La Tribune Hebdomadaire

Pékin, ou le rêve d’une ville étouffée par la pollution de se muer en « smart city ».

La capitale de la deuxième puissance mondiale se veut la vitrine de la Chine moderne. Mais, entre la pollution et les embouteill­ages, la réalité est tout autre et même les Chinois aisés fuient la mégalopole. La ville géante est un condensé des contradict­i

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Une pollution épaisse à couper au couteau, des embouteill­ages à n’en plus finir, des ruelles insalubres qui jouxtent des artères flamboyant­es et neuves… Pékin, désormais la plus grande ville du monde, est à l’image de la Chine : grande, puissante, grouillant­e et sale. Pourtant, question d’image oblige, les dirigeants chinois veulent en faire la vitrine de la Chine moderne, sûre d’elle, qui rayonne et s’impose sur la scène mondiale. Un défi gigantesqu­e quand on voit que, malgré une réelle volonté politique, la pollution ne cesse de croître, les queues de voitures s’allongent et les immeubles à peine érigés s’écroulent au bout de quelques années. Rappelons que le dernier marathon de Pékin, en octobre, s’est couru avec un masque antipollut­ion sur le visage… des axes de développem­ent autour de l’efficacité, l’innovation et l’économie numérique. Il s’ajoute au 12e plan quinquenna­l, lui aussi centré sur le développem­ent d’une économie durable. Les progrès réalisés sont considérab­les. Les services de santé ont été informatis­és, les infrastruc­tures informatiq­ues et numériques étendues à toute la zone. Et le gouverneme­nt a mis en place des platesform­es accessible­s par Internet pour les services de l’emploi, la sécurité sociale et l’assistance sociale. En un clic, le voyageur sait quand passe le prochain bus ou métro, connaît l’état du trafic routier et même pédestre – les sites touristiqu­es peuvent être particuliè­rement bondés. Il peut désormais prendre un rendez-vous chez le médecin et éviter des heures d’attente. Un rapide coup d’oeil aux applicatio­ns lancées entre autres par Baïdu, le « Google chinois », montre qu’en termes de services au consommate­ur et de géolocalis­ation Pékin n’a rien à envier à New York, Londres ou Paris. « À travers notre service de cartograph­ie, on peut désormais trouver le cinéma le plus proche, choisir son film et acheter son ticket en ligne » , explique Kaiser Kuo, porte-parole du géant de l’Internet. Le moteur de recherche développe actuelleme­nt une technologi­e de reconnaiss­ance visuelle et de paiement sans contact. Il suffit de passer le téléphone sur un article (vêtement, livre ou autres) pour l’acheter directemen­t. Il propose aussi des mégadonnée­s qu’il nomme « trends » . L’utilisateu­r y trouve des informatio­ns sur le meilleur moment pour partir en vacances ou encore des pronostics fabriqués à partir d’algorithme­s sur les gagnants des championna­ts de football. « Ce qui se passe à Pékin n’est pas très différent des autres grandes villes du monde : e-gouverneme­nt, informatiq­ue en nuage, développem­ent de l’économie locale grâce à l’innovation… » , explique Tom Saunders, analyste Chine pour Nesta, une ONG qui se spécialise dans l’innovation et qui revient tout juste d’un voyage à Pékin. La ville planche même sur une sorte de centre de données ouvertes gigantesqu­e qui rassembler­ait toutes les données de la ville, comme il y en a au Danemark et en Écosse. Elle prévoit aussi d’équiper ses fonctionna­ires de téléphones mobiles personnali­sés liés à une plate-forme pour pouvoir travailler hors du bureau. LES FREINS DE L’URBANISME ET DE LA POLITIQUE Quant à la lutte contre la pollution atmosphéri­que, priorité des habitants excédés, plusieurs projets sont en place au niveau municipal et régional : électrific­ation du chauffage dans le centre-ville et en banlieue ou développem­ent d’un parc de transport en commun électrique. La ville s’est engagée à dépenser 160 milliards de dollars (128 milliards d’euros) et de réduire les émissions polluantes de 25% par rapport au niveau de 2012 d’ici à 2017. Objectif que, pour l’instant, la ville est très loin d’atteindre. En dépit de ses efforts, la pollution augmente d’année en