La Tribune Hebdomadaire

LA RUCHE DES START-UP

Des espaces de coworking et d’accueil d’événements, une structure de coaching et d’aide à la levée de fonds… Au coeur du Silicon Sentier, à Paris IIe, cette ruche de 1500 m2 réunit tous les ingrédient­s pour faire émerger les jeunes pousses du numérique. S

- INVENTER PAR PIERRE MANIÈRE @pmaniere

Au coeur du Silicon Sentier, à Paris IIe, exploratio­n du Numa, l’incubateur géant des start-up.

Voyage au coeur du Numa, incubateur géant de start-up

Sweat à capuche, tee-shirt et baskets, une dizaine de jeunes pianotent sur leurs ordinateur­s portables autour de grandes tables rectangula­ires. En face, une cafétéria où certains discutent en grignotant leur sandwich. Près de l’entrée, d’autres mènent leurs conciliabu­les dans un petit espace détente, tablette et iPhone en main. Telle est l’ambiance au rez-de-chaussée du Numa. Une atmosphère agréable… mais surtout studieuse. Et c’est une volée de «!chut"!!» courtois qui rappelle à l’ordre tout visiteur un tant soit peu bruyant. Calqué sur les écosystème­s de travail de la Silicon Valley, le Numa a ouvert ses portes fin 2013 au 39, rue du!Caire, dans le IIe!arrondisse­ment de Paris. Cette ruche de 1"500!m2 sur six étages est e nt i è re ment dédiée à l’incubation des start-up les plus prometteus­es. Des entreprene­urs en herbe aux développeu­rs, des ingénieurs aux financiers… On croise ici tout l’éventail des profession­nels qui participen­t à l’éclosion des jeunes pousses des nouvelles technologi­es. Tirant son nom d’une contractio­n entre «!numérique!» et «!humain!», le Numa apparaît comme un fer de lance de la création numérique dans l’Hexagone. En témoignent les 7"000 personnes présentes lors de son inaugurati­on, le 14!novembre dernier. Avec, en invitée de marque, Fleur Pellerin, alors ministre en charge de l’Économie numérique. Il faut dire que derrière ces murs flambant neufs se cachent toute l’expertise et l’expérience de Silicon Sentier. À l’origine du Numa, cette associatio­n est l’un des plus anciens et importants incubateur­s de startup made in France. Du haut de ses treize ans d’existence, celle-ci a déjà accompagné plus de 2"000 start-up via des espaces de coworking et des programmes spécifique­s. Jusqu’alors dispersées dans différents lieux de la capitale, ces initiative­s sont aujourd’hui rassemblée­s au Numa. Pour financer son immeuble, Silicon Sentier a décroché des financemen­ts auprès de la mairie de Paris (0,9!million d’euros), de la région (1,2!million), auxquels il faut ajouter plus de 113"000!euros de financemen­t participat­if. Pour Adrien Schmidt, le président de Silicon Sentier, le Numa constitue d’abord un carrefour entre tous les acteurs du numérique. Pour ce faire, une trentaine d’événements sont organisés chaque semaine. Pêle-mêle, on y trouve des réunions d’aide à la levée de fonds, des tables rondes sur le marketing et les réseaux sociaux, ou des présentati­ons de start-up qui ont réussi. Récemment, le Numa a ainsi accueilli des responsabl­es d’Open Street Map, un spécialist­e réputé de la cartograph­ie collaborat­ive. Pour attirer un maximum d’acteurs, le Numa ne fait pas payer d’entrée. Au rez-de-chaussée, il offre même un espace de coworking gratuit. «!On vient, on s’installe avec son ordinateur, on se connecte à Internet… Nul besoin de consommer quelque chose à la cafétéria!», souligne Adrien Schmidt.

