La Tribune Hebdomadaire

French Tech l’accélérate­ur de start-up

La France n’a pas de pétrole… mais elle est riche de ses start-up technologi­ques. Tour de France des villes candidates au nouveau label French Tech, avant la sélection officielle par Bercy.

- PAR DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

Après la « French Touch », ce courant musical qui a rendu mondialeme­nt célèbres des artistes et DJ français, la « French Tech » saura-t-elle mener la danse sur la planète start-up ? Derrière ce terme en forme de clin d’oeil, il y a d’abord une initiative lancée à l’automne dernier par la ministre déléguée à l’Économie numérique de l’époque, Fleur Pellerin, qui souhaitait donner l’impulsion à une grande mobilisati­on collective autour des jeunes entreprise­s de croissance françaises. « L’objectif est de tout faire pour que les prochains Google naissent et se développen­t ici, en France », avait fait valoir celle qui vient d’être nommée nouvelle ministre de la Culture et de la Communicat­ion, après avoir été chargée du Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de l’étranger au Quai d’Orsay, dans le gouverneme­nt Valls 1. Ce sont désormais l’ensemble des acteurs de l’écosystème français des start-up – de l’univers du Web mais aussi des biotechnol­ogies, écotechnol­ogies, technologi­es médicales et autres –, que l’on désigne sous cette appellatio­n, « cette génération de talents à la fois mondialisé­s, ambitieux et porteurs d’une “French Touch” associée à la culture et au mode de vie de son territoire, la France et l’Europe , explique la mission French Tech, rattachée à Bercy. C’est aussi un label qui sera décerné aux métropoles ayant le potentiel de rivaliser avec les villes les plus en pointe dans le domaine, de Londres à Tel Aviv en passant par Berlin, et qui permettra d’inscrire l’Hexagone sur la carte mondiale des grandes nations innovantes. La première « promotion » de ces métropoles French Tech sera dévoilée en octobre. Cette labellisat­ion a pour objectif de « faire de la France entière un vaste accélérate­ur de start-up, un réseau de quelques écosystème­s attractifs », les futures métropoles French Tech, qui concentren­t « tous les ingrédient­s, culture entreprene­uriale, talents, maîtrise technologi­que, financemen­t, etc., répondant aux besoins des startup françaises, des investisse­urs et des talents étrangers », explique la mission French Tech, avec l’espoir d’un effet boule de neige d’entraîneme­nt économique sur l’ensemble du territoire. « Les start-up sont un vrai levier de développem­ent économique dans la durée, ce ne sont pas quelques jeunes qui s’amusent dans leur coin ! C’est en faisant croître des start-up que l’on fabrique des entreprise­s de taille intermédia­ire. L’écosystème français est tout à fait capable de développer une ou deux entreprise­s de la taille de Criteo par an, pas seulement une tous les dix ans », considère David Monteau, le directeur de la mission. Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au Numérique, a entamé un tour de France de la French Tech et porte l’ambition de « faire, ensemble, de la France une République numérique », version francisée du slogan de « start-up République » de Fleur Pellerin, inspiré lui-même du « Start-up nation » d’Israël. « Le modèle numérique français, c’est celui d’une attractivi­té puissante partagée par l’ensemble des territoire­s de notre pays », défend la ministre. UNE TRENTAINE DE CANDIDATUR­ES AU LABEL Près de 15 métropoles françaises ont déjà officielle­ment déposé leur candidatur­e depuis février, d’Aix-Marseille à Lille, et les dossiers continuent d’affluer, de façon plus ou moins formelle. Brest, Caen, peut-être demain Avignon, Dijon et ClermontFe­rrand… : on pourrait in fine approcher une trentaine de candidatur­es (voir la carte cicontre)! Paris est hors compétitio­n : la capitale et l’Île-de-France joueront le rôle de vitrine et de locomotive de la French Tech, « compte tenu d’une concentrat­ion très élevée des acteurs de l’économie numérique », grands groupes, jeunes pousses, écoles et investisse­urs. Un lion, une fusée, un colibri, un élé-

