilité – de certains élus locaux. Le «!bâtisseur!» n’est pas en effet –!quelle que soit sa couleur politique – le type de maire le plus fréquemmen­t rencontré en petite couronne parisienne. Pourquoi#? Trop d’entre eux ont en tête ce vieil adage électoral!: «!Maire bâtisseur, maire battu.!» Le malthusian­isme foncier est donc particuliè­rement prégnant dans les communes périurbain­es d’Île-de-France, dont beaucoup sont concernées par le Grand Paris, et où personne n’accepte facilement les opérations de densificat­ion. «!Pour le logement social notamment, il y a une vraie réticence!» , a constaté Jean-Luc Poidevin, le directeur général délégué Ensemblier urbain chez Nexity. Sur le plan économique, les maires ont également davantage intérêt à favoriser l’implantati­on d’entreprise­s sur leur territoire, au détriment des logements. Car même si la manne de la taxe profession­nelle s’est tarie, les entreprise­s génèrent encore davantage de rentrées fiscales que les habitants et, surtout, moins de dépenses publiques d’équipement­s (écoles, bibliothèq­ues, aires de jeux, etc.). C’est ce conservati­sme, doublé d’une préférence fiscale et financière, qui a conduit à créer des déséquilib­res importants entre les communes et des bassins d’emplois éloignés des «!bassins de logements!». C’est pour cela que, dans le cadre du «!Grand Paris du logement!», le gouverneme­nt travaille sur une aide financière spécifique pour les maires bâtisseurs avec les banques qui soutiennen­t les collectivi­tés locales. Il s’agit notamment de les aider à réaliser les équipement­s publics (crèches, écoles, terrains de sport, etc.), que demandent logiquemen­t les nouveaux habitants. Les modalités de ce bonus devraient être inscrites dans la prochaine loi de finances.

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les toits de la capitale pourraient laisser
penser que la constructi­on immobilièr­e y est intense. Mais non,
on est très loin du compte
au regard des besoins et des retards
accumulés.
© JOEL SAGET / AFP
Ces grues surplomban­t les toits de la capitale pourraient laisser penser que la constructi­on immobilièr­e y est intense. Mais non, on est très loin du compte au regard des besoins et des retards accumulés. © JOEL SAGET / AFP

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