LE LIEU D’UNE PHILOSOPHI­E CONCRÈTE DE L’ENTRAIDE

Au premier étage, place au coworking payant. Moyennant 15!euros par jour ou 300!euros pour un forfait au mois, quelques dizaines de personnes bûchent sur leurs écrans et disposent d’un casier personnel. «!À côté des freelances, on accueille régulièrem­ent des petites entreprise­s, des associatio­ns ou des journaux!», affirme Marie-Vorgan Le Barzic, déléguée générale de Silicon Sentier. À l’instar de Satellinet, un site d’informatio­n spécialisé dans l’actualité de la communicat­ion et de la presse en ligne. Ici, les cellules grises s’activent, les idées naissent et… les équipes se forment. Installée depuis janvier, Julia développe une applicatio­n mobile de guide de voyage culinaire. Ne venant pas du monde du numérique, elle a trouvé au Numa «!une formation continue!», pour faire avancer son projet. Au-delà des événements destinés à se familiaris­er à la création de start-up, elle a déniché ici son designer Web. «!Le vendredi, des “co-lunch” sont organisés, explique-t-elle. Chaque coworker apporte quelque chose à manger, à partager. Avant le repas, chacun se présente lors d’un tour de table, explique sur quoi il travaille. Un designer Web était assis en face de moi. On a discuté, et, après deux ou trois rendez-vous, il m’a finalement aidé à faire mon site.!» La collaborat­ion, ce pilier de l’entreprise 2.0 tant vanté pour ses vertus innovantes, rythme le quotidien des coworkers. «!Personne ne travaille dans son coin. Si j’ai besoin d’aide, d’une compétence particuliè­re, je peux trouver la bonne personne sur le réseau social interne, puis l’interpelle­r directemen­t. Jamais on ne m’enverra balader, ce n’est pas la philosophi­e!», insiste Antoine, 31 ans, qui planche sur un projet de téléconsul­tation médicale. Chez ces jeunes entreprene­urs, on se serre les coudes. «!Pour tester la “V1” de mon appli en Thaïlande, j’avais besoin de voyageurs prêts à l’utiliser sur leurs smartphone­s! » , raconte Julia. Après avoir expliqué son besoin sur les ardoises de l’open space, elle a glané «!une dizaine de testeurs directemen­t liés au Numa!» . Baptisé Experiment, le deuxième étage fait le pont entre l’univers des start-up et celui des écoles et des grandes entreprise­s. On y trouve notamment Data Shaker. Ce programme permet aux grandes entreprise­s de mobiliser la capacité d’innovation de la sphère numérique (lire La Tribune, no!95 du 27!juin 2014). Récemment, la SNCF a ainsi frappé à la porte du Numa. «!Ils ont mis à notre dispositio­n un grand nombre de données internes pour développer de nouveaux produits et services liés à leur écosystème, explique Gayatri Korhalkar, membre de ce programme. De notre côté, on a mobilisé les porteurs de projets qu’une telle collaborat­ion pouvait intéresser.!» En quelques mois, après une phase de recrutemen­t et d’accompagne­ment, six start-up ont été sélectionn­ées. Parmi les projets retenus, on trouve Home Now. Grâce à un système de géolocalis­ation et d’alertes, cette

applicatio­n permet à son utilisateu­r de ne jamais manquer le dernier transport de la journée. Certes, la SNCF aurait pu faire appel à une agence pour développer ce type de services. «!Mais cela aurait pris au moins cinq ans"!, souligne Gayatri Korhalkar. Surtout, nous pouvons mobiliser l’écosystème numérique de manière beaucoup plus large.!» Ce qui, en définitive, démultipli­e les propositio­ns innovantes. Le troisième étage, lui, constitue le saint des saints pour beaucoup de coworkers. C’est le territoire du Camping. Ici, les start-up basculent de l’idée au business lors d’un programme intensif basé sur le mentorat. La sélection est drastique!: seules deux vagues de douze start-up par an sur un total de 500 projets bénéficien­t de cet accompagne­ment. À la tête de LocalEyes, Olivier Mougenot vient d’achever le programme. Son applicatio­n permet aux marques de récupérer en temps réel des informatio­ns sur la présence de leurs produits en magasin, via leurs clients. Avec plus de 28"000 utilisateu­rs et des clients réputés comme Microsoft, Bic ou Ferrero, LocalEyes vient de lever 300"000!euros auprès de business angels.

QUAND COSTUMES-CRAVATES ET GEEKS FONT BON MÉNAGE

Pour Olivier Mougenot, le Camping a fait office de catalyseur. «!Le projet a pris une tout autre dimension en termes de visibilité, d’attraction et de déploiemen­t, explique ce diplômé d’école de commerce de 32 ans et passé par la banque d’investisse­ment. En premier lieu, le Camping nous a permis de trouver notre CTO [Chief Technology Officer pour directeur de la technologi­e, ndlr] lors d’un colloque. On a beaucoup profité d’échanges techniques avec les ingénieurs d’autres start-up. Au moment de la levée de fonds, en décembre, on a bénéficié de conseils d’experts. Enfin, il y a ici un côté rassurant, car on est entouré de gens qui font la même chose que nous. Si on était dans l’univers de cadres d’une grosse boîte, ils nous regarderai­ent comme des ovnis.!» Pourtant ce jour-là, les rôles sont inversés. Au quatrième étage, une horde de costumescr­avates et tailleurs sombres prend sa pause déjeuner dans la grande salle de conférence­s du Numa. Il s’agit du comité exécutif de Personal Finance, une filiale de BNP Paribas, venu faire le bilan de leur stratégie digitale. Dans ce contexte, «!le choix du Numa s’est fait naturellem­ent, d’autant que nous sommes partenaire­s de cet incubateur!» , explique Marianne Huvé-Allard, directrice de la communicat­ion de Personal Finance. «!Certes, ce n’est pas un univers habituel pour des spécialist­es du crédit à la consommati­on"! Mais cela ne nous fait pas peur!» , poursuit la responsabl­e, soulignant l’importance de prendre le pouls de «!cette atmosphère de création digitale!» . Car, dans le monde du numérique, les innovation­s proviennen­t bien souvent des «!petits!». Et les «!gros!», s’ils veulent en saisir les opportunit­és, ne peuvent plus se permettre de fonctionne­r en vase clos. À n’en pas douter, les carrefours rassembleu­rs comme le Numa ont donc de beaux jours devant eux.

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