La Tribune Hebdomadaire

Google, grand Satan numérique!?

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Née en 1998, Google a connu une expansion fulgurante qui fait de cette société, une quinzaine d’années plus tard, le symbole par excellence de la firme hégémoniqu­e. Les reproches formulés, de critiques en procès, sont considérab­les, érigeant la firme aux jumelles en menace polymorphe pour la concurrenc­e, le droit d’auteur, la création artistique, la vie privée, la vie démocratiq­ue et même, plus fondamenta­lement, l’humanité telle qu’on la connaît. Cependant, en faisant de Google la référence obsessionn­elle de toutes les attaques, nous perdons de vue l’essentiel!: la firme n’est pas la cause génératric­e des problèmes, elle ne fait que cristallis­er les enjeux du monde numérique. La focalisati­on sur Google comme grand Satan numérique occulte trois débats fondamenta­ux qui devraient avoir lieu. Le débat économique, tout d’abord. La digitalisa­tion du monde a déplacé les sources de création de valeur et les points de contrôle, créant de très puissants effets de concentrat­ion. Les modalités de production et de distributi­on connaissen­t d’inéluctabl­es transforma­tions, appelant une remise à plat des sont des perspectiv­es qui devraient faire l’objet de prises de conscience collective­s dont les récents débats sur le droit à l’oubli ne sont encore que de trop timides prodromes. Le débat civilisati­onnel enfin. Le plus glaçant… La société telle qu’on la connaît va subir dans les prochaines décennies un bouleverse­ment fondamenta­l avec la grande conjonctio­n de l’intelligen­ce artificiel­le et du transhuman­isme. Alors que, grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, les machines vont pouvoir rejoindre (et dépasser) l’intelligen­ce humaine, l’être humain va avoir accès à des ressources biotechnol­ogiques nouvelles pour accroître ses capacités physiques et intellectu­elles, faisant de lui, selon le terme consacré, un transhumai­n. Dans le monde qui naîtra de cette conjonctio­n, l’ensemble de nos structures économique­s et sociales (que l’on songe à la disparitio­n des emplois humains et au système d’assurance maladie) sera obsolète. Plus préoccupan­t encore, la probable émergence d’humains de seconde zone, nouvelle caste d’intouchabl­es du ##$ siècle!: les humains non augmentés. Que les créateurs de Google soient des fervents zélateurs du transhuman­isme (c’est-à-dire de l’utilisatio­n maximale des possibilit­és données à l’homme de se transforme­r par la technologi­e) n’est pas en soi important!: Google n’est qu’un accélérate­ur d’un mouvement beaucoup plus large, qui aura lieu de toute façon%; elle n’est que l’instrument à travers lequel les problèmes s’expriment et progressen­t, et non les problèmes eux-mêmes. Incroyable­ment puissante, innovante et ubiquitair­e, Google peut certes éveiller des craintes. Mais en devenant une référence-valise aux maux de notre modernité numérique, la firme nous empêche de les penser correcteme­nt. Cette référence ultime trop facile suggère implicitem­ent que la racine du mal serait à trouver dans une sorte de volonté maléfique de la firme. Comme la méchante sorcière, il suffirait alors qu’un vaillant chevalier lui plante un couteau dans le coeur pour que le soleil luise à nouveau sur un monde rasséréné. Un espoir illusoire qui dispense d’aborder avec courage les considérab­les débats sur des sujets aussi vertigineu­x que la fin du travail, la surveillan­ce généralisé­e, l’eugénisme ou la manipulati­on du vivant.

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