Aéronautique Les défis d’une industrie modèle
La filière, pénalisée par l’euro fort, a soif de compétitivité. Les quatre clés pour conserver les centres de décision et de recherche en France. Au Paris Air Forum, vendredi 11 juillet, La Tribune réunira les acteurs incontournables du secteur.
Les intervenants : Claude Abraham, Emeric d’Arcimoles, Driss Benhima, Charles Champion, Alex Cruz, Patrick Gandil, Maurice Georges, Bernard Gustin, Eric Herbane, Marc Houalla, Olivier Jankovec, Alexandre de Juniac, Marwan Lahoud, Pascale Lefèvre, Carolyn McCall, Christian Mc Cormick, Denis Mercier, Fredrick Piccolo, Augustin de Romanet, Sani Sener, Jean-Cyril Spinetta, Tony Tyler, Pierre Vellay, Thierry Voiriot, Michel Wachenheim, Olivier Zarrouati.
1 DISPOSER D’UN BUDGET DE LA DÉFENSE « RAISONNABLE »
«!Retenez-moi ou je fais un malheur…!» C’est en substance le message des industriels de l’aéronautique envoyé en mai dernier à François Hollande et au gouvernement de Manuel Valls. Faute d’un investissement public minimum dans la défense et dans l’espace de l’État, les grands industriels de l’aéronautique (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation…), qui cumulent tous des activités civiles et militaires dans leur périmètre, agitent la menace d’installer de plus en plus de capacités de production à l’étranger, et surtout de quitter la France. «!Les entreprises duales seraient contraintes de tirer les conséquences et accéléreraient leur mutation en privilégiant les activités civiles. Elles seraient alors soumises aux seules contraintes concurrentielles mondiales qui placeront l’équation nationale au second plan!» , avaient écrit en mai dernier au président de la République les PDG des sept plus grands groupes de défense français (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation, DCNS, Nexter et MBDA) lorsque Bercy et Matignon voulaient sévèrement rogner le budget de la défense. Point de salut sans un ancrage national – c’est-à-dire des espèces sonnantes et trébuchantes – pour cette industrie, qui pèse de tout son poids dans l’économie française. «!On ne peut pas faire des économies sur un secteur qui marche en France!», estime le président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), Marwan Lahoud, dans une interview accordée à La Tribune (lire pages!10 et!11). En 2013, le chiffre d’affaires des entreprises du Gifas s’est élevé à 47,9!milliards d’euros, en augmentation de 9#%, à périmètre constant. La part à l’exportation (30,4!milliards), qui a connu une très forte progression (+!11,4#%), représente 79#% du chiffre d’affaires consolidé. En termes de prises de commandes, 2013 a été une «! année record! » avec 73,1! milliards d’euros de prises de commandes, soit un bond de 49#% par rapport à 2012, principalement grâce au secteur civil. Le carnet de commandes global représente entre cinq et six années de production. Cette industrie a donc «!besoin de stabilité dans les programmations et d’une vision de long terme. Nous sommes une industrie de cycle long, vulnérable aux atermoiements budgétaires et qui ne peut être la variable d’ajustement de tous les gouvernements! » , avaient expliqué les sept PDG. Pour autant, comme l’explique le président du Gifas, l’État peut «!supprimer d’un trait de plume des crédits du budget de la défense avec des conséquences qui sont gérées!» par… les industriels. Ces derniers s’adapteront mais ils pourraient finir par s’exiler à force d’être maltraités.
2 GARDER LES CENTRES DE DÉCISION ET DE RECHERCHE EN FRANCE
Cela va de soi mais c’est mieux en le disant!: l’industrie aéronautique française restera performante tant qu’elle gardera des centres de décision et de recherche en France. C’est l’une des clés de la très belle «! success story ! » de cette industrie depuis les années 1970. «!Quand un centre de décision se déplace à l’étranger, cela peut avoir des conséquences même si elles ne sont pas immédiates. C’est important de conserver de vrais centres de décision en France! » , expliquait récemment à La Tribune le PDG de Vallourec, Philippe Crouzet. Ce qui est vrai pour le patron du leader mondial des tubes sans soudure, l’est également pour tous les PDG à la tête d’un groupe industriel. Car, à l’heure de la mondialisation, l’industrie aéronautique est déjà très tentée d’aller produire de plus en plus près de ses clients. En Asie bien sûr, mais aussi dans les pays de la zone dollar, y compris aux États-Unis pour se protéger d’un euro trop fort (voir plus loin, notre point!4). Airbus, Safran, Thales le font déjà avec une relative prudence. Ces groupes prennent toutefois garde à ne pas fâcher l’État, les salariés et l’opinion publique. Surtout en cette période inédite de patriotisme économique. Mais l’exemple du président du directoire de Schneider Electric, Jean-Pascal Tricoire, parti s’installer avec une partie de son état-major à Hong Kong, n’est pas passé inaperçu. Un rêve qui n’est plus aussi
inaccessible pour ces groupes français. D’autant qu’ils sont de plus en plus internationaux – à l’image d’Airbus Group, de Thales et de Safran –, ainsi que les principaux sous-traitants de maîtres d’oeuvre français comme les équipementiers Zodiac, Lisi, Latécoère… Encore faut-il aussi que les industriels fassent leur boulot… d’industriels. Car, à l’heure où le dogme des 10!% de bénéfice avant intérêts et impôts (Ebit en anglais) est devenu une loi d’airain dans l’industrie aéronautique (Airbus Group, Thales), les groupes pourraient réduire leurs investissements pour privilégier le court terme. C’est-à-dire les actionnaires et les marchés qui ont souvent une vision de très court terme. Est-ce aussi un objectif attractif pour les futurs ingénieurs d’Airbus, les héritiers des pionniers qui ont écrit l’histoire de ce géant de l’aéronautique (plus de 140!000 salariés) en lançant des produits qui, en dépit de toutes les crises de gouvernance et économiques, se vendent aujourd’hui comme des petits pains!? EADS continuera-t-il demain de faire rêver!? Tout comme Thales et les autres!? En 2012, la recherche & développement représentait 13,9!% du chiffre d’affaires des entreprises du Gifas, dont 60!% sont autofinancés. Une réussite en grande partie grâce au crédit impôt recherche (CIR).
3 UN COÛT DU TRAVAIL MOINS CHER, UNE FISCALITÉ STABLE
Le patron d’Airbus Group Tom Enders avait été très clair début 2013. Il était nettement agacé par le coût du travail en France. «!Pour ce qui est du coût du travail –!je ne parle pas des salaires directs!– mais des charges sociales, si celles-ci continuent à augmenter, cela va nous poser un problème dans nos embauches en France!» , avait-il expliqué début 2013 à l’Assemblée nationale. Et Tom Enders sait de quoi il parle puisque c’est l’un des plus gros employeurs en France avec 54!000 salariés environ dans l’Hexagone. «!Le coût du travail en Europe conjugué au coût de l’énergie, comparé aux États-Unis, sont des données importantes. Nous sommes une grande entreprise parce que nous sommes sur le marché mondial et pour être sur ce marché, nous devons être compétitifs! » , avait-il mis en garde le gouvernement français. Des propos qui rejoignent complètement l’esprit de la lettre des sept PDG français, envoyée à François Hollande en mai dernier. Faute d’environnement économique favorable, Tom Enders serait tenté de mettre les voiles loin de la France et de l’Europe. Certaines mesures lancées par le gouvernement sont toutefois très encourageantes pour les industriels. Notamment le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) décidé fin 2012, «!même si le plafonnement des aides à hauteur de