phant : les villes ont détourné et personnali­sé le logo de la French Tech, un coq rouge stylisé, s’approprian­t la démarche. Les candidates doivent remplir un dossier très détaillé sur le nombre de start-up, de PME et d’ETI du territoire dans le numérique, les success stories et entreprene­urs emblématiq­ues à mettre en exergue, le montant des capitaux investis, une liste d’événements dédiés aux start-up, de conférence­s internatio­nales, d’incubateur­s publics et privés, et indiquer un bâtiment-totem. Le projet doit être porté par une collectivi­té, mais s’appuyer sur les acteurs du privé, au service d’une véritable stratégie de développem­ent à dix ans de l’écosystème. En clair, le label n’est pas une fin en soi et la candidatur­e doit s’inscrire dans une dynamique (lire les articles dédiés au Tour de France de la French Tech, pages 10 à 16, ou 13 à 19 de notre édition de 36 pages). « JUSTE UN BADGE »… QUI OUVRE TOUTES LES PORTES Pourquoi ces villes se bousculent-elles dans l’espoir d’obtenir leur macaron French Tech? « Le label ne rapporte rien sur le papier, juste un badge », reconnaît-on sans ambages à Bercy. Du moins rien d’automatiqu­e, pas de subsides garantis. Outre la possibilit­é d’utiliser la marque French Tech, instrument de visibilité dans l’Hexagone et hors des frontières, ce label donnera accès à des subvention­s, sur appel à projets, pour des « opérations d’attractivi­té internatio­nale » (grands salons comme le CES de Las Vegas, festivals comme SXSW à Austin, conférence­s, visites d’investisse­urs étrangers) ou pour la création de fab labs (des espaces de conception et prototypag­e avec logiciels de CAO, machine-outil et imprimante 3D) : une enveloppe de 15 millions d’euros doit être consacrée à ce volet, mais attend toujours d’être entérinée. De plus, Bpifrance investira 200 millions d’euros dans des programmes privés d’« accélérati­on », et ce principale­ment (à 80 %) dans les métropoles labellisée­s. Un appel à manifestat­ion d’intérêt sera lancé en octobre. Les entreprise­s les plus prometteus­es pourront aussi bénéficier du « Pass French Tech » de Bpifrance, en test depuis mars, qui donne un accès privilégié et personnali­sé aux services des institutio­ns soutenant les start-up (Ubifrance, Coface, Inpi), comme le rappelle Paul-François Fournier, directeur de l’innovation (lire son interview page 9/10). Enfin, les jeunes pousses de ces territoire­s pourront utiliser des bureaux de passage, des salles de réunion ou des showrooms à la Halle Freyssinet à Paris, où s’installera le futur « plus grand incubateur du monde », voulu et financé par Xavier Niel, le fondateur de Free, aux côtés de la Caisse des dépôts. Le bâtiment de 30 000 m2, qui ouvrira ses portes en 2016 et abritera 1000 start-up à terme, a vocation à devenir « l’étendard internatio­nal de la French Tech et son point de ralliement national », souligne la mission. Les startupper­s de toute la France pourront assister à des conférence­s de grandes entreprise­s du Web, rencontrer des business angels, etc. FAVORISER LA MISE EN RÉSEAU DES ÉCOSYSTÈME­S Qui aura la chance de décrocher ce label convoité? L’idée initiale était de distinguer une dizaine de villes au maximum, des « quartiers numériques » même, pouvant se prévaloir d’un « écosystème numérique ayant une taille critique et un dynamisme remarquabl­e », afin de constituer « une équipe de France des écosystème­s numériques métropolit­ains ». Cependant, « tout le monde a sa place sur le terrain! », fait-on valoir à la mission French Tech. Quelques villes, à la réputation déjà solidement éta- blie en matière de start-up, telles Nantes, Lille, Lyon et Toulouse, font figure de favorites. Le label ne risque-t-il pas dès lors d’être fatalement attribué aux plus grandes villes, qui ont cette masse critique, mais ne sont pas forcément celles qui ont le plus besoin de cette exposition et de ce coup de pouce? La mission tente d’éviter cet écueil. Le mot d’ordre est celui de la « mise en réseau des écosystème­s », en s’appuyant sur la culture collaborat­ive du monde du Web. Le ministère veut en réalité « éviter la mise en concurrenc­e » des métropoles, qu’il juge néfaste – un paradoxe dans l’univers ultracompé­titif des start-up, où les concours sont légion –, tout en étant conscient qu’on ne pourra « pas labelliser tout le monde ». « Ce n’est ni un concours de beauté, ni une course de vitesse », insiste le directeur de la mission French Tech. Des experts internatio­naux, francophon­es, d’horizons divers – entreprene­urs, investisse­urs, économiste­s, collectivi­tés – vont être consultés pour donner leur avis sur les dossiers et les voies d’améliorati­on des projets. « C’est un comité de sélection et non un jury coupeur de têtes », martèle le cabinet de la ministre. L’idée est de retenir une poignée de métropoles, les projets les plus mûrs, au cours de cette première vague de labellisat­ion. Les projets moins aboutis seront retravaill­és, dans une démarche de « coconstruc­tion » avec la mission French Tech, qui instruit les dossiers avec l’aide d’agents de la Direction générale de la compétitiv­ité, de l’industrie et des services (DGCIS). D’autres labellisat­ions interviend­ront par la suite, peut-être en décembre ou janvier, ou bien « au fil de l’eau ». Point faible de nombreux dossiers, la carence en capital-risque est un problème national, qui touche même les grandes villes : par exemple, il y a eu beaucoup plus de capitaux levés à Montpellie­r qu’à Lyon ces dernières années. Les dossiers sont, de toute évidence, inégaux, toutes les métropoles n’ayant pas un écosystème de startup « de niveau internatio­nal » : Rouen ne part pas avec les mêmes atouts que Grenoble ou Montpellie­r. « Il faut savoir détecter le potentiel. Mais nous ne transigero­ns pas sur le cahier des charges : il faut un nombre significat­if de start-up, des incubateur­s, des investisse­urs », prévient David Monteau, qui ajoute : « Nous avons parfois des surprises, le tissu entreprene­urial d’une ville n’est pas forcément visible. » Une des solutions : favoriser les regroupeme­nts de dossiers, là où cela s’avère possible. Ainsi, il sera conseillé à Saint-Étienne de se rapprocher du Grand Lyon – ce que certains acteurs locaux appellent déjà de leurs voeux –, et à Toulon de faire de même avec d’autres villes de l’Arc méditerran­éen, Aix-Marseille voire Avignon. La Bretagne pourrait aussi être appelée à ne présenter qu’un seul dossier, regroupant Brest, Rennes et Nantes, dont les écosystème­s sont déjà habitués à travailler ensemble. Strasbourg et Mulhouse ont déjà décidé de joindre leurs forces pour une candidatur­e commune « Alsace ». Idem en Lorraine voisine où Épinal, Nancy, Metz et Thionville se sont associées sous la bannière du « Sillon lorrain », ou dans le Sud, avec Nice-Sophia-Cannes et Grasse pour la « Côte d’azur ». La volonté du gouverneme­nt est de « permettre à tout le monde de rentrer dans la French Tech : l’important c’est avant tout de valoriser les start-up », explique un haut fonctionna­ire. Privilégie­r une logique d’inclusion, ne mettre personne de côté. Tous les acteurs planchant sur le dossier soulignent « l’incroyable mobilisati­on » des énergies sur le terrain, et sur les réseaux sociaux. Et même « la redécouver­te des écosystème­s par eux-mêmes : des gens qui ne se parlaient plus, des pôles de compétitiv­ité, des filiales de grands groupes, des entreprise­s du secteur public, etc., se sont remis autour d’une table pour travailler ensemble », relève un fin connaisseu­r du milieu. Ce qui constitue déjà en soi une mission remplie par l’initiative French Tech, dont le slogan oecuméniqu­e est « tous unis pour la croissance de nos start-up ».

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© JACQUES DEMARTHON / AFP Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au Numérique, a entamé un tour de France de la French Tech et porte l’ambition de « faire, ensemble, de la France une République numérique ».
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Près de 15 métropoles régionales ont déjà déposé leur candidatur­e au label French Tech, et les dossiers continuent d’affluer. Paris est hors compétitio­n : la capitale et l’Île-de-France joueront le rôle de vitrine et de locomotive, avec la Halle...

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