La Tribune Hebdomadaire

L’été de la Grande Transition

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Nous avons abordé l’été dans une atmosphère pour le moins confuse. Les euroscepti­ques venaient de faire une entrée en force au Parlement européen. La domination allemande dans les affaires européenne­s rabattait la raison économique au respect d’une poignée de règles juridiques. À Paris, le président Hollande vacillait sous la poussée des « frondeurs ». Et en Ukraine, on ne parlait encore que de « crise ». Cette rentrée offre un tableau plus clair, à défaut d’être plus rassurant. La scène macabre des victimes du vol de la Malaysian Airlines, abattu dans l’est de l’Ukraine, marque e basculemen­t possible de l’Europe dans une guerre avec la Russie. « Le point de non-retour est déjà atteint » , a dit samedi 30 août à Bruxelles le président ukrainien Piotr Poroshenko. Même si Vladimir Poutine semble calmer le jeu, la sécurité ne figure plus seulement en tête de l’ordre du jour ukrainien, mais de tout le Vieux Continent, avec d’inévitable­s effets dépressifs sur l’économie. Au Parlement, les euroscepti­ques ont fait flop. Désunis, ils pèseront essentiell­ement par la pression qu’ils exercent au niveau national. À Bruxelles, le modus operandi des deux grands partis politiques européens, sociaux-démocrates Sur le front économique, après deux ans de palabres sur la réforme des règles qui fondent l’union monétaire, le moment est venu de parler chiffres. C’est la revanche des économiste­s sur les juristes. Au dernier étage du bâtiment Charlemagn­e, où il occupe un bureau provisoire en attendant son entrée en fonction le 1er novembre, Jean-Claude Juncker prépare un plan d’investisse­ment géant dont la mise en musique pourrait être confiée au prochain commissair­e français, Pierre Moscovici. S’il tient son engagement de débloquer 300 milliards d’euros en trois ans, ce sont 2,3 % du PIB qui seront investis dans la machine, environ 0,7 % par an. Le coup de sifflet est venu de Jackson Hole. Lors de la réunion annuelle des banquiers centraux en août, Mario Draghi n’a pas parlé d’union bancaire ou de stabilité financière… mais de l’emploi. « Les risques de faire trop peu – autrement dit que le cycle de chômage devienne structurel – contrebala­nce celui de faire trop, autrement dit des hausses de salaires trop élevées et des pressions sur les prix » , a-t-il déclaré. S’il ne faut pas trop attendre du Sommet sur la croissance et l’emploi du 6 octobre en Italie, le Conseil européen de novembre dira si l’axe Paris-Rome-Francfort permettra de faire plier Berlin. À Paris, la formation d’un gouverneme­nt Valls 2 excluant l’aile gauche du PS sonne comme un « Bad Godesberg » français, cinquante-cinq ans après celui des sociauxdém­ocrates allemands. Au risque de faire exploser le parti. Sans le virage annoncé par le binôme DraghiJunc­ker, le président Hollande aurait-il pu se permettre de le courir? Au total, nous voici donc avec une guerre, l’ébauche d’un plan Marshall, le retour en force de l’Alliance atlantique face à la Russie et un système démocratiq­ue européen renforcé… par sa propre contestati­on, ce qui est un signe de maturité. L’été 2014 restera donc comme celui d’une « Grande Transition » commencée après la guerre froide, quand on pensait encore que les puissances asiatiques étaient fongibles dans le bloc occidental et capitalist­e, et que l’on pouvait fonder une union monétaire sur des règles de discipline, sans institutio­ns fédérales. « Nous entrons dans un nouveau monde », disait récemment un ambassadeu­r européen. La question est de savoir lequel...

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