Juncker, oui, mais avec quel attelage!?
Àl’heure où cette chronique est «!mise en boîte!», le nom du prochain président de la Commission européenne n’est pas encore connu. Mais le suspense qui avait atteint un niveau peu familier à la machine bruxelloise est retombé comme un soufflet depuis qu’Angela Merkel s’est montrée lasse de l’opposition farouche de David Cameron au «!vainqueur!» de l’élection, Jean-Claude Juncker. En faisant monter le Premier ministre anglais et ses homologues suédois et néerlandais sur une barque quelque part sur la Baltique pour un très médiatisé «!sommet conservateur!», la chancelière, faisant mine de se mettre à l’écoute du malaise de David, a créé les conditions de son isolement. C’est ce qui s’appelle se faire mener en bateau. In fine, foin des réserves britanniques, ce sera donc Juncker. Mais à Bruxelles, on sait qu’il ne suffit pas d’avoir un président de la Commission expérimenté et européiste pour que la grosse machine du Berlaymont se remette à faire avancer l’Europe. La vieille dame est grippée. Elle l’est notamment parce que son «!collège!», autrement dit la réunion des 28!commissaires européens, fonctionne plus souvent comme une place de marché où se négocient les intérêts nationaux que comme une usine à produire de l’intérêt européen. Sur le registre du comment mieux faire, un projet de réorganisation que les «!Amis de la Commission européenne!» font circuler depuis quelque temps, rencontre un certain succès. Le nom que s’est choisi cette poignée d’anciens hauts fonctionnaires reconvertis dans le conseil et d’experts des affaires européennes –!réunis à l’initiative de l’ancien vice-président d’EADS, Michel Troubetzkoy, et parmi lesquels on retrouve plusieurs anciens directeurs généraux de la Commission et l’ancien ministre belge Philippe Maystadt –, sonne presque comme une provocation. Les «!Amis!» défendent la création de cinq groupes de commissaires chapeautés chacun par un viceprésident et qui reflètent enfin les grands domaines d’action de l’exécutif européen!: les relations extérieures (groupe appelé «!Europe forte et autonome!», tout un programme en soi), pilotées par le Haut représentant%; les affaires économiques («!une zone économique puissante!»), qui tomberait dans l’escarcelle du président de l’Eurogroupe%; la politique industrielle (rebaptisée «!Europe digitale, soutenable et compétitive!»)%; la cohésion territoriale et, enfin, les affaires intérieures ( justice, sécurité mais aussi emploi, éducation, santé). Ce groupe des Six (le président et ses 5 VP) fonctionnerait sur le mode du «!Kern!» belge, autrement dit une sorte de concentré de gouvernement qui se verrait chaque semaine avant la réunion du collège à 28. Parallèlement, chaque vice-président serait chargé de coordonner les positions dans son groupe et d’en faire une machine à produire des idées, qui ne soient pas juste la sécrétion naturelle d’une administration au fort penchant normatif. Parallèlement, quatre commissaires seraient transformés en missi dominici de l’institution et chargés, sous l’autorité directe du président, d’assurer les relations extérieures et la communication de l’institution elle-même, notamment de soigner ses relations avec les parlements (européen et nationaux). Les «!Amis!», qui comptent parmi eux l’un des plus expérimentés jurisconsultes de la place, JeanClaude Piris, assurent que cette petite révolution est possible sans changement juridique majeur, ce que José Manuel Barroso ne pensait pas, lui qui a laissé ce projet en chantier. Mais elle soulève tout de même de vraies questions politiques. Si la présidence échoit à un Luxembourgeois, dans l’escarcelle de qui tomberaient les cinq vice-présidences%? De candidats issus de l’Europe des Six%? On voit mal la Pologne renoncer à figurer parmi ce gouvernement resserré. Mais alors qui%? C’est là que la ruse «!merkelienne!» pourrait s’avérer bien utile. Car la transformation de la Commission, de collège en une sorte de gouvernement, dépendra largement de l’autorité de son président. Et Juncker a trop d’expérience pour ignorer les blocages actuels et ne pas entreprendre de revoir l’encombrant attelage des 28!commissaires européens.