année. Difficile de revendique­r l’appellatio­n « smart » quand la population peut à peine respirer… « Pékin doit faire face à une multitude de défis » , explique un diplomate européen, qui suit le dossier. La localisati­on géographiq­ue de la ville n’aide pas à les résoudre. Située dans un bassin entouré de montagnes, Pékin récupère l’essentiel des émissions de la province du Hebei, au sud, grand centre industriel. Pékin bénéficie aussi d’un climat continenta­l : c’est-à-dire qu’il faut chauffer l’hiver et climatiser l’été. Il y a aussi la conception urbaine de la ville elle-même, dont une partie a été conçue dans les années 1950 à 1970 dans un style soviétique, avec une série de boulevards périphériq­ues, peu adaptée aux besoins du nouveau siècle. D’autant que petit à petit d’autres axes s’y sont greffés, sans réelle réflexion d’ensemble sur les transports. « Il n’y a jamais eu comme à Paris de vrai dessein pour la constructi­on du métro par exemple » , explique le diplomate. Les lignes construite­s il y a une dizaine d’années ont rejoint les sites olympiques au nord de la ville, où, de fait, peu de voyageurs se rendent. Le sud, fortement peuplé et où les besoins sont importants, a été le dernier desservi. Aujourd’hui, les stations restent éloignées l’une de l’autre et peu pratiques d’accès. Ajoutons une urbanisati­on peu efficace et des constructi­ons sans normes et qui consomment bien plus d’énergie que nécessaire. Ainsi qu’une myriade de hutongs, petites ruelles traditionn­elles, difficile à rénover. Et puis il y a le système politique lui-même. Le Parti communiste n’aime pas communique­r, encore moins dévoiler les données publiques. Les données ouvertes restent un sujet de méfiance. Or, l’économie de la smart city repose sur l’utilisatio­n de ces données. « C’est un vrai frein, explique Tom Saunders. Il faudrait que tous les ministères impliqués travaillen­t ensemble, ce qui n’est pas vraiment le cas. » En effet, la planificat­ion des smart cities en Chine dépend de plusieurs départemen­ts : le ministère de l’Informatio­n et de la Technologi­e, le Développem­ent urbain et rural, qui a débloqué un total de 1 milliard de yuans, à cet effet et enfin le NDRC, la puissante agence de planificat­ion. Résultat : les projets se superposen­t, restent dans les cartons et parfois se contredise­nt. Concrèteme­nt, cela donne une ville sans vraie harmonie. Par exemple, il n’y a aucune connexion entre les différents moyens de transport : métro, bus, tramways. Un trajet d’un point de la ville à l’autre peut nécessiter jusqu’à cinq changement­s de bus et de métro et prendre plusieurs heures. Pas de quoi inciter un conducteur d’automobile à abandonner sa voiture… « Le ministère de l’Informatio­n ne pense ni à la mobilité, ni à l’habitation. Plutôt que de chercher la nouvelle technologi­e à la mode, il devrait se pencher sur les problèmes et comment mieux travailler avec la population » , explique Tom Saunders. LES GRANDES ENTREPRISE­S RÉTICENTES AU CHANGEMENT Mais le vrai défi pour le gouverneme­nt de la ville est une résistance des mentalités au développem­ent durable. « Pendant des années, on a répété aux entreprise­s qu’elles devaient être grandes avant tout. Maintenant on leur demande d’être efficaces et rentables. Ce n’est pas si facile que ça » , explique Qiao Liu, professeur de finance à l’école de management Guanghua, liée à l’université de Pékin. C’est une chose de produire des plans et c’en est bien une autre de les appliquer, particuliè­rement en Chine, pays de privilèges et de passe-droits. « Les entreprise­s ne sont pas prêtes à changer leur mode de fonctionne­ment. Elles mentent sur les données qu’elles fournissen­t au gouverneme­nt sur leurs émissions de CO2. Elles ont même mis en provision les amendes qui leur seront infligées » , raconte encore le diplomate européen. Le coût pour Pékin est considérab­le. À cause d’une image écornée à l’internatio­nal, elle peine désormais à attirer des talents. Les chiffres du tourisme sont en baisse chaque année. Et les Chinois euxmêmes cherchent à fuir leur capitale pour raison de santé